▪ Après un printemps caniculaire, nous voici confrontés à un été quasi hivernal ! Alors oubliez le climat anxiogène qui règne sur les marchés, oubliez la question des dettes souveraines, oubliez le risque de désintégration de la Zone euro entraînant une crise systémique majeure… Il faut revenir aux fondamentaux — et la hiérarchie des sujets proposés lors des journaux télévisés nationaux des dernières 24 heures remet les pendules à l’heure.
Ce qui fait la une, ce sont ces campeurs de la côte Atlantique qui voient leur tentes inondées depuis trois jours du fait d’une pluie incessante… la température de l’océan est retombée à 18 degrés… des centaines de cyclistes ont été secourus au col du Galibier, piégés par une tempête de neige à 2 500 mètres d’altitude — alors qu’il y fait souvent 30 degrés à la mi-juillet.
Plus dramatique encore, deux alpinistes chevronnés sont morts de froid dans la nuit de lundi à mardi dans la zone du Dôme du Goûter, le dernier ressaut avant d’attaquer le sommet du Mont Blanc. Il y serait tombé 70 centimètres de neige en quelques heures, un record pour la saison. Les conditions météo épouvantables ont empêché les hélicoptères de s’aventurer au-dessus des 4 000 mètres, alors que les victimes étaient en train de succomber vers 4 300 mètres par un vent glacial soufflant à 100 km/h.
Il est de ces circonstances adverses où même avec la meilleure volonté du monde, il s’avère impossible d’effectuer des sauvetages qui n’auraient posé aucun problème s’ils avaient été entrepris seulement quelques heures ou même quelques dizaines de minutes plus tôt.
Il se peut également que l’appel au secours soit venu trop tard… mais il est quasi certain que les deux grimpeurs ont pris un risque en entreprenant une course longue et périlleuse sur fond de conditions météo en cours de dégradation.
Il leur aurait fallu sortir très vite de la zone la plus exposée. Ils auraient ainsi pu regagner les refuges d’altitude (cabane Vallot — toute proche mais délabrée — ou Aiguille du Goûter, presque un hôtel mais situé beaucoup plus bas, à deux bonnes heures de marche) avant que la tempête se déchaîne et que la visibilité devienne nulle.
Je connais bien l’endroit pour avoir effectué l’ascension du mont Blanc par le versant est (via le Tacul et le mont Maudit) et avoir emprunté pour redescendre la voie normale, où s’est déroulé le drame. Cette dernière cesse de l’être (normale) dès que le vent se lève… car ça souffle souvent très fort dans le secteur du col du Dôme et des « bosses », même si le temps a été plutôt calme par ailleurs lors de la montée et de l’attaque du sommet.
▪ Ce que je viens de relater me semble constituer une bonne métaphore de la crise grecque : l’accession à la Zone euro s’est effectuée tandis que de lourds nuages pointaient à l’horizon.
Il aurait peut-être été plus prudent de renoncer, mais l’échéance olympique de 2002 a forcé la décision. Des millions de visiteurs européens allaient ainsi s’épargner une conversion de leurs euros en drachmes… Et puis quel plus beau symbole que l’intégration en 2001 du berceau de la démocratie parmi les pays fondateurs de la monnaie unique ?
La Grèce a donc rejoint la cordée européenne précocement, sans préparation physique adaptée. Là où la course prenait huit heures à des alpinistes entraînés, il lui en fallait 12 — à condition que la météo reste clémente… Avec la tempête économique qui s’est levée en 2008, la redescente s’est transformée en calvaire puis en débâcle.
L’appel au secours est venu trop tard. Il aurait fallu le lancer dès l’automne 2009, quand des vents contraires ont commencé à souffler sur la dette grecque (cascade de dégradations entre novembre et décembre 2009). Non pas en mai 2010, quand Athènes s’est retrouvée perdue en haute altitude avec une dette représentant 150% du PIB et plus un euro en caisse pour rembourser les intérêts, alors que plus personne ne parvenait à distinguer le sol du ciel.
L’hélicoptère de la BCE, flanqué de celui du FMI, a décollé alors que la situation apparaissait déjà désespérée. On a largué au jugé des vivres, une tente et des couvertures de survie — aussi haut que la météo permettait aux appareils de grimper –, mais les chances de les localiser au sol, dans une purée de pois complète, étaient quasi nulles. La suite, vous la connaissez.
Certes la Grèce n’est pas morte physiquement mais elle l’est économiquement selon Nouriel Roubini, qui plaide pour une refonte du fonctionnement de la Zone euro. Les équipes de secours savent qu’elle est victime d’engelures irréversibles et qu’il faudra se résoudre à l’amputer de la plupart de ses membres (restructuration de sa dette à hauteur de 50%).
Même équipée ultérieurement de coûteuses prothèses, elle ne pourra plus suivre le mouvement. Il ne serait pas humain de l’abandonner à son sort dans l’état où elle se trouve aujourd’hui… Et si ses partenaires jugent impossible de la porter pour accomplir les prochaines courses (ce qui mettrait en péril l’ensemble de la cordée), il faut envisager pour elle un autre destin que celui que l’Europe lui croyait promis.
