La Chronique Agora

Fitch fait la pluie et le beau temps sur la France et l’Italie

▪ Prenez une clôture mollassonne à Wall Street lundi soir (+0,2%)… une séance soporifique à Tokyo (+0,4% après trois jours de fermeture)… un record historique de liquidités replacées auprès de la BCE (483 milliards d’euros)… des taux longs supérieurs à 5,55% en Espagne… 7,05% en Italie… Secouez le tout puis ajoutez une promesse de Fitch de ne pas priver la France de son AAA en 2012 et vous obtenez pratiquement 3% de hausse à Paris (2,65% en clôture).

Tous les commentateurs se sont empressés d’expliquer l’envolée de 2,5% de l’Euro-Stoxx 50 par l’avis (favorable à la France) émis par l’un des dirigeants de Fitch.

Soit, l’argument semble tenir la route… mais attendez de lire la suite : Fitch annonçait simultanément qu’une dégradation de la dette souveraine italienne était imminente.

▪ Le petit miracle italien

La Bourse de Milan a salué cette menace par une envolée de 3,1%.

Nous voulons bien admettre qu’un phénomène de fait accompli a pu jouer dans la péninsule. Avec des taux longs à 7% et plus, l’Italie affiche un coût de refinancement digne d’un classement en catégorie spéculative (notation de type BB- ou CCC avec perspective négative), mais de là à surperformer le CAC 40… cela tient du petit miracle.

Les marchés n’en sont pas à leur coup d’essai ; lorsqu’ils se mettent à grimper par surprise (ils gagnaient 1% dès l’ouverture mardi), tous les prétextes, même les plus minces, font l’affaire.

Le communiqué de Fitch aurait aussi bien pu ne pas être publié, nous sommes convaincu que cela n’aurait pas changé grand-chose. L’exemple italien nous apparaît assez édifiant.

Pour exprimer notre avis plus clairement, il suffisait simplement qu’aucune mauvaise nouvelle ne vienne perturber les marchés hier pour qu’un mouvement haussier de type rouleau compresseur s’enclenche.

Il permet aux places européennes de combler partiellement leur handicap par rapport à Wall Street depuis le 1er janvier, ce qui ne nous choque guère.

Ce n’est pas là que se situe la véritable surprise mais plutôt dans le timing. Pourquoi ce mardi, et pourquoi une accélération à la hausse aussi brutale alors que l’euro n’a pratiquement rien repris sur le dollar par rapport à la veille (à 1,2770) ?

▪ La main invisible aurait-elle tiré les ficelles à la hausse ?

Nous ne pouvons qu’envisager plusieurs scénarios sans trancher a priori en faveur des haussiers ou des baissiers. Nous ne pouvons même pas exclure que les indices boursiers aient été délibérément tirés à la hausse afin de pouvoir reconstituer des couvertures (des stratégies de protection) à des niveaux plus avantageux pour les baissiers.

Cette manoeuvre serait d’autant plus pertinente que les indicateurs techniques associés aux trois principaux indices boursiers américains atteignent des coefficients de surachat — aussi bien court que moyen terme — qui commencent à nous donner la chair de poule.

Le Nasdaq aligne par exemple une quatrième séance de hausse consécutive et une onzième positive sur une série de 14. Une seule s’est soldée par un repli supérieur à 0,5% — score affiché dans un marché désert le 28 décembre, avec une consolidation sans lendemain de -1,25%.

▪ Le dossier grec : du lourd pour la Zone euro

Les indices dans l’Eurozone jouent un peu avec le feu et certains titres de dépêches parues mardi nous inspirent la plus grande méfiance. Comme celle annonçant un accord imminent sur le refinancement de la dette grecque (selon Olli Rehn) et qui semble démentir les échos plus alarmistes dont nous avons rendu compte dans nos toutes dernières chroniques.

Ne vous laissez pas abuser par les premières lignes des communiqués émanant de l’entourage de M. Papademos et des responsables de Bruxelles. L’accord évoqué ne constitue que l’aboutissement du laborieux processus entamé fin octobre entre l’Etat grec et les créanciers privés, débouchant sur une décote de 50% de la dette émise par Athènes.

Or nous savons depuis la mi-décembre que la Grèce est (et restera) incapable de faire face à un remboursement de 50% parce que ses finances continuent de se dégrader à mesure que le pays s’enfonce dans la récession.

Autrement dit, certains médias font semblant de se réjouir d’un succès dont les termes sont déjà largement obsolètes alors qu’ils devraient s’inquiéter de la façon dont la Grèce va pouvoir négocier une décote de 75%. Il ne sert à rien de faire comme si elle pouvait s’en tenir au scénario des 50% puisqu’elle ne peut pas payer… et ses créanciers le savent bien.

Les responsables politiques européens semblent donc résolus à continuer de faire comme depuis le début de la crise : nier la réalité jusqu’à la dernière extrémité, mentir à l’opinion publique tout en négociant en sous-main une impossible restructuration avec les banques privées qui éviterait le constat d’un « incident de crédit » par les agences de notation.

Le dossier grec, depuis décembre 2009, ce n’est qu’une succession de mensonges officiels, de pseudo-solutions, de sommets de la dernière chance qui s’enchaînent depuis mai 2010, aux frais des contribuables européens. Il faudra bien se résoudre à présenter la vraie facture à ces derniers lorsqu’il deviendra évident que la décote initiale de 15% s’est transformée en 85% (comme cela s’est produit pour certains pays d’Amérique du Sud).

▪ Les indices américains au plus haut depuis août

Quels que soient les lourds nuages de dette qui obscurcissent l’horizon, la machine haussière pouvait se trouver relancée en cas d’exploit de Wall Street mardi soir.

Chacun se fera son idée à la lumière des scores finaux. Pour notre part, nous ne partageons pas l’enthousiasme des commentateurs américains qui se sont empressés d’annoncer que les indices américains venaient de clôturer au plus haut depuis fin juillet ou début août.

Ils disent vrai, mais il faut une loupe pour mesurer l’écart par rapport aux meilleurs niveaux de fin octobre !

Le S&P clôture en hausse de 0,9% à 1 292,66. Ce score est à comparer aux 1 292,08 inscrits en intraday le 27 octobre dernier. En prenant le graphique au pied de la lettre, l’indice large vient effectivement d’établir sa meilleure clôture depuis le 27 juillet 2011.

Il convient à présent de s’interroger sur le niveau de valorisation de l’indice large. La conjoncture est-elle plus porteuse qu’avant l’éclatement de la crise des dettes souveraines en Europe ?

Les perspectives de croissance sont-elles plus encourageantes en ce début janvier qu’au milieu  de l’été dernier, juste avant que les marchés n’entrevoient une forte révision à la baisse de la croissance en Amérique du Nord et surtout en Europe ?

▪ Marché de l’emploi : le vrai reflet de la situation économique

En ce qui concerne les statistiques officielles américaines, il n’y avait pratiquement rien à se mettre sous la dent ce mardi, à l’exception de ce rapport sur l’emploi — publié de façon un peu confidentielle — dans le secteur privé au mois de décembre. Le nombre de nouveaux postes proposés aux demandeurs d’emploi a reculé de 63 000.

L’embellie globale à laquelle les marchés ont affecté de croire vendredi serait donc un peu surestimée. Le marché du travail reflèterait une meilleure adéquation entre les offres d’emploi et les profils recherchés (de nombreux postes correspondant à des spécialités très pointues restant difficiles à pourvoir).

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