La Chronique Agora

La Grèce prend l’Allemagne et la Zone euro à revers

▪ Tout au long de la semaine dernière, j’ai souligné que les +4% du lundi 22 juin (oui d’accord, c’était +3,82% à Paris, qui avait pris +1,5% le lendemain) ne reposaient que sur la "foi du charbonnier" dans la force immanente et irrésistible des marchés et leur capacité à soumettre à leur volonté n’importe quelle entité privée ou publique, quelle que soit son importance.

Tenez, Wall Street est convaincu depuis les années Greenspan que la Fed lui obéit au doigt et à l’oeil. Les big boys savent convaincre la Fed de regarder ailleurs quand se forme une bulle boursière ou que la sphère financière se transforme en joueur de bonneteau sans foi ni loi.

Et lorsque la situation tourne au désastre, la Fed est priée ("sommée" serait un terme plus approprié) de voler au secours des marchés en abaissant les taux, en imprimant de la monnaie à gogo, en rachetant les actifs toxiques détenus par les opérateurs systémiques, fauteurs de chaos et de ruine.

Tenez par exemple hier soir, après une rechute de 4% des places européennes, les marchés ont "convaincu" l’un des collègues de Jack Lew (secrétaire au Trésor US) de faire connaître aux Européens la préoccupation des milieux d’affaires américains face à la tournure chaotique prise par le dossier grec… avec en filigrane l’exigence d’inventer une solution — peu importe qu’elle soit purement cosmétique ou carrément bidon — qui fera retomber la pression au plus vite.

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Parce qu’une envolée de 36% du VIX — le baromètre du stress –, cela fait un peu désordre dans le paysage financier en cette veille de trêve estivale. "On ne va pas laisser ces maudits Grecs gâcher nos vacances… d’ailleurs, j’ai trouvé un superbe petit Relais & Châteaux super exclusif à Santorin pour ce mois de juillet, je te le recommande si tu ne sais pas comment dépenser ton prochain bonus".

N’importe quelle annonce d’une reprise des négociations serait la bienvenue ce mardi

▪ Ca va mal sur les marchés
N’importe quelle annonce d’une reprise des négociations serait la bienvenue ce mardi. C’est en effet le dernier jour du premier semestre 2015 — et après une rechute de 2% lundi (la plus forte chute pour le S&P 500 depuis avril 2014), les indices américains viennent de repasser négatifs sur le second trimestre.

Le Dow Jones vient même de passer dans le rouge depuis le 1er janvier ; une deuxième séance du même acabit effacerait la totalité des gains résiduels sur le S&P 500 (qui retrouve ses niveaux de la fin mars) ou le Russell 2000.

Oui, six mois pour rien pour l’indice historique et trois mois pour rien pour les deux principaux indices larges… Cela s’appelle une "phase de distribution".

Les big boys (ou les fat cats) digèrent le triplement du S&P ou du Russell 2000 en six ans. Ils sont convaincus que le marché n’a plus de potentiel parce que le feu haussier a tout consumé sur le flanc de la montagne de dettes bâtie par les Etats et les banques centrales.

Il reste cependant de belles flammes visibles de très loin… et il y a surtout beaucoup de fumée qui dissimule la ligne de crête. A moins de connaitre très précisément la topologie de la région, n’importe qui pourrait se laisser convaincre que le feu va encore dévorer des kilomètres de pente alors qu’il ne va pas tarder à s’éteindre faute de combustible disponible sur l’autre versant.

▪ Que fait Rambo ?
Pour en revenir à la Grèce, le marché avait parié sa chemise sur l’écrasante supériorité financière, psychologique et politique des créanciers regroupés sous la bannière de la Troïka.

John Rambo avec tout son arsenal d’armes lourdes biens huilées allait écraser en un week-end le poids plume grec, réputé se battre avec une épée de bois qu’il sait à peine manier puisque n’ayant commencé l’entraînement qu’il y a tout juste quatre mois.

Alexis Tsipras a réussi à attraper Rambo par la phalange du petit doigt

Mais Alexis Tsipras a réussi à attraper Rambo par la phalange du petit doigt (oui je sais, l’image semble tirée de Kung-Fu Panda quand Pô terrasse le très redoutable tigre Taï Lung… mais c’est un peu l’idée en vérité) — et pour l’instant, c’est le gros costaud qui grimace de douleur et met un genou à terre.

Alexis Tsipras sait bien qu’il ne pourra pas tenir la prise longtemps, parce qu’au bout d’un moment, la douleur s’estompe et le prochain coup décoché par Rambo sera dévastateur.

La seule solution de survie consistait à s’enfuir par surprise et à sortir au plus vite du champ de tir. C’est ce qu’il a réussi à faire en appelant le peuple grec à répondre à un référendum.

Rambo ne va tout de même pas anéantir toute la population grecque pour pouvoir "ajuster" Alexis Tsipras puis l’aplatir comme un insecte contre les remparts du Parthénon !

