La Chronique Agora

Flash krach : un an déjà ! Pour fêter ça, mini-krach des matières premières !

▪ Ceux qui lisent les blogs boursiers américains ou qui sont familiers des portails économiques anglo-saxons les plus fréquentés connaissent bien le néologisme permabulls (mot-valise formé des termes permanent et bull, haussier).

Il désigne ces admirateurs béats de l’entreprise de destruction systématique du dollar par la Fed. Selon eux, cela devrait entraîner une hausse éternelle de la Bourse puisque la seule alternative envisageable consiste à arbitrer massivement les bons du Trésor contre des actions… au prétexte que leur capacité à générer de la valeur depuis deux ans n’est qu’un échantillon de ce qui se profile à l’horizon 2015.

Plus les catastrophes ou les bouleversements géopolitiques s’accumulent (Fukushima, faillite des Etats, inflation dans les pays émergents, désintégration du monde arabe), plus les actions démontrent leur caractère de refuge inexpugnable pour l’épargne mondiale.

Les taux se mettent à s’envoler vertigineusement au Brésil, en Russie, en Inde ou en Chine ? Achetez encore plus d’actions. Si elles grimpent encore, c’est que les mauvaises nouvelles sont dans les cours !

Mieux même : une récession en double creux pourrait se confirmer aux Etats-Unis, comme semblent le démontrer les toutes dernières statistiques. De sorte que la Fed ne devrait pas entretenir très longtemps le mystère sur ses intentions d’étendre indéfiniment son programme de rachat de la dette américaine, sans limite de temps ni de quantité.

Cette fausse monnaie sapera encore plus profondément la confiance dans le dollar et les T-Bonds. Cela alimentera un transfert historique de liquidités des fonds de retraite vers Wall Street (ou des émissions obligataires du secteur privé au détriment des titres du Trésor US).

Croulant sous des flots d’argent d’une ampleur jamais observée, en quête de rendement, les entreprises cotées pourront lever en masse tous les fonds qu’elles désirent. Elles pourront investir partout sur la planète sans aucune entrave d’ordre financier et lancer des kyrielles d’OPA.

Et pourquoi pas acheter des pays entiers (terres et gouvernement), comme le fait la Chine sans même chercher à s’en cacher en Afrique ou en Amérique du Sud ? On peut même citer le sud de l’Europe : Pékin s’est offert le port du Pirée… Ce n’est qu’un début : la Grèce est à vendre ou le sera ouvertement dès que débutera la restructuration de sa dette car ses créanciers se montreront alors moins regardants sur la façon dont Athènes les rembourse.

▪ Comme vous le constatez, nous savons notre catéchisme permabull sur le bout des doigts. Nous pourrions même vous en livrer, au risque de vous écoeurer, une version encore plus furieusement optimiste.

Il nous suffit d’imaginer que le Tea Party et les lobbies ultra-libéraux obtiendront du Congrès US la suppression de tous les programmes sociaux, la privatisation quasi intégrale du système de santé (une administration tentaculaire presque soviétique et budgétivore), l’instauration du laisser-faire intégral en matière de transactions financières.

De toute façon, la SEC vient de reconnaître ce mardi qu’elle ne dispose pas des moyens d’assurer ses missions. A quoi bon continuer de financer un organisme inutile à force de prouver sa constante inefficacité… Madoff ne vous a pas suffi ?

La vulgate permabull s’appuie principalement sur le postulat de l’aléa moral. C’est-à-dire la conviction que Ben Bernanke c’est assigné comme mission (et se sent capable) de dominer les cycles économiques comme un bon onduleur régule le courant électrique.

Il suffit pour cela d’ajouter de l’argent — peu importe la quantité — lorsqu’il en est besoin. Ensuite, on éponge les liquidités (n’essayez pas de les convaincre que cela n’arrive jamais) lorsque l’économie repart spontanément sur ses deux jambes.

Oui, le permabull a bien compris — à la différence de certains esprits chagrins qui se cramponnent des principes d’un âge révolu — qu’assigner à une Banque centrale (semi-privée en l’occurrence) la mission de créer de la fausse mornifle, c’est la solution à tous les problèmes et le garant d’une prospérité éternelle des entreprises.

Si vous refusez d’admettre les bienfaits de la monnaie de singe, vous perdrez tout aussi éternellement de l’argent en ne vous ruant pas vers la Bourse dès que vous percevez votre paye mensuelle.

