La Chronique Agora

Il y a des fuites à la Fed

Fed, inflation, politique monétaire

Pourquoi une institution aussi importante laisse des informations capitales pour les marchés être publiées avec plusieurs jours voire semaines d’avance sur les annonces officielles ?

La Fed va augmenter les taux d’intérêt de 0,75% à l’issue de sa prochaine réunion du FOMC, le 2 novembre.

Ce n’est pas une annonce officielle, mais cela pourrait tout aussi bien l’être, car elle provient de la source officielle non officielle de la Fed. Si cela vous semble confus, permettez-nous de vous expliquer…

La Fed n’annonce jamais à l’avance ses décisions en matière de politique de taux. Celles-ci sont annoncées sous la forme d’un communiqué de presse et d’une déclaration, distribués à 14 heures précises (heure de Washington), le deuxième jour de chaque réunion du comité de politique monétaire de la Fed (FOMC).

La prochaine réunion du FOMC aura lieu les 1er et 2 novembre, et l’annonce sera donc faite le 2 novembre, à l’heure prévue.

Elle sera suivie d’une conférence de presse avec le président de la Fed, Jerome Powell, qui expliquera le changement de politique et répondra aux questions des journalistes.

Mais la Fed ne veut pas de drame. Elle veut éviter les chocs sur le marché. Elle veut éviter les surprises. Elle doit donc trouver un moyen de faire savoir au monde entier ce qu’elle va faire avant l’annonce officielle, afin que les marchés boursiers et obligataires puissent s’adapter en douceur à la nouvelle politique de taux.

Comment y parvient-elle ?

Ne rien dire à personne

Cela se fait par des fuites dans les médias. Mais pas n’importe lesquels. La Fed choisit un journaliste qui devient alors le canal officieux de la fuite officielle.

Ce journaliste change de temps en temps. Autrefois, c’était un certain Greg Ip. Aujourd’hui, l’élu est Nick Timiraos, du Wall Street Journal. Voici ce que ce dernier rapporte :

« Les responsables de la Réserve fédérale se dirigent vers une nouvelle hausse des taux d’intérêt de 0,75 point de pourcentage lors de la réunion des 1er et 2 novembre. Ils sont aussi susceptibles de débattre à ce moment-là de l’opportunité et de la manière de signaler leur intention d’approuver une hausse plus faible en décembre. »

Nous avons ici deux informations capitales. Non seulement nous apprenons que la Fed augmentera les taux de 0,75% le 2 novembre, mais nous recevons une forte indication que la hausse des taux lors de la réunion suivante, le 14 décembre, sera de 0,50% et pas 0,75%.

Cela porterait le taux cible des fed funds à 4,50% d’ici la fin de l’année, ce que Powell a indiqué lors de sa conférence de presse du 21 septembre.

Bien entendu, tout journaliste peut spéculer sur ce que fera la Fed, et utiliser les sources de son choix. Mais il n’y a qu’un seul tuyau définitif pour les fuites. Pour savoir ce que la Fed va faire à l’avance, il suffit de connaître le journaliste choisi (Nick Timiraos) et de croire ce qu’il dit. Parce que cela vient réellement de la Fed.

D’autres fuites

D’autres informations solides sur les activités de la Fed proviennent d’un certain nombre d’organismes, dont le New York Times. Par exemple, Jeanna Smialek du Times rapporte que « les investisseurs ont prévu un quatrième mouvement consécutif de trois quarts de point lors de la réunion de la Fed les 1er et 2 novembre, et les responsables n’ont fait aucun effort pour modifier cette attente ».

Ce n’est pas aussi définitif que ce que nous explique Nick Timiraos dans le Wall Street Journal, mais c’est une formulation forte qui envoie le même message. Smialek va toutefois plus loin et offre une bonne analyse de ce qui va suivre lors des réunions de la Fed les 13 et 14 décembre 2022, et de son calendrier anticipé pour 2023 comprenant des réunions le 1er février et le 22 mars 2023.

Smialek spécule qu’après la hausse des taux de 0,75% du 2 novembre, la Fed pourrait encore s’engager dans une série de trois hausses des taux de 0,50% : le 14 décembre puis, en 2023, le 1er février et le 22 mars.

Si ces quatre hausses de taux se produisaient, le taux des fed funds serait de 5,50% le 22 mars 2023. Il s’agit d’un resserrement monétaire considérable, si l’on considère que ce taux était de 0,0% jusqu’au 14 mars 2022.