La probabilité d’une sortie de la Grèce de la Zone euro reste élevée. Les Allemands ne sont guère apitoyés par les souffrances dont se disent victimes les manifestant athéniens : ils considèrent que les Grecs ont triché sur leur CV en se prétendant qualifiés et entraînés pour accomplir des courses en haute montagne (le faux certificat d’aptitude étant contrefait par Goldman Sachs).
Si les autres cordées européennes s’étaient mises d’accord pour remonter les rechercher en zone de tempête, tout le monde y serait resté… par la faute de ces mythomanes imprudents qui passent plus de temps sur leur chaise longue qu’à avaler du dénivelé et à entretenir leur musculature (selon certains responsables politiques germaniques).
La Grèce a pourtant fait illusion durant sept ans, et chacun s’en accommodait. Le véritable drame — c’est mon opinion d’ancien alpiniste qui se rabat désormais sur les rochers de Fontainebleau, plus techniques mais moins éprouvants qu’une course en face nord –, c’est que personne ne s’est préoccupé de la voir prendre du retard tandis que les nuages et la neige n’allaient pas tarder à la rejoindre… puis à l’engloutir.
C’est à mi-course qu’il aurait fallu leur donner un coup de main, alléger leur sac, leur donner une barre vitaminée et des fruits secs… et, s’il en restait dans un thermos, une boisson chaude bien sucrée (à cette altitude, l’eau ou le jus de fruit gèlent ou bout d’une heure, même au fond de gourdes dites isothermes ; pour le vin blanc, en revanche, pas de problème !).
Mais l’attitude qui a prévalu, c’est le « chacun pour soi » et le « dernier arrivé paye l’apéro ».
Sauf qu’il ne s’agit pas d’une balade en vélo. Des cordées en difficulté, il en reste au moins quatre, épuisées par des taux supérieurs à 6%, et qui ont été avalées par le brouillard : l’Irlande, l’Italie et le Portugal qui marche en tandem avec l’Espagne.
▪ La Grèce est en perdition, chacun le sait… mais qu’en est-il des quatre autres ? L’Allemagne qui a fait toute la course en tête, à son rythme, bien servie par un équipement sur mesure (un alliage de BCE et de Bundesbank), n’a pas l’intention de faire demi-tour pour aller leur prêter main forte, comme le leur demande la cordée française. Si les PIGS ne savent pas gérer leur effort ni se servir d’une boussole et d’un altimètre… tant pis pour eux !
Angela Merkel a averti les marchés mardi après-midi qu’il ne fallait pas compter sur le sommet de demain pour aboutir à des résultats spectaculaires et résoudre tous les problèmes du moment. Au moins, cela prouve qu’elle a bien l’intention de se rendre à Bruxelles pour négocier.
La solution de la taxe bancaire pour alimenter un fonds de secours à la Grèce semble tenir la corde. Cela éviterait le diagnostic d’un défaut de paiement — même partiel — par les agences de notation… ce qui entraînerait ipso facto la volatilisation des fonds propres de la BCE, un désastre absolu.
▪ Maintenant que nous avons largement évoqué le froid et l’effroi, tournons-nous vers Wall Street : à quelques heures d’intervalle, nous découvrons des marchés américains qui retrouvent l’ivresse des sommets. La Bourse de New York a signé ce mardi sa plus belle progression de l’année, avec un Dow Jones qui s’envole de plus de 200 points (+1,63%, tout comme le S&P) à 12 587 points. Le Nasdaq bondissait de son côté de 2,22%.
Le Dow Jones enregistre sa plus forte hausse depuis le 10 décembre et se retrouve à 2% de son record annuel de la mi-février. Les gains initiaux ont été maintenus jusqu’à la mi-séance puis se sont soudain accélérés lorsque Barack Obama déclarait vers 20h que les négociations sur la dette avec les républicains avaient — enfin — progressé vers un compromis.
Cela a aussitôt été interprété comme la confirmation que le plafond de la dette va être relevé avant la date butoir du 2 août (donc pas de risque de défait de paiement). Dans ces conditions, les détails des mesures de réduction des déficits importent peu.
Pour finir la journée de mardi en beauté, Apple a bondi de 7,5% à 404 $ — c’est le plus haut cours jamais traité sur le titre — en transactions hors séance. Cela après la publication de résultats canons : 7,79 $ de profit par titre contre 5,85 $ anticipés… un chiffre d’affaires supérieur à celui d’IBM, à 28,57 milliards de dollars contre 15,5 milliards un an plus tôt… 20 millions d’iPhone vendus…
C’est tellement énorme que cela faisait bondir le Nasdaq de 0,75% supplémentaire vers 23h, soit un gain de 3% qui fait une nouvelle fois exploser le différentiel de performance par rapport aux indices de la Zone euro. Ces derniers n’ont engrangé que 1,2%… dans la douleur, en bons « derniers de cordée ».