La Chronique Agora

Fiez-vous au FBI pour vous faire une idée un peu plus juste des vrais enjeux

** Le week-end à rallonge pour la célébration de la fête de l’Indépendance a permis à l’Amérique de Barack Obama de battre deux impressionnants records : celui du plus grand nombre de feux d’artifices de jardin vendus pour un 4 juillet (vous souriez… fort bien, attendez la suite !), et celui de plus grand nombre de faillites de banques américaines.

Elles ne furent pas moins de sept (dont l’une contrôlait près d’un milliard de dollars d’actifs et 850 millions de dollars de dépôts) à aviser les tribunaux fédéraux de leur cessation d’activité le vendredi 3 juillet. Le coût de ces différents sinistres s’élève à 315 millions de dollars pour la FDIC, la seule administration américaine qui devrait recruter des effectifs mobilisables le dimanche pour faire face à l’avalanche des dossiers de faillite !

Voici donc le score annuel porté à 52 en 26 semaines, contre 25 en 52 semaines sur l’année 2008. Si nous y ajoutons les trois faillites du week-end précédent, cela fait un total inégalé de 10 avis de faire-part en moins de huit jours. A ce rythme, il va falloir créer une rubrique nécrologique bancaire dans le Wall Street Journal d’ici la rentrée… car celle des "faits divers financiers" déborde !

** En France, le fait divers de la fin de séance de vendredi appartenait peut-être à la catégorie "dérisoire" mais il nous faut y revenir quelques instants. Le sauvetage du support des 3 116 points (plancher du 12 juin) à la toute dernière minute de la séance s’apparentait bien à de la manipulation de cours.

En repli de 0,3% à 17h29 et 59 secondes le 3 juillet, un gros coup de pouce avait permis au CAC 40 de clôturer en hausse de 0,1%, à 3 119 points, à 17h34. Un geste apprécié à sa juste valeur par les analystes techniques qui ont pu partir en week-end le coeur léger, la dynamique très baissière du 2 juillet ayant été neutralisée sur le fil.

Ils ont dû déchanter dès hier puisque les valeurs françaises ont entamé la semaine en repli de 1,5%, ouvrant un gap sous 3 092 points. Elles ont ensuite rapidement perdu 2% avant d’en terminer sur une perte limitée de 1,2%, mais bien en deçà des 3 100 points.

Nous avons donc assisté à l’échec d’une petite manipulation bien inutile et qui semblait presque relever d’une bonne intention. Cela agacera néanmoins ceux d’entre vous qui considèrent qu’une manipulation — quelle que soit son ampleur — constitue une malhonnêteté et une flagrante violation des règles de fonctionnement du marché.

** Mais assez parlé de broutilles : avez-vous entendu parler de l’arrestation, vendredi dernier, d’un dénommé Sergei Aleynikov, citoyen immigré russe aux Etats-Unis ? Il a été intercepté par des agents du FBI à l’aéroport de Newark, alors qu’il rentrait de Chicago. C’est un petit génie (ou même grand, pourquoi pas ?) de l’informatique vivant aux Etats-Unis depuis 19 ans.

Le motif de l’inculpation ne manque pas d’originalité mais l’affaire reste en apparence banale : "vol de secret de logiciel de trading". L’anonymat du plaignant n’a pas été préservé plus de quelques heures — il s’agirait de Goldman Sachs… qui n’est autre que son ex-employeur !

M. Sergei Aleynikov n’est apparemment pas un vulgaire pirate informatique de seconde zone, payé quelques dizaines de milliers de dollars par an… plus un abonnement à Pizza Hut. Goldman Sachs lui versait un salaire annuel de 400 000 $ ; cela peut apparaître confortable mais ne représenterait que le tiers de ce qu’une firme concurrente de Chicago — la capitale mondiale de la spéculation sur les matières premières — lui verserait aujourd’hui !

Il est assez rare de voir le FBI déployer un zèle aussi singulier concernant le vol de codes open source (c’est-à-dire théoriquement accessibles au grand public) d’un simple logiciel de trading : il en existe des milliers sur le marché.

M. Aleynikov n’est pas un escroc. Il n’est pas question d’arnaque pyramidale à la Madoff, ni de piratage de comptes, ni d’une subtile méthode de détournement de sommes d’argent appartenant à Goldman Sachs — qui aurait pu porter discrètement plainte un fois un tel forfait découvert.