Certains gérants et stratèges, ulcérés par la perfidie des Grecs qui fuient le combat au lieu de se laisser courageusement exploser la mâchoire, enragent et certifient que Tsipras et le peuple grec viennent de signer leur arrêt de mort.

▪ Ambiance…
J’ai lu sous la plume de Christopher Dembik — que j’apprécie au demeurant et que je salue avec un clin d’oeil taquin dépourvu de toute méchanceté — que les Grecs pourraient devoir recourir bientôt aux tickets de rationnement (après tout… 50 millions d’Américains sont bien soumis à ce régime depuis huit ans).

J’ai aussi entendu de la bouche de Jean-Claude Dassier — qui sévit à Valeurs Actuelles — que Tsipras était responsable de tous les maux actuels de la Grèce.

Une Grèce qui — je le cite — "venait juste de renouer avec la prospérité avant l’élection de ce gauchiste irresponsable, ce joueur de flute lâche, menteur et idiot [tout est authentique] ne vienne plonger le pays dans le chaos… mais son propre peuple finira par mettre sa tête au bout d’une pique".

Vous voyez un peu l’ambiance ?

Et bien, il y a des flopées de Jean-Claude Dassier — des Rambos de la pensée financière et politique — dans les rangs des créanciers, pour qui tout ce qui est de gauche constitue l’antichambre du Stalinisme ou de la désintégration économique façon Zimbabwe !

Imaginez tout ce qui a dû revenir aux oreilles de Yanis Varoufakis et Alexis Tsipras depuis l’entame des négociations en février dernier. Traités avec mépris par tant d’interlocuteurs aux poches bien pleines, traînés dans la boue par la presse populiste britannique et allemande, pris de très haut par Wolfgang Schaüble pour qui tout ce qui n’imite pas ou n’obéit pas à l’Allemagne est sur le chemin de la perdition et doit être "redressé" sans faiblesse.

M. Schaüble a-t-il oublié que son Allemagne, vaincue quand il avait 20 ans, a fait défaut en 1948 avant de voir sa dette résiduelle effacée aux deux tiers fin 1953 par ses créanciers européens… qui n’étaient même pas encore ses partenaires et n’avaient aucune obligation de solidarité.

Maintenant que nous sommes prétendument "une grande famille", unis par une même monnaie, voilà que le "raté de service", le tricheur, le noceur impénitent peut bien agoniser devant notre porte sans que cela ne nous émeuve, accablé de reproches et d’invectives, avec juste assez d’eau pour ne pas mourir avant demain matin.

Mais comment a-t-on pu ouvrir notre porte en 2001 à un tel "cas social dégénéré" ?

Mais comment a-t-on pu ouvrir notre porte en 2001 à un tel "cas social dégénéré" ?

Ah oui, c’est vrai, c’était l’un des premiers acheteurs — à crédit bien sûr — d’armement allemand et français (chars, hélicoptères, navires de surveillance côtière, systèmes radars, obusiers, etc.).

▪ Attention aux risques par ailleurs
Je referme cette petite page d’histoire sympathique pour exprimer l’hypothèse — corroborée par des tweets de Dominique Strauss-Kahn, en charge du cas grec au FMI en 2010/2011 — que les créanciers de la Grèce n’ont peut-être pas eu un comportement exemplaire… et le tout-austérité s’est révélé un poison mortifère sur une économie déjà en dépression depuis 2005 (ce n’est pas moi qui l’affirme, ce sont les propos de DSK).

En d’autres termes, les marchés ont traité les dirigeants grecs avec beaucoup d’arrogance, convaincus que c’est le seul ton qu’il convient d’employer avec ce genre de "crevards désargentés" (ça, c’est du Jean-Claude Dassier… qui s’y entend davantage en football et en gestion de l’OM qu’en gestion d’une nation souveraine et en diplomatie).

La Grèce n’avait "pas d’autre alternative" (la célèbre formule de Thatcher) que de se coucher, de capituler en rase campagne le week-end dernier… D’ailleurs, avec un peu de chance, Tsipras aurait commencé les consultations en vue de se trouver un successeur une fois acceptées les conditions humiliantes du FMI et de l’Allemagne, ce qui allait forcément le condamner politiquement.

Oui, c’est bien ce scénario que les gérants et stratèges ont martelé tout au long de la semaine dernière, avec cette conclusion imparable : si les indices ont pris 4% lundi dernier, c’est bien qu’il n’y a aucun doute sur le maintien de la Grèce en Zone euro après le nécessaire –l’inévitable — suicide politique de Tsipras.

Une vision totalitaire largement partagée qui, comme beaucoup de consensus idiots — et limite malveillants — pourrait finir par coûter très cher. Cela d’autant que la guerre continue de faire rage au Proche-Orient (avec des renversements d’alliances assez stupéfiants aux frontières turques) et que l’éclatement de la bulle boursière la plus imbécile de la décennie s’accélère en Chine avec l’enfoncement lundi des 4 000 points à Shanghai.

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