La Chronique Agora

Fukushima ou le cancer du poumon économique nippon

▪ On ne peut qu’être abasourdi devant le déferlement de contre-vérités, de justifications de la hausse d’une mauvaise foi qui frise l’imposture, de commentaires au premier degré évoquant l’optimisme du marché — alors que l’écrasante majorité des gérants qui ne sont pas obligés de répliquer la hausse n’achètent pas le moindre titre.

Les mauvais chiffres sont systématiquement ignorés. L’indice ISM manufacturier américain a légèrement reculé à 61,2. Il en va de même pour les dépenses de construction (-1,4% au lieu de -0,2% anticipé, le plus bas niveau depuis octobre 1999). De ce fait, n’importe quel prétexte haussier est monté en épingle avec un enthousiasme démesuré.

Les super bons chiffres de l’emploi US correspondaient en fait à ceux attendus par les marchés. 216 000 créations d’emplois — après 194 000 en janvier et 200 000 anticipés, ça fait 10% de mieux qu’en février. Le taux de chômage continue en apparence de reculer (8,8% contre 8,9% au plus bas depuis mars 2009).

Mais c’est un recul en trompe-l’oeil. Ce dernier résulte de la disparition mécanique d’un nouveau contingent de chômeurs de longue durée. Ils sont purgés des statistiques officielles, leur délai d’indemnisation étant expiré. Il y a moins de chômeurs, mais davantage de personnes sans travail ou qui ont renoncé à en trouver un !

Les autres composantes de la statistique ne montrent aucun véritable rebond de l’activité économique. La durée hebdomadaire du travail reste inchangée (à 34,3 heures) et les revenus distribués stagnent — autrement dit, ils reculent en regard d’une inflation à +0,5%. Mais peut importe… C’est tout bon puisque le marché vous le dit !

A tous ceux qui hésitent à se lancer dans une fuite en avant orchestrée par la Fed, les pseudo-stratèges — qui ont tout compris à la Bourse — expliquent qu’il n’y a qu’à se laisser porter par la vague. Il n’y a qu’à faire confiance au bon sens du marché.

Un marché beaucoup plus fort et plus avisé que les compteurs Geiger qui crépitent dans un rayon de 40 km autour de Fukushima. La radioactivité ne s’est même pas rendu compte qu’elle n’effrayait plus les vrais investisseurs !

Elle ferait mieux de réintégrer le réacteur numéro trois et de cesser de faire semblant de s’échapper par les fissures ouvertes sous les bâtiments dévastés. Wall Street a bien compris que c’est du bidon !

Admirez les Japonais qui font preuve d’un admirable sang-froid. Il n’y a plus que quelques journalistes — à la limite de l’amateurisme — pour prétendre que le traumatisme des populations est considérable. Fukushima s’apparente à une tumeur située tout près du poumon économique du pays.
Un cancer nucléaire dont il semble impossible de se débarrasser et dont personne ne peut prédire l’évolution.

▪ Après 20 ans de fuite en avant dans la spirale des déficits, le choc tellurique et nucléaire du 11 mars apparaît également comme le grand saut dans l’inconnu budgétaire pour le Japon.

Mais cela ne doit inquiéter aucun de ses partenaires économiques. Quelle plus belle excuse la Banque centrale nippone pouvait-elle trouver pour imprimer des milliers des milliards de yens ? Et tout cela, bien sûr, sans que cela soulève la moindre objection.

Une des heureuses conséquences (au milieu d’une foule d’autres qui ont déjà été évoquées), c’est la rechute du yen sous les 84,2 $ et sous les 120 contre l’euro.

Il ne manque plus au tableau qu’une rechute du dollar sous les 1,425/euro et la félicité de Wall Street sera complète. C’est à se demander pourquoi l’exploitant d’une centrale californienne n’a pas encore eu l’idée de saboter tous les systèmes de refroidissement et de neutraliser les groupes électrogènes de secours !

Il n’y a pas de raison que le Japon monopolise les bénéfices de la destruction créatrice.

