La Chronique Agora

Fête patronale à Gualfin

▪ "Oh, Señor Bonner… Où est la Señora ?"

C’est ainsi que nous avons été accueilli samedi à notre arrivée à l’école du ranch. Cinq petites filles sont venues nous voir en courant. Elles étaient sincèrement heureuses de nous voir, mais uniquement parce que ça signifiait qu’Elizabeth était là aussi.

Elizabeth est venue un peu plus tard, marchant sur le chemin poussiéreux menant de la maison à l’école. Les filles ont couru à sa rencontre et se sont rassemblées autour d’elle, se pressant pour lui parler… la toucher… lui embrasser la joue.

C’était la Fiesta de San Ramon, le saint patron de Gualfin. Une centaine de personnes étaient déjà rassemblées à l’école. D’autres arrivaient à chaque instant en camionnette.

"San Ramon est connu sous le nom de San Ramon Nonnatus", expliqua le prêtre plus tard. "C’est le saint patron de Gualfin mais aussi des femmes enceintes, des sages-femmes et des esclaves. Il est appelé ‘Nonnatus’ parce qu’il n’est pas né. Du moins pas de la manière normale. Sa mère est morte en couches. Son père a fait une césarienne sur sa femme morte. C’est pour cette raison qu’il est le patron des sages-femmes et des femmes enceintes".

"Il est le patron des esclaves car il en a lui-même été un. Il est allé en Afrique du Nord et a racheté des esclaves. C’était au 13ème siècle. Lorsqu’il s’est retrouvé à court d’argent, il a échangé sa propre liberté contre celle des esclaves. En captivité, il prêchait le christianisme aux autres esclaves. Cela lui a attiré des difficultés avec ses maîtres, qui l’ont torturé. Il a même converti quelques-uns de ses tortionnaires. Ensuite, ils lui ont percé les lèvres au fer rouge et y ont passé un cadenas pour qu’il ne puisse plus parler".

On est encore en hiver, en Argentine. Les vignes seront taillées la semaine prochaine

▪ Passage de relais à l’école
Il était 10h30 du matin. Le soleil tapait déjà. On est encore en hiver, en Argentine. Les vignes seront taillées la semaine prochaine. La suivante, ce sera le tour des arbres du verger. Mais les pêchers sont déjà en fleur et le bourdonnement des abeilles est si fort que nous l’avons d’abord pris pour un moteur électrique.

"C’est vraiment un endroit très particulier que vous avez là", a dit l’un de nos hôtes. "Vous pensez probablement être en Argentine. Mais ici, c’est un autre pays".

Cette phrase venait après que Nicanora, la soeur de notre cuisinière Martha, soit partie. Elle nous avait tous embrassés — y compris nos invités — sur les deux joues avant d’annoncer qu’elle remontait chez elle, à six heures de marche.

"Ce n’est pas comme dans le reste du pays. Partout ailleