La Chronique Agora

GameStop ouvre une nouvelle ère en Bourse

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Le crédit et les politiques monétaires ultra-souples ont fondamentalement changé la Bourse. Des éléments comme GameStop, le bitcoin ou les NFT en sont le signe visible – et cela a de profondes répercussions pour l’investisseur particulier.

Un événement d’une portée considérable est intervenu il y a quelques semaines. Les observateurs en ont retenu le côté spectaculaire et n’en ont pas compris la portée.

Cet événement, c’est l’entrée sur le marché boursier des petits particuliers habitués des réseaux sociaux, notamment lors de « l’affaire » GameStop. Grâce à des maisons comme Reddit, ils ont pris conscience du fait que les prix boursiers étaient déconnectés de ce que l’on appelle traditionnellement les valeurs.

Ils se sont aperçus que des titres avaient des positions spéculatives à découvert très importantes en regard de ce que l’on appelle le flottant disponible. Ces petits spéculateurs ont formé un cartel et ils sont tous intervenus dans le même sens pour pousser les titres concernés à la hausse et faire ce que l’on appelle « courir les vendeurs ». Ils ont fait une sorte de « corner ».

En un mot, le public a découvert que le prix d’une chose était essentiellement déterminé par sa rareté. C’est une vieille découverte qui a été faite dans les années 1870 mais que, généralement, le public ne perçoit pas clairement : il reste marqué par les expériences séculaires de la valeur-travail ou de la valeur-utilité – dont nous avons parlé mardi –, il n’a pas encore accédé à la valeur-rareté.

C’est parce que le grand public en a pris conscience et que cela a fait les titres des journaux que maintenant l’idée chemine au travers des esprits.

Bitcoin aussi…

Si vous vous penchez sur le cas de Bitcoin, vous constatez que c’est le même phénomène de glissement de la notion de valeur qui est déterminant.

L’intérêt du bitcoin, si vous savez lire entre les lignes des journaux, se résume toujours à ceci : il est rare, sa production sera limitée et par conséquent étant rare face à des quantités de monnaies qui, elles, sont de plus en plus pléthoriques, le bitcoin finira par valoir très cher : the sky is the limit.

Récemment, nous avons franchi une étape supplémentaire.

Un tweet signé du fondateur du réseau social Twitter, certifié par divers moyens techniques, a été mis aux enchères pour 2,5 millions de dollars, si je ne me trompe pas.

On est donc allé plus loin. Une œuvre, si on ose l’appeler ainsi, purement numérique, garantie unique, a trouvé acquéreur, précisément grâce à ce caractère unique, pour 60,5 millions de dollars.

Je pense que vous avez compris où je veux en venir au travers de ces quelques étapes : nous sommes dans un mouvement de fond qui fait basculer au niveau du public la notion de valeur. La valeur a à voir avec la rareté, elle a à voir avec l’émission limitée, naturelle ou artificielle, elle a à voir avec la comparaison entre d’un côté la monnaie qui est créée à jets continus, et de l’autre côté le manque, le rationnement.

… Sans oublier le marché de l’art

Jusqu’à présent, cette notion, répandue au plan théorique chez les économistes, n’avait touché que des milieux très spécialisés comme, par exemple, le milieu des marchands d’art et des galeristes.

Eux ont compris depuis longtemps que grâce à cette notion de rareté certifiée par les signatures et les experts, on pouvait vendre très cher des choses qui ne présentaient aucun intérêt fondamental. Toute la valeur de l’art moderne est pour ainsi dire fondée sur la manipulation de cette fonction de valeur.

Jusqu’à présent, j’ai interprété la hausse continue des marchés financiers grâce au concept de jeu et de loterie. Fidèle à l’enseignement d’Adam Smith, j’ai expliqué que sur le marché financier avait été branchée une activité spéculative qui ressemblait beaucoup à une loterie.

Un titre se divise en quelque sorte en deux sous-parties, la première que l’on peut considérer comme le corps fondamental, la seconde que l’on peut considérer comme un billet de loterie.

L’âme humaine étant ainsi faite que les joueurs ont tendance à s’exagérer leurs chances de gagner au jeu, ils ont tendance à surpayer les billets de loterie. Dans la mesure où une tendance haussière de la Bourse constitue une sorte de tirage quotidien des gros lots, la loterie est branchée pour ainsi dire en continu.

Je pense que tout en étant encore valable et utile, mon interprétation doit être complétée. Il faut maintenant introduire cet élément supplémentaire que constitue la prise de conscience de la rareté relative des titres, actions et obligations, face à une quantité de monnaie qui, elle, ne cesse d’augmenter.

Les buybacks (les rachats de leurs propres titres par les entreprises) et les quantitative easings (ou QE, c’est-à-dire les rachats de dettes de l’Etat par la banque centrale) entretiennent en quelque sorte un mouvement de raréfaction.

Si je voulais être audacieux, j’irais jusqu’à dire que dans la voie qui est actuellement suivie d’une création de monnaie et de crédit sans limite et d’une offre de titres limitée par les buybacks et les QE l’avenir du marché, c’est le corner ; le jeu spéculatif sur le manque de papier face à une monnaie excédentaire.

Dans les temps anciens il y avait des sortes de freins aux excès car la valeur était lourde, pesante, rattachée à quelque chose – que ce soit le travail ou l’utilité. Détachée de tout, la valeur peut « buller », s’envoler. En contrepartie de cette frivolité, elle devient instable.

Avant on parlait – comme le fait encore Lidl qui joue la ringardise des couches sociales inférieures – du vrai prix des vraies choses.

Ces temps sont révolus.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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