La Chronique Agora

General Motors contre Facebook

** General Motors pèse 879 millions de dollars ; Facebook pèse 10 milliards de dollars. Vous avez besoin d’informations supplémentaires pour vous faire une idée de la solidité de l’économie américaine ?

– Le plus grand fabricant automobile du monde (jusqu’à l’année dernière) se précipite vers une faillite certaine, mais continue de s’accrocher à une capitalisation boursière de près d’un milliard de dollars. Pendant ce temps, le plus gros site internet de réseau social du monde, dont la contribution à l’économie mondiale se borne à du narcissisme et des messages instantanés ineptes, vaut 10 fois plus si l’on en croit l’investissement qu’une entreprise russe a réalisé mardi.

– Est-ce que ce sont là les données principales d’un renouvellement économique ? Facebook serait donc la solution pour un accroissement du PIB ?

– Vous pouvez mettre le nom de votre correspondant dans la colonne des sceptiques.

– Les actions américaines ont grimpé, cette semaine — pas l’or. C’est parce que la confiance des consommateurs est montée en flèche le mois dernier, mais pas le prix des maisons.

– "L’économie se redresse", déclare la masse grossissante des investisseurs haussiers. Le contingent d’investisseurs baissiers, qui diminue sérieusement, répond que "non, elle ne se redresse pas".

– Votre chroniqueur en partie baissier profite donc de l’air pur et de l’espace que lui fournit l’opinion minoritaire. Il est loin de la cohue des investisseurs qui se jettent sur la bourse comme les employés de Wall Street se jettent dans les wagons du métro en direction du centre ville. Il devrait peut être rejoindre la cohue… juste pour être sûr d’être là où ça se passe avant qu’il ne soit trop tard. D’un autre côté, il n’est pas entièrement convaincu que ce qui se prépare est le genre de chose dans laquelle il voudrait s’impliquer.

** Depuis sa position avantageuse, la seule donnée économique qu’il ait vue profiter d’une amélioration au cours des trois derniers mois, c’est le niveau du Dow Jones. Mais cette donnée est bien loin des réalités économiques de base.

– Tout d’abord, les initiés jouent avec les déclarations de revenus et les bilans pour donner un compte-rendu romancé des bénéfices réels. Ensuite, les médias spécialisés dans l’information financière jouent eux aussi avec les bénéfices d’entreprises et autres données macroéconomiques. Comme les petites filles habillent leurs poupées Barbie, les médias enlèvent le costume démodé de "Barbie Récession" pour enfiler la robe de soirée provocante de "Barbie Rémission". Ensuite, c’est au tour des investisseurs de réagir et d’analyser à leur manière l’image d’une réalité économique difficile reflétée par "Barbie Rémission".

– "Si l’économie n’était pas vraiment en pleine rémission", se disent-ils les investisseurs, "Barbie Rémission ne serait pas aussi belle. Les actions doivent être un bon achat. Dieu merci, Barbie Récession n’est plus là".

– Il arrive que nous, investisseurs, ne voyions que ce que nous voulons voir, peu importe ce que nous avons sous les yeux. Il arrive aussi que nous vendions nos actions précipitamment, parce que nous pensons que l’économie se détériore, même si les signes de rémission nous entourent. Et d’autres fois encore, nous achetons des actions parce que nous pensons voir une économie en pleine rémission, même si l’odeur fétide de la décomposition économique nous assaille les narines.

– Selon le Conference Board, qui a enregistré la plus grande hausse (depuis six ans) de l’optimisme des consommateurs sur un mois entier, les choses s’améliorent. Selon S&P/Case-Shiller, qui a rapporté une chute de 18% des prix des maisons d’une année sur l’autre, les choses vont de mal en pis. Apparemment, la plupart des investisseurs sont d’accord avec le Conference Board. Mais accrochez-vous : malgré l’augmentation de la consommation américaine le mois dernier, les chiffres sont bien en dessous de ceux de l’année dernière en septembre.

– Question : d’où vient cette importante modification ?

– Réponse : de la composante "attentes futures" de l’indice, qui est montée à son plus haut niveau depuis décembre 2007. La composante "conditions actuelles" a à peine bougé. En d’autres termes, l’espoir a triomphé sur la matière. Nous espérons que l’espoir continuera de triompher, mais la matière nous inquiète encore un peu.

– Chaque jour qui passe, divers politiciens, investisseurs professionnels et porte-parole affirment que l’économie se remet. Mais chaque jour de la semaine, l’économie échoue dans sa tentative de rémission… même si elle parvient à se détériorer plus lentement qu’auparavant.

– Malheureusement, une détérioration lente — comme un lent accès de lèpre — ne remettra jamais de chair sur des os, peu importe le temps que vous attendrez.

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