Ce n’est pas tout à fait exact. La Fed crée du dollar, des bulles et de l’inflation de telle sorte qu’elle détruit le pouvoir d’achat des classes moyennes partout sur la planète. Elle n’a pas encore réussi à détruire complètement la croissance en Europe (déjà quatre pays en récession) mais c’est bien parti si l’euro s’envole vers les 1,50 $ et les 128 yens.

Un des bras droit de Ben Bernanke, William Dudley, vient d’affirmer vendredi que les signaux de reprise économique aux Etats-Unis n’étaient pas une raison suffisante pour envisager de renoncer au QE2 et de remonter les taux.

C’est le genre de déclaration qui rend le billet vert radioactif pour ses détenteurs et précipite les démarches visant à s’en débarrasser. C’est ce que les cambistes ont fait vendredi soir. L’euro a atteint son plus haut niveau de la semaine et de l’année 2011 à 1,424 $. Le débordement des 1,4250 marquerait un renversement de tendance moyen terme avec les 1,50 puis le plancher historique des 1,612 en ligne de mire.

▪ Les cambistes ne partagent pas le même enthousiasme que Wall Street vis-à-vis des chiffres de l’emploi. Les arbitrages s’accélèrent en faveur des actifs tangibles comme en témoigne un baril qui clôturait vendredi à 108,3 $ (nouveau record annuel).

L’inflation constitue une menace qui n’a rien d’une vue de l’esprit. Le débat entre hausse réelle des prix et hausse ressentie masque l’essentiel. Il s’agit d’un impact négatif exponentiel sur les ménages à plus faible revenu et imperceptible pour les hauts revenus.

Cela explique t-il le refus des indices US devant l’obstacle constitué par le zénith du 18 février dernier ?

Après une entame de séance, de mois et de trimestre très prometteuse — et une hausse moyenne de 0,8% en cours de matinée — le Dow Jones a calé sous 12 420 points et le Nasdaq sous les 2 803 points.

Ces deux indices ont reperdu l’essentiel ou l’intégralité de leurs gains avant de reprendre 0,45% et 0,3% respectivement au final. La faute au pétrole trop cher ? Cela efface les pertes de la veille mais ne restaure pas une forte dynamique haussière.

Le S&P a gagné 0,5%. Il réalise la meilleure performance du jour après avoir oscillé entre 1 338 et 1 329 points. Le zénith annuel des 1 344 était à portée de main dans l’euphorie un peu surfaite du début de la matinée.

Un prétexte qui a permis au CAC 40 de s’envoler de 1,65% ce vendredi (+2,1% de gain sur la semaine). Le DAX a flambé de 2% et l’Euro-Stoxx 50 a engrangé 1,8%. L’optimisme s’impose de façon univoque. L’entame du second trimestre 2011 apparaît bien à l’image de la tendance irréductiblement haussière qui s’est enclenchée depuis le 1er janvier.

Ne vous étonnez pas si, d’ici le milieu de la semaine, les commentaires commencent à fleurir affirmant que la hausse de taux de la BCE est déjà dans les cours. La désinformation et la manipulation sont érigées en système de communication depuis septembre 2010. Un nouveau palier a été franchi avec les retombées (radioactives) du 11 mars dernier.

Cette fuite en avant dans le mensonge et les expédients monétaires n’a d’équivalent que la période de juillet/août 2008 qui a précédé la faillite de Fannie Mae, Lehman et AIG. Souvenez-vous de cette sentence historique de Hank Paulson, quelques mois après le sauvetage en catastrophe de Bear Stearns : « Je n’ai jamais vu un système bancaire aussi solide ».

PS : Que nous réserve la séance d’aujourd’hui ? Comment vous positionner pour en profiter au mieux ? Retrouvez Philippe Béchade au 08 99 88 20 36* pour une analyse exclusive des coulisses boursières… et des conseils pour y adapter votre portefeuille.

*1,35 euro par appel + 0,34 euro / minute.
Depuis la Belgique : composez le 09 02 33110, chaque appel vous sera facturé 0,75 euro / minute.

Depuis la Suisse : composez le 0901 801 889, chaque appel vous sera facturé 2 CHF / minute

 
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