La Chronique Agora

La Grèce est dans l’impasse, les indices sont à leur zénith

▪ Nous sommes soumis depuis trois semaines au déploiement de tout l’arsenal des moyens de désinformation à la disposition des hautes sphères politiques européenne, mais également des marchés financiers. Pour une fois, ces deux entités unissent leurs moyens pour nous abreuver de pieux mensonges au sujet du dossier grec.

Il fut un temps pas si lointain où n’importe quelle rumeur d’échec des négociations entre la Troïka et le gouvernement grec aurait fait sombrer les places boursières de façon abyssale. Rien de tel cette fois-ci, puisque le marché semble se laisser berner avec délectation par une succession de communiqués et de rumeurs à dormir debout.

▪ Petite revue de presse sur le refinancement de la Grèce
Allez, pour vous faire sourire, voici un petit florilège de « grand n’importe quoi » glané entre le 13 janvier et le 3 février au sujet de la Grèce. « L’accord avec les créanciers privés devrait intervenir ce dimanche 15″… « Les négociateurs ont bien avancé sur le refinancement, accord prévu ce mercredi 18… ou le dimanche 22 au plus tard »… « Les points de vue se rapprochent, les derniers obstacles s’aplanissent »… « Tout devrait être bouclé pour le sommet de Bruxelles de ce lundi 30 janvier »… « Les pourparlers avec l’association représentant les banques créancières sont dans la dernière la ligne droite »… « Le gouvernement grec règle les derniers détails, l’accord doit être signé avant la réunion de l’Eurogroupe du lundi 6 ».

Et M. Juncker nous fait cette révélation fracassante jeudi dernier (après trois semaines de tractations stériles et d’innombrables communiqués porteurs de faux espoirs) : « Les négociations sont extrêmement difficiles »… Noooon, pas possible, quel scoop !

Le lendemain matin, on apprend que la réunion de l’Eurogroupe est annulée tant les points de vue divergent. Quelques heures plus tard, les rumeurs en provenance d’Athènes indiquent que c’est l’impasse totale, que la Grèce refuse les exigences exorbitantes des créanciers.

La Troïka demande encore plus d’austérité, ce qui passerait par un abaissement de 20% du salaire minimum mensuel grec (qui reste fixé à 750 euros). La population et ses représentants politiques sont incapables d’accepter une telle mesure.

▪ Faillite en vue ? Chic, hausse des indices !
La Grèce n’a jamais été aussi près de la faillite et peut-être même d’une sortie de la Zone euro. Mais les marchés financiers ont fini la semaine sur une flambée de hausse. Le CAC 40 (1,5% à 3 428 points, soit 3,3% en hebdo) affiche en seulement cinq semaines la même performance (+8,5%) que l’année précédente… mais en six semaines !

Le DAX 30 pulvérise tous les records (14,75% depuis le 1er janvier) et réalise la meilleure entame d’année boursière de… son histoire. Rappelons tout de même que la croissance 2012 en Europe est anticipée à zéro et que le sauvetage de la Grèce n’a jamais été aussi incertain.

Wall Street a également terminé la semaine passée au firmament et réalise sa meilleure entame d’année depuis 14 ans. Les investisseurs se comportent soudain comme si une croissance digne des années 1998/2000 s’annonçait pour la période 2012/2014.

Les stupéfiants chiffres de l’emploi propulsent le Nasdaq (1,61%) au-dessus des 2 900 points pour la première fois depuis 11 ans et deux mois. Il clôture ainsi à 2 905 points, soit 3,33% en hebdo et 11,5% en cinq semaines.

Le S&P 500 (1,45% à 1 345 points) retrace son zénith de mai 2011. Le Dow Jones (1,23%) le surpasse à 1 862 points (pour un gain de 1,7% hebdomadaire). Ces deux indices ont mis moins d’une demi-heure pour atteindre leur zénith ; ils se sont ensuite contentés d’effectuer pendant six heures une suite de mouvements browniens au sein d’un corridor de fluctuations n’excédant pas les 0,3% d’amplitude.

▪ Les robots « contrôlent » tout
Encore une preuve de l’action résolue des robots algorithmiques pour faire reculer artificiellement le VIX sous les 18 et instaurer un climat de confiance totalement déconnecté de la réalité économique et géopolitique. Toujours cette même illustration de la « queue qui remue le chien » avec un message implicite qui donne envie de s’arracher les cheveux !

Le marché voudrait nous faire croire que la crise de 2011 engendre une situation plus prometteuse pour les entreprises cotées qu’avant la débâcle de l’été 2011.

Difficile de comprendre en quoi la conjoncture s’est améliorée par rapport à mai 2011. Mais les marchés ne jurent que par la promesse de la Fed de mettre à sa disposition un argent gratuit en quantité illimitée jusqu’à fin 2014.

▪ Chômage américain : d’où sortent ces bonnes statistiques ?
En ce qui concerne la seule statistique positive de la semaine, personne ne semble se demander pourquoi la totalité des experts (payés fort cher) et des cellules d’analyse économique des plus grandes banques d’Amérique se sont fourvoyés à ce point sur les chiffres de l’emploi publiés vendredi.

Les statisticiens du gouvernement ont recensé 243 000 nouveaux postes en janvier, le double de l’estimation basse du marché, la borne haute étant située à 150 000.

Beaucoup d’emplois à mi-temps sont apparus en janvier (cette prolifération est assez inhabituelle en début d’année) mais personne ne réclame d’en connaître la cause.

En ce qui concerne la baisse de 0,2% du chômage, cela s’explique aisément. Faites un petit toilettage des listings des sans-emploi, ajoutez-y le retraitement statistique des chiffres de la population active : cela permet d’orchestrer une embellie artificielle là où il n’y a que stabilisation du marché du travail — et vous obtenez votre baisse du chômage !

Le taux de chômeurs à temps plein et temps partiel n’a pas varié… pas plus que le nombre d’heures hebdomadaires travaillées ; les revenus (primes comprises) n’ont augmenté que de 0,2%.

Là encore, il s’agit d’une reprise pour le moins atypique. En effet, d’ordinaire, les heures supplémentaires progressent (et les revenus des salariés dans les mêmes proportions), puis vient le recours à l’intérim et en dernier lieu les embauches à temps partiel — la clé des bons chiffres de janvier.

Ce qui nous apparaît peu contestable, c’est que les entreprises américaines ont dans leur grande majorité été au bout de leur logique de compression des coûts par la réduction des effectifs.

Elles ne peuvent plus faire autrement que d’embaucher lorsque de nouvelles commandes se signent et c’est heureusement le cas dans l’industrie aéronautique, ou lorsque les ventes repartent comme dans l’industrie automobile ou l’e-commerce. Mais il est vrai que les 13 000 licenciements annoncés par AMR (l’un des principaux clients de Boeing) font un peu tache !

Reste maintenant à déterminer combien de temps les indices boursiers vont se mettre à recoller à la réalité économique. Il suffit d’un catalyseur — et l’échec des négociations sur le (quasi-impossible) sauvetage de la Grèce paraît presque trop évident.

Ce serait le cas si le marché avait un cerveau… mais nous avons affaire à un robot !

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