La Chronique Agora

G20 ou j'y vais pas ?

** "Le diable aveugle ceux qu’il veut perdre", affirme un vieux dicton… Nous ne cessons de répéter qu’un scénario économique trop prévisible, c’est l’assurance d’un dénouement qui piègera le plus large consensus.

Hier, nous vous avions fait part de nos doutes au sujet du risque de voir la correction explosive de lundi — -5% sur pratiquement toutes les places boursières de premier plan — dégénérer en une vague de capitulation identique à celles observées mi-octobre ou mi-novembre 2008.

Nous avions évoqué la réouverture du petit musée des horreurs. Pour que la foule, déjà blasée par une succession de krachs depuis janvier 2008, connaisse le grand frisson — et que les plus téméraires en aient pour leur argent –, il fallait une nouvelle attraction qui fasse sensation. Une attraction du genre de celle qui faillit marquer l’extinction du système bancaire dans les jours qui ont suivi la mise en faillite de Lehman Brothers ou l’effondrement d’AIG.

Des colosses de la finance foudroyés par l’explosion des dérivés de crédit comme les dinosaures le furent par une météorite géante 60 millions d’années auparavant, cela avait sur le papier toutes les attraits d’un film catastrophe du meilleur effet. Sauf que la destruction massive de — fausse — richesse stockée sous forme de milliards de séquences de 0 et de 1 dans les ordinateurs ne constitue pas un spectacle qui marque les esprits.

Aucune image de dévastation absolue ne vient illustrer le désastre face auquel banques centrales comme hommes politiques se retrouvent pourtant sans défense.

Il a fallu les images chocs d’épargnants paniqués faisant la queue devant les guichets de Northern Rock dans les villes du nord de l’Angleterre pour que la crise financière fasse ressurgir dans l’inconscient collectif la notion d’un danger bien concret.

Mais si 1929 n’avait pas existé, les équipes de télé ne se seraient peut-être pas déplacées. Le phénomène — filmé sans les commentaires appropriés — n’aurait pas paru plus inquiétant qu’une file de consommateurs attendant l’ouverture de Woolworths, Harrods ou Bloomingdales un jour de soldes.

** En revanche, la faillite d’un General Motors — et ses 100 ans d’histoire de l’automobile potentiellement rayés des tablettes –, voilà de quoi captiver l’attention des foules, avec des images poignantes d’usines désertes aux murs taggés et aux vitres cassées, et de milliers de chômeurs faisant la queue pour s’inscrire sur les listings des agences fédérales gérant les demandes d’indemnisation des sans-emploi.

Inutile de vous faire un dessin, tout cela, c’est du pur fantasme. Des dizaines d’entreprises — notamment dans le secteur aérien au milieu des années 90 — ont eu recours à des procédures de redressement judiciaire. Le chapitre 11 de la loi sur les faillites a rendu encore plus efficaces les mesures de protection de l’entreprise à l’encontre de ses créanciers jusqu’à un retour à une viabilité financière et opérationnelle.

Les plans sociaux — certes inévitables et cruels pour des milliers de salariés — seront mis en place progressivement, mais le scénario n’aura rien à voir avec 1929.

Des usines seront fermées — cela se produit aussi lorsqu’une entreprise en plein essor modernise son appareil de production — et d’autres revendues (peut-être à des sous-traitants qui poursuivront la même activité).

General Motors n’a plus gagné d’argent depuis 2004. En outre, le constructeur est en crise, boursièrement parlant, depuis mai 2000 et un sommet de 94 $. Le sursaut de mars à décembre 2003 de 30 $ jusque vers 54 $ ne fut qu’une parenthèse dans le mouvement de repli général amorcé au tournant du XXIe siècle.

Bill Bonner fait partie de ces observateurs du monde économique qui postulent qu’une "fin dans la douleur vaut mieux qu’une douleur sans fin", et les actionnaires qui n’ont pas vendu leurs titres depuis la cassure du plancher des 20 $ — un support qui remontait à décembre 2005 — ont déjà perdu 18 $.

Ils risquent au pire de perdre deux dollars de plus — le seul mois de novembre 2007 leur en avait coûté 15 $ par titre –, ce qui ne va pas changer la face de Wall Street en terme de risque de tarissement de flux financiers.

** Cela fait également près de 18 mois que tous les analystes s’accordent à penser que GM n’est pas viable en l’état et que le poids de sa dette est insurmontable. Avec l’éviction brutale de Rick Wagoner, le concept du "too big to fail" s’effondre aux yeux du grand public.

Mais qui cela surprend-il vraiment à Wall Street ? Les investisseurs redoutent-ils qu’une profonde restructuration de l’outil de production et de la dette engendre un risque systémique ?

