L’avalanche d’argent gratuit de la part des banques centrales a favorisé l’immobilier depuis des années. Il y a tout de même un revers à la médaille…
La Fed a beau évoquer un resserrement de sa politique monétaire, elle a tout de même rajouté 135 Mds$ de liquidités en deux semaines et porté son bilan à 8 500 Mds$ (soit 4 860 Mds$ de plus en 18 mois, ou 270 Mds$ par mois).
Face à cette prolifération d’argent virtuel, beaucoup d’investisseurs institutionnels – à commencer par le titan BlackRock – se tournent vers des actifs tangibles qui offrent un rendement substantiel : l’immobilier.
Nous sommes en train d’assister à un phénomène de grand écart atypique. Une hausse de 24% sur un an du prix des maisons et des appartements aux Etats-Unis, alors même que le nombre d’acheteurs solvables pour ces deux catégories de biens ne cesse de se contracter.
Car, à 400 000 $ de prix médian aux Etats-Unis, devenir propriétaire devient hors d’atteinte pour une majorité de citoyens qui se retrouvent condamnés au statut de locataire sans horizon de temps – à moins d’une spectaculaire évolution de leurs revenus, ce qui constitue l’exception.
Vient se greffer là-dessus un « effet rareté », puisque les mises en chantier de logements individuels étaient en repli de 2,8% au mois d’août. Cependant, phénomène nouveau, les mises en chantiers de condominiums (immeubles destinés à la location) ont fait un bond de 21% !
Pénurie
Plus troublant encore, le nombre de transactions serait en baisse de 24% sur un an dans le neuf, ce qui pourrait s’expliquer par une pénurie de biens négociables (comme pour les véhicules d’occasion), ou par la frilosité des banques vis-à-vis des emprunteurs.
En réalité, cette baisse de 24% des transactions tandis que le prix des biens progresse symétriquement résulte d’une grossière anomalie statistique. En effet, ne sont prises en compte aux Etats-Unis que les ventes ayant nécessité la constitution de dossiers de prêts hypothécaires auprès d’organismes financiers… or de plus en plus d’acheteurs disposant de liquidités surabondantes payent cash.
En résumé, ce sont les rois du cash qui assèchent le marché immobilier et font grimper les prix. Vous commencez à deviner ce qui va résoudre les précédentes contradictions apparentes…
Voici l’explication la plus plausible : les prix immobiliers devenant trop élevés, de plus en plus d’Américains n’ont plus d’autre choix – c’est donc un « TINA », « There Is No Alternative » – que de rester locataires.
Vous objecterez à juste raison que, si la plupart des acheteurs renoncent et que les lois du marché fonctionnent normalement, une décrue des prix devrait bientôt s’amorcer.
Une configuration sans précédent
Cependant, les 1% les plus riches s’étant enrichis de 10 000 Mds$ en un an – sans prendre le moindre risque –, ils disposent d’une force de frappe équivalente à plusieurs fois la valeur de tous les biens vendus au cours des 12 derniers mois.
Ils ont donc les moyens de tout acheter, à n’importe quel prix, de telle sorte que plus rien ne soit accessible pour 80% de la population avant de longues années.
Ce sont donc des dizaines de millions d’Américains qui vont devoir verser un loyer aux riches particuliers et institutionnels (assureurs, asset managers, REIT, private equity…) capables de tout rafler avec l’argent que la Fed a déversé presque directement sur leur compte en faisant flamber les valeurs mobilières d’une façon inédite dans l’histoire du capitalisme.
Les actions et dettes high yield ont tellement grimpé que leur rendement est devenu ridicule (moins de 2% pour les valeurs du S&P 500, à peine 3,5% sur des junk bonds). Dans ces conditions, les 4% à 5% de rendement offerts par de la location résidentielle classique (jusqu’à 10% pour du Airbnb) deviennent irrésistibles. Même si les prix de l’immobilier prenaient encore 25% d’ici l’an prochain (soit 50% de hausse en deux ans), le rendement locatif resterait encore plus attractif que celui des valeurs mobilières.
En maintenant les prix au zénith, les 1% – et surtout les « 0,001% » – s’assurent la pérennité d’une clientèle de locataires captive, incapable d’accéder à la propriété avant des décennies, que ce soit aux Etats-Unis ou dans le reste des pays occidentaux.
Les classes moyennes en première ligne une fois encore
Ce processus d’éviction des classes moyennes au profit de l’hyper-classe, profondément inégalitaire et socialement explosif, a été assez bien décrit et exploité par l’aile gauche du parti démocrate lors de la campagne de Joe Biden, avant d’être repris à son compte par Janet Yellen.
La secrétaire au Trésor US prône cependant une politique budgétaire expansionniste, avec le plein concours monétaire de la Fed… ce qui revient à pérenniser les mécanismes dont elle déplore les effets !
D’un point de vue métaphorique, ces 10 dernières années s’apparentent à une partie de Monopoly truquée, où quelques joueurs adoubés par la banque (centrale) reçoivent discrètement 200 000 $ à chaque tour de plateau, tandis que les joueurs « ordinaires » ne perçoivent que 20 000 $ en repassant par la case départ.
Mieux encore : ceux qui perçoivent les 200 000 $ échappent à la case « impôt » de 20 000 $ et à la case « prison » en cas de banqueroute. Si une telle mésaventure survenait, la banque prendrait en charge tout le passif, le temps que le joueur en difficulté se refasse une santé financière… tandis que ceux qui passeraient sur ses propriétés devraient toujours s’acquitter de leur loyer.
Si ces derniers n’ont plus le cash suffisant pour faire face au paiement, ils doivent emprunter à un taux prohibitif, ou hypothéquer leurs rares propriétés (celles qui ont échappé à l’appétit des joueurs disposant de l’immunité « banque centrale »), perdant leur droit à percevoir un loyer.
Nous voici parvenus à ce moment de la partie où 80% des joueurs sont lessivés, tandis qu’une poignée de privilégiés détient tout ce qui rapporte (grandes avenues, gares, etc.) et se lance dans une course de vitesse pour bâtir des maisons et des hôtels, y compris sur les propriétés obtenues en dédommagement des loyers non perçus.