La Chronique Agora

La Grèce avait-elle sa place dans la Zone euro ?

▪ Nous avons abondamment décrit hier l’étrange acharnement des médias anglo-saxons contre les valeurs bancaires françaises ; les attaques se sont d’ailleurs poursuivies jusqu’en fin de matinée. Mais notre rôle ne saurait se borner à pointer du doigt les dysfonctionnements et les chausse-trappes qui guettent les investisseurs.

Nous travaillons sur des marchés qui ont délibérément renoncé à leur rôle premier, qui est de fixer la juste valeur d’un actif. Au lieu de cela, ils ont la prétention d’imposer leurs vues aux banques centrales, aux élites politiques et même aux populations de continents entiers.

Le télescopage entre les exigences immédiates des marchés et la lenteur de la sphère politique crée une distorsion des stratégies qui met l’ensemble de l’économie en danger.

Il devient urgent (eh oui, nous succombons également à ce travers) de juguler l’influence d’un court-termisme des marchés qui se veut impérieux et fait table rase des réalités économiques dont le champ d’expression est le moyen ou le long terme.

Le sommet de l’absurde est atteint avec le trading à la milliseconde où le cours devient l’information (et non l’inverse) et induit des extrapolations surréaliste sur la valorisation des actifs boursiers — et plus grave encore — obligataires.

L’alternance de silences assourdissants et de cacophonie des élites politiques européennes est également consternante. Ils semblent d’abord sans réaction face à des comportements de marchés inadéquats, voire inacceptables ; ensuite, chacun exprime son point de vue égoïste sur la crise en essayant de prendre l’ascendant sur son voisin.

Nous avons le sentiment de revivre une des célèbres expériences du professeur Laborit : il mettait en évidence que lorsque l’on place des rats dans une cage et qu’on les soumet à un stress (comme une décharge électrique dans le sol), ils se battent entre eux au lieu de chercher à sectionner avec leurs dents le câble d’alimentation.

Ce ne sont pourtant que des rats, et leurs capacités d’abstractions sont limitées, alors que nous autres les humains sommes censés comprendre la nature de ce qui nous nuit… et identifier qui cherche à nous nuire.

Nous prétendons par ailleurs avoir la capacité de détecter les mains invisibles qui tentent de nous manipuler grâce à la profondeur de notre sens critique.

Gouverner c’est prévoir, prétend le dicton. Mais pour maîtriser son avenir, il faut également faire la bonne analyse de la situation présente et oser prendre des décisions pragmatiques — c’est-à-dire courageuses et pas forcément consensuelles.

Dès qu’un dogme (économique ou politique, et souvent les deux à la fois) s’en mêle, la remise en cause d’un système déficient devient compliqué. Si une crispation intellectuelle ou corporatiste s’y rajoute, échapper à une situation de crise devient mission impossible.

▪ Voyez sur quoi débouche la tentation germanique de punir la Grèce pour ses péchés.

Nous admettons volontiers que la Vertu ne saurait éternellement tirer des chèques en blanc pour secourir le Vice (et la fraude fiscale). Sauf que c’est une façon un peu trop simpliste de présenter le cas de figure qui menace de faire exploser la Zone euro.

La Vertu a d’abord fermé les yeux et s’est montrée bien complaisante durant presque une décennie. Elle devait y trouver son compte d’une manière ou d’une autre !

L’argument selon lequel le Vice avait bien caché son jeu ne tient pas : combien de millions de touristes allemands ont pu constater que tout se règle en liquide en territoire hellénique ?

Ne pas associer ce phénomène à une opportunité de fraude confine à l’irresponsabilité.

La Vertu ne nous semble pas en mesure de se draper dans l’innocence bafouée pour refuser toute forme d’excuse à un Vice qui cherchait bien peu à se dissimuler.

Les bidouillages de la comptabilité publique par Goldman Sachs ont probablement fait les affaires des élites de Bruxelles (et de Francfort) lorsqu’il a été question d’intégrer la nouvelle recrue dans l’espace européen, au motif qu’elle satisfaisait à la plupart des critères de Maastricht. Il est d’ailleurs amusant de se souvenir qu’à un an des Jeux olympiques d’Athènes, ce point de vue était largement partagé.

Résultat, tout le monde admet aujourd’hui que la Grèce a triché. Ce qui nous paraît beaucoup plus intéressant, c’est que même les plus rigoristes des parrains de la Zone euro reconnaissent aujourd’hui que son mode de construction intégrait une bonne dose d’aveuglement dogmatique.

Ce n’est pas que les principes initiaux étaient stupides, c’est juste que leur juxtaposition ne fonctionne pas. Rendons grâce aux Grecs d’avoir fait éclater au grand jour cette évidence !

Maintenant que la chose est admise, il faut effectivement cesser de produire des discours auxquels plus personne ne croit. Il convient surtout de proscrire des comportements d’agression entre les membres de l’Eurozone qui ne font qu’ajouter de l’imbécilité aux difficultés du moment.

Et puisque nous évoquions des solutions en préambule, il existe effectivement des outils comme le FESF. Il suffit de brancher l’air comprimé pour que le burin se transforme en marteau-piqueur. Combien de temps va-t-on encore refuser de le mettre sous tension au prétexte que son fonctionnement est trop bruyant ? Combien de temps la Fed a-t-elle hésité en septembre 2008 ?

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