** Non, l’affaire, vu les moyens déployés pour neutraliser l’informaticien est beaucoup plus sérieuse. Goldman Sachs se serait fait dérober tout ou partie des composants d’un logiciel très particulier… du type de ceux qui peuvent rapporter des centaines de millions de dollars en quelques heures.

Il s’agirait d’un système de trading automatique reposant sur des algorithmes mathématiques. Il serait redoutablement efficaces lors des phases d’hyper-volatilité des marchés (appelons-les par leur vrai nom : "vagues de panique" ou "phases maniaques"), qu’il s’agisse d’un panier d’actions ou d’un sous-jacent spéculatif comme le pétrole par exemple.

Le logiciel serait capable de générer des milliers d’ordres en tous sens avec un nombre impressionnant d’écarts gagnants… tandis que la majorité des opérateurs sont totalement déboussolés, les systèmes classiques et la simple intelligence humaine étant complètement dépassés par la tournure (volontairement ?) insaisissable des évènements.

Un logiciel qui serait comme un poisson dans l’eau dans un océan spéculatif déchaîné, alors que la peur d’être victime d’une baisse ou au contraire de manquer un rebond entraîne des variations de cours abyssales puis des retournements de situation dont personne ne comprend fondamentalement les origines.

Nous savions que de telles machines à générer un maximum de cash en climat de krach (ou de pré-krach) existaient. Cependant, il était difficile de prouver que certains opérateurs influents avaient les moyens d’en tirer de substantiels profits… lorsque tant d’autres se font hacher menu par le marché en multipliant les décisions inappropriées.

Avec l’affaire Sergei Aleynikov, nous découvrons en partie le dessous des cartes et subodorons la taille réelle des enjeux.

Il a fallu 20 ans pour actionner la justice face à une escroquerie aussi élémentaire que celle de Bernie Madoff (les dizaines de milliers de victimes ne sont qu’au fond que de simples particuliers) ; il n’aura fallu que quelques semaines pour faire procéder à l’arrestation d’un informaticien dont la malhonnêteté ne repose pour l’heure que sur les preuves avancées par un seul plaignant… mais quel plaignant !

Il pèse plusieurs dizaines de Madoff sur les marchés… et Henry Paulson (l’ex-secrétaire d’Etat au Trésor, qui signa l’arrêt de mort de son concurrent Lehman), en était encore le président lorsque M. Aleynikov fut recruté !

** Un petit mot au sujet de Wall Street lundi soir : les écarts à la baisse n’avaient dès l’origine rien à voir avec ceux observés en Europe quelques heures auparavant (-1,5% à -2,5% au plus fort de la correction). Les indices américains ont terminé à l’équilibre — le Dow Jones en hausse de 0,53%, le Nasdaq en repli de 0,51%.

Une journée sans intérêt donc ? Certainement pas si l’on focalise son attention sur les 4% perdus par le pétrole sur le NYMEX — avec une incursion sous les 64 $ en séance –, ainsi que sur la chute de 3% de la Bourse de Moscou et les -4% d’Oslo, capitale de la Norvège et premier exportateur européen de gaz et de brut.

Sachant ce que savent les spécialistes des matières premières au sujet des "systèmes experts" entièrement automatisés dont se servent les brokers les plus actifs, la thèse du trader fou perdant des millions de dollars en quelques minutes, qu’il se nomme Steve Perkins ou Joe Blow (voir Chronique de la veille), même en respirant très fort des vapeurs d’hydrocarbure, nous avons de plus en plus de mal à y croire.

La "guerre des algorithmes", en revanche, parce qu’elle implique systématiquement des masses d’argent considérables, mobilisées sur une période de temps limitée, nous semble une piste beaucoup plus intéressante à creuser… même si elle nous fait nous sentir tout petit en tant que praticien et commentateur de marchés financiers.

Des marchés où le facteur humain semble laminé par des machines censées profiter de ses plus infimes imperfections.

Rassurez-vous, nous ne nous sentons pas menacé car nos analyses sont trop décalées et nos stratégies trop imprévisibles pour intéresser des mathématiciens habitués à surfer sur des comportements "collectivement rationnels". Nous ne sommes clairement pas dans le coeur de cible… pire, nous constituons un authentique défi pour les rois de la logique !

Philippe Béchade,
Paris

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