** Les vendeurs gardent la main, les ours semblent tenir leur revanche… mais nous soupçonnons les acheteurs du quinquennat 2002/2007 d’être les pourfendeurs des indices boursiers depuis fin décembre.
Le CAC 40, le Nasdaq 100 ou l’Eurotop 100 flirtaient dangereusement avec le fil du rasoir en clôture ce mardi, les places boursières dévissant collectivement de 2,35%. Paris chute à la verticale de 2,83% — sous les 5 260 points, qui constituaient le plancher de la mi-août — inscrivant sa plus forte baisse depuis le 26 juillet dernier et sa plus basse clôture depuis le 3 octobre 2006. La vigueur des dégagements tous azimuts est attestée par un spectaculaire gonflement des volumes à huit milliards d’euros sur les poids lourds de la cote.
Les dégâts furent encore plus impressionnants chez certains de nos voisins ; Londres ou Amsterdam ont plongé de 3,1%, devançant Madrid qui s’effondre de 3,4%.
Ce genre de capitulation des cours, après 15 jours de baisse ininterrompue, peut soit précéder un fort rebond (sur des supports moyen terme facilement identifiables), soit préfigurer une phase de consolidation comme il n’en a plus été observé depuis 2002 — chaque cassure de support déclenchant de nouveaux stops à la vente.
Les opérateurs, qui réduisaient progressivement leur exposition sur les actions depuis le 28 décembre 2007, semblaient n’attendre pour vendre à tout va que la confirmation d’un scénario de récession aux Etats-Unis (jugé probable à plus de 50% par Alan Greenspan). C’est chose faite avec le recul de 0,4% des ventes de détail aux Etats-Unis au mois de décembre, en plein rush de Noël.
Le symptôme technique le plus inquiétant, c’est le plongeon du dollar sous les 107,3 yens (à 106,75 au plus bas)… une conséquence quasi inéluctable du hiatus des politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique.
** En Europe, les espoirs de baisse de taux sont nuls ; les risques de voir la BCE prendre le contre-pied de la Fed ces deux prochains mois ne sont pas négligeables, alors que l’inflation atteint en France le seuil des 2,6% en rythme annuel fin décembre 2007 (et 3% en Zone euro).
Sur le front sectoriel, les valeurs automobiles, victimes d’un abaissement de recommandation du Crédit Suisse ont été laminées. Michelin a plongé de 6,2%, Peugeot de 6,1% et Renault de 5%… Les para-pétrolières n’ont pas été épargnées, avec Vallourec fermant la marche (-8,15% à 141,1 euros) ou CGG Veritas, qui dévissait de 6,4%, tandis que Technip chutait de 4,3%. Les valeurs bancaires ont paradoxalement limité leurs pertes (avec -2,5% en moyenne sur Société Générale, Crédit Agricole ou BNP Paribas). Le secteur était littéralement sinistré à Wall Street après la divulgation des 9,83 milliards de dollars de pertes de Citigroup, plombé par 8,1 milliards de dollars de dépréciations d’actifs liés au subprime.
La journée avait plutôt mal commencé en Asie : -1% sur le Nikkei, qui enfonçait le plancher long terme des 14 000 points, et -2,4% à Hong Kong. La chute du dollar face au yen ou au won coréen risque de peser plus lourd sur les actions asiatiques que celle du Dow Jones (-1,7%), qui préserve les 12 500 points.
A la clôture, Wall Street finissait à genoux, les mains crispées sur l’estomac : les premières aigreurs d’après-banquet de fin d’année virent à la gastro-entérite aiguë.
Les acheteurs s’étaient mis à la diète depuis le 1er janvier, mais un régime sec ne suffit pas à désengorger un foie surchargé par plus de cinq ans d’excès de boisson alcoolisée… Le champagne avait commencé à couler à flot au printemps 2003 mais l’accoutumance a rapidement atténué les effets euphorisants. Les investisseurs sont alors passés aux cocktails (baisse de taux + carry trade) puis aux mélanges de produits distillés titrant plus de 50° (les CDO, ABS et autres dérivés de crédit plus ou moins frelatés).
La cirrhose qui frappe le système bancaire américain menace de dégénérer en récession ; le bon docteur Greenspan, qui a encouragé et traité ces excès de boisson durant 18 ans, juge cette évolution probable à plus de 50%, pour cause de poursuite des déboires liés au secteur immobilier : ce diagnostic tétanise littéralement les analystes.