La réponse est, vous le saviez déjà, négative puisque les pires hypothèses sont déjà depuis longtemps intégrées dans les cours — et ce même si GM a reperdu 15% hier à 2,1 $.

Reste l’impact psychologique. Il a probablement été décisif lundi dernier ; les opérateurs ont vu défiler dans leur tête l’enchaînement des catastrophes que nous vous relatons — sans même avoir besoin de grossir le trait — depuis novembre 2007.

** Le Dow Jones a plongé de 300 points en quelques heures lundi, mais il a repris 100 points in extremis, évitant ainsi de clôturer sous 7 500 points. Hier, le Dow a gagné 200 points de mieux vers 21h avant de céder la moitié de ces gains en fin de séance.

Au final, le Dow engrange 7,7% sur l’ensemble du mois de mars, sa meilleure performance depuis octobre 2002 et le premier mois positif depuis août 2008. Le Nasdaq quant à lui fait un bond de 11%, du jamais vu depuis octobre 2002.

Vous faut-il une autre preuve d’une certaine forme de cynisme des marchés ? Ils ont déjà tourné la page General Motors, sur le constat que le dossier est désormais entre les mains des politiques et des tribunaux de commerce américains.

Vous souvenez-vous des objectifs envisagés pour le CAC 40 le 9 mars dernier, lorsque l’indice s’enfonça, comme dans du beurre, sous le seuil des 2 500 points ?

Le mois qui vient de s’achever se solde par une hausse de 8,75% des valeurs françaises. La déferlante de statistiques et d’actualités conjoncturelles les plus consternantes de ces 30 dernières années — nous en avions rajouté une bonne demi-douzaine à une liste déjà très longue hier — n’a pas empêché une hausse spectaculaire du CAC 40, de l’Euro Stoxx 50 ou du S&P 500.

Paris avait perdu 4,25% lundi, qu’à cela ne tienne, le rebond atteint 3,25% dès le lendemain. Nombre de vendeurs à découvert ont coupé leurs positions alors que le scénario baissier a fait un flop que personne n’aurait pu anticiper deux mois auparavant.

** Difficile de justifier un pronostic haussier durable alors que nous assistons à une nouvelle chute des prix des logements individuels aux Etats-Unis. Le repli atteint 19% sur 12 mois, 2,8% en moyenne sur le seul mois de janvier dans les 20 plus grandes métropoles du pays et 27% à 28% en 18 mois, ce qui en fait la correction la plus sévère observée depuis la Seconde Guerre mondiale — et ce n’est pas fini.

L’indice PMI de Chicago, le baromètre avancé de l’activité qui synthétise les intentions des directeurs d’achats, ressortait également en baisse de près de trois points à 31,4 contre 34,2… Mais deux heures plus tard, le Dow Jones gagnait près de 3%.

** Un échec du G20 de Londres serait désastreux, nous annonce-t-on depuis ce week-end. Jean-Claude Trichet appelle à l’unité des dirigeants, lui qui doit en avaler son exemplaire du Traité de Maastricht depuis que la Fed s’est vue autorisée à imprimer 300 milliards de dollars tout neufs il y a une dizaine de jours.

A peine Nicolas Sarkozy vient-il d’annoncer qu’il envisage de rentrer prématurément en France si les participants ne s’engagent pas sur des mesures concrètes en matière de régulation des flux financiers que le CAC 40 gagne 3%.

Les marchés ont-ils vraiment l’air de se soucier de l’unité des participants au G20 ?

** Les traders londoniens en revanche — y compris tous ceux qui affichent le même code vestimentaire ou un soupçon d’arrogance résiduelle dans le regard — craignent désormais pour leur intégrité physique. En effet, des manifestations anti-capitalistes ou dénonçant l’immoralité des moeurs financières de la City sont annoncées aujourd’hui.

Nous rappelons pour l’anecdote qu’un banquier licencié — quel que soit son niveau de rémunération initial — reçoit 60 livres sterling par semaine (somme forfaitaire, dégressive au bout de trois mois), comme n’importe quel autre salarié en Angleterre. Et les allocations en question représentent moins de 10% du salaire moyen outre-Manche !

Nous trouvons assez singulier que fleurissent des gros titres dans la presse réclamant la réduction des bonus "des nantis" mais pas l’augmentation des indemnités absolument dérisoires versées aux chômeurs qui sont pourtant bien plus nombreux à battre le pavé depuis quelques mois !

Désigner les banquiers à la vindicte publique et multiplier les gesticulations verbales au sujet des paradis fiscaux ne serait-il pas un expédient destiné détourner l’attention du vrai problème de fond ? Nous parlons là du manque de coopération politique des membres du G20 et des divergences de vue économiques insurmontables entre Anglo-saxons libéraux, Latins colbertistes/socialiste et germanophones adeptes d’un monétarisme dogmatique. 

Philippe Béchade,
Paris

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