▪ C’est pourquoi Wall Street, malgré un déluge de mauvais indicateurs économiques (ou grâce à eux !), revenait à l’équilibre à la mi-séance hier. Les marchés américains avaient pourtant chuté jeudi matin jusqu’à perdre 1% après deux heures de cotation.

Mais la lourdeur refaisait surface à deux heures de la clôture. Quand cela commence à partir « dans tous les sens », c’est un signe de nervosité et de remise en cause de la tendance sous-jacente.

Paris et les places européennes ont, il est vrai, limité la casse, avec un repli moyen inférieur à 1% (-0,95%). C’est tout de même une troisième séance de repli consécutive : la correction ramène le CAC 40 au contact du seuil des 4 000 (alors qu’il culminait encore vers 4 115 points hier midi) — c’est-à-dire sur ses niveaux du 20 avril dernier.

Les détenteurs d’actions s’en tirent donc à peu près bien. Ce n’est pas le cas de ceux qui spéculaient contre le dollar car l’euro rechutait jeudi soir de 2% vers 1,4550 $. Certains appels de marge vont faire très mal, mais il y a encore plus violent, attendez de lire la suite !

▪ L’écart le plus spectaculaire concerne le pétrole avec une chute de 8% vers 100,5 $, et même 100,4 $ au plus bas du jour. Le baril avait ricoché lundi sous les 115 $ sur le NYMEX : voilà qui commence à ressembler à l’éclatement d’une bulle.

Aucune matière première n’est épargnée, et pas davantage les métaux précieux. L’or chute de 2,5% à 1 475 $. L’argent-métal a pour sa part perdu 8% à 36 $ l’once après un second relèvement des deposits à Chicago.

Ceux qui connaissent par coeur le film Le sucre se souviennent de cette célèbre réplique de Michel Piccoli voyant affluer des boursicoteurs frénétiques : « lundi, on tire la trappe ! »

Il a fallu que les derniers acheteurs se fassent découper à la tronçonneuse pour que les matières premières commencent à faire part de leurs interrogations sur la fragilité apparente de la croissance, la vigueur de la demande, le caractère indésirable des pressions inflationnistes et l’attitude divergente des banques centrales de part et d’autre de l’Atlantique.

La BCE a laissé comme prévu inchangé son taux directeur à 1,25%. Cependant, si le communiqué final lu par Jean-Claude Trichet fait bien référence à une inflation durablement installée au-dessus des objectifs, il ne contient pas la formule clé — « forte vigilance » — qui préfigure chaque mouvement de hausse des taux.

Cela incite les cambistes à supposer que la BCE pourrait attendre que la Fed agisse à son tour avant de donner un second tour de vis (le consensus tablerait sur début juillet). Il en résulte une rechute de 1,5% de l’euro (qui aura donc frôlé les 1,50 $ à 0,5% près la veille) sous le palier des 1,46 face au dollar.

L’autre information clé du jour, ce fut la troisième hausse consécutive du nombre d’inscriptions hebdomadaires au chômage aux Etats-Unis. Le score de la dernière semaine d’avril (+43 000 à 474 000) a laissé les marchés pantois. Ils anticipaient en effet une contraction de 25 000, alors que le nombre total de chômeurs indemnisés repasse de 3,6 à 3,7 millions, au lieu de se stabiliser. Belle entrée en matière pour les statistiques de l’emploi publiées ce vendredi !

▪ Mais l’échec définitif de l’assouplissement quantitatif, l’opium des permabulls, est gravé dans la pierre tombale de l’immobilier. Le rapport de Clear Capital publié hier montre que le prix des logements vient de rechuter sous son précédent plancher historique de mars 2009.

La chute sur les 12 derniers mois est de 5%, ce qui n’est déjà pas brillant. Et la dégringolade atteint en fait 11% sur les neuf derniers mois, c’est-à-dire très précisément depuis que les marchés ont commencé à anticiper la mise en oeuvre du QE2 par la Fed. Ce sont de nouveau plus de 25% des acquéreurs qui perdent de l’argent sur leur maison. Vertigineux !

Quelle note accorderiez-vous au bilan de la Fed, qui se compose aujourd’hui à 70% de créances immobilières douteuses provenant des banques ou des organismes hypothécaires parapublics (et désormais nationalisés) ?

Quelle chance donnez-vous aux permabulls de ne pas se faire hacher menu lorsque la méga-bulle d’actifs actuelle aura fini d’éclater, désintégrant l’argent fictif injecté par la Fed depuis deux ans ?

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