** Des pertes de 7,3% ont affecté le numéro un américain Citigroup ; Wells Fargo a dévissé de 6,1%, JP Morgan de 5,3%, Bear Stearns de 5,2%, Goldman de 4,2%, Bank of America de 3,5%. Les promoteurs, très vulnérables au resserrement de l’offre de crédit, se sont de nouveau effondrés : Pulte Homes cédait 6,8%, Kaufman & Broad 6,6%, Lennar 6,4% (soit une moyenne de -5,5% pour le compartiment immobilier).
En d’autres termes, tous les voyants passent au rouge à Wall Street… et les investisseurs n’en seront pas quittes pour une grosse frayeur causée par une clôture du Dow Jones en repli de 2,20%, sur le seuil psychologique des 12 500 points, et un plongeon de 2,8% du Nasdaq 100 à 1 894 points (soit -9% depuis le 1er janvier).
En effet, peu après la clôture, Intel a publié des trimestriels inférieurs aux prévisions avec un chiffre d’affaires de 10,7 milliards de dollars (contre 10,8 à 11 milliards de dollars anticipés) et un revenu par titre de 38 cents au lieu des 40 cents anticipés. Le titre, déjà éprouvé au cours de la séance de mardi, abandonnait 15% quelques minutes plus tard en OTC (cotations électroniques) à 19,5 $, soit une perte cumulée de 27% depuis le 1er janvier.
Il est légitime de redouter qu’un tel trou d’air ne précipite les indices américains en deçà des planchers du 9 janvier, voire de mars 2007 tout prochainement. Le S&P a plongé de 2,5% et abandonne 6% depuis le début de l’année ; il a inscrit sa plus basse clôture depuis le 13 mars 2007.
La perte globale du S&P dépasse les 12% depuis le zénith des 1 576 points atteint à la mi-octobre 2007… et les anticipations de détente de taux qui provoquaient encore des poussées d’euphorie fin 2007 restent sans effet depuis le début de l’année.
Le plongeon du dollar sous le plancher des 107,3 face au yen (106,80 peu après la publication des chiffres de la consommation au mois de décembre) démontre que les gros détenteurs de dollars se détournent des Etats-Unis — faute de perspectives de croissance — et soldent leurs stratégies de carry trade au profit de l’euro ou même… de l’or.
** La journée de mercredi s’annonce sous haute tension psychologique avec la publication de l’indice des prix et de la production industrielle. Si l’inflation n’inquiète pas Wall Street, une nouvelle confirmation du risque de ralentissement économique pourrait ébranler le dollar et l’ensemble des indices américains… clairement au bord de la rupture.
La Fed pourrait cependant juger que les risques de voir la situation devenir incontrôlable justifient de devancer le calendrier et d’abaisser dans l’urgence le prime rate de 50 points de base. Cet assouplissement monétaire, ainsi qu’un prochain de 25 points, sont déjà dans les cours avec des T-Bonds 2018 qui affichent 3,7050%, soit une baisse de rendement de 9,5 points de base en 24 heures… Il demeure cependant un suspens sur le timing,la seule variable susceptible de causer un électrochoc positif que Ben Bernanke et ses collègues maîtrisent encore.
Bien que l’occasion de prendre à revers le vaste mouvement de consolidation inauguré dès le 21 décembre dernier semble se présenter avec le test simultané des 12 500 sur le Dow, des 5 250 sur le CAC 40, des 7 500 sur le Dax, des 3 000 sur l’Eurotop 100 et des 14 000 sur le Nikkei, nous éprouvons le fort sentiment que les marchés n’y croient plus alors que la corne d’abondance des dérivés de crédit ne crache plus que des fausses pièces.
Furieuse de voir les ours reprendre possession de leurs bols et de leurs fauteuils sans lui manifester le moindre égard, l’actrice (d’origine japonaise et choisie pour ses traits juvéniles) qui tenait le rôle de Goldilocks (pour le plus grand bonheur de Larry Kudlow) vient de quitter le plateau et de regagner sa loge pour y poser la perruque blonde sous laquelle elle étouffait.
Elle a bien hâte de se débarrasser de sa ridicule tenue enfantine (le rose nunuche équilibrant le blanc de la fausse dentelle) et de revêtir une tenue sportswear afin d’aller faire un bon jogging dans Central Park… histoire d’éprouver la délicieuse sensation du vent d’hiver s’engouffrant dans sa chevelure noir de jais.
Philippe Béchade,
Paris