Les raisons avancées pour cette prévision comprennent la persistance de l’inflation jusqu’en septembre 2022, malgré cinq hausses de taux entre mars et septembre.

Le sérieux de Powell

Le président de la Fed, Jerome Powell, a clairement indiqué, tant dans son discours du 26 août 2022 à Jackson Hole, dans le Wyoming, que lors de sa conférence de presse du 21 septembre à Washington, que la lutte contre l’inflation est son premier objectif et que la Fed tolérera une hausse du chômage et une récession pour atteindre cet objectif.

Il ne fait aucun doute que la Fed peut écraser l’inflation si elle dispose de suffisamment de temps. Le problème est que le coût sera élevé en termes de perte de croissance, de perte de revenus, de faillites d’entreprises et de croissance du chômage. La Fed pourrait probablement arrêter le resserrement monétaire aujourd’hui, et l’inflation diminuerait quand même, car la croissance ralentit déjà dans le monde entier.

Mais la Fed a besoin de voir l’inflation globale diminuer pour des raisons politiques et stratégiques avant d’arrêter le resserrement. C’est une bonne recette pour produire un resserrement excessif, puisque la baisse de l’inflation est décalée par rapport au resserrement monétaire. Ce ne serait pas la première gaffe de la Fed… et ce ne sera pas la dernière. Cette probabilité devient plus évidente sur la base de ce qu’affirme Smialek.

Je vais vous dire qui n’est pas content de la politique actuelle de la Fed : l’administration Biden et les démocrates qui cherchent à être réélus dans deux semaines.

L’ « indépendance » de la Fed vis-à-vis du pouvoir politique

Tout d’abord, notons que la Fed aime montrer son « indépendance » vis-à-vis de l’influence politique. Mais aussi que rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité.

En réalité, la Fed est une institution hautement politique. C’est simplement qu’elle parvient mieux à cacher ses opinions que la plupart des autres institutions du pays. La Fed peut soutenir ou contrecarrer les politiques de la Maison-Blanche en assouplissant ou en restreignant la politique monétaire, pour contrer les effets des réductions d’impôts, de l’augmentation des dépenses ou des restrictions budgétaires.

Au début des années 1970, le président de la Fed, Arthur Burns, a accédé à la « requête » de Nixon d’assouplir la politique monétaire avant l’élection présidentielle de 1972.

Un journaliste allemand aurait supposément demandé à Burns pourquoi il l’avait fait. Burns a répondu qu’un président de la Fed doit faire ce que le président des Etats-Unis veut, sinon, « la banque centrale perdrait son indépendance ».

Peut-on imaginer une réponse plus ridicule ?

S’assurer que Trump ne sera pas réélu

Avant l’élection présidentielle de 2020, Bill Dudley, un ancien président de la très influente Fed de New York, a suggéré que la Fed devrait s’opposer aux efforts de réélection de Trump, en rejetant une politique monétaire plus accommodante.

M. Dudley a déclaré que l’issue de l’élection était « du ressort de la Fed », car un second mandat de Trump menaçait l’économie mondiale ainsi que l’indépendance politique de la Fed.

La pandémie est arrivée un peu plus tard, et la Fed a donc été obligée d’assouplir sa politique. Mais le fait est que la Fed n’est guère indépendante du pouvoir politique.

Donc, pourquoi la Fed continue-t-elle de relever agressivement les taux avant les élections de mi-mandat ?

La Fed abandonne – pour l’instant

Eh bien, ce n’est certainement pas parce que la Fed cherche à faire élire les républicains. Pour chaque économiste républicain que compte la Fed, elle compte au moins 10 démocrates.

Et, au sein du Conseil des gouverneurs de la Fed, le rapport entre les économistes démocrates et les économistes républicains est de 48 contre 1. On peut donc exclure les raisons politiques.

Si la Fed a procédé à un resserrement agressif avant les élections de mi-mandat, c’est parce qu’elle est profondément préoccupée par l’inflation et qu’elle est prête à mettre la politique de côté afin de maîtriser l’inflation – du moins pour l’instant.

Les fuites stratégiques de la Fed dans les médias en sont la preuve. Si la Fed peut effacer l’inflation d’ici les élections de 2024, elle s’insérera à nouveau dans la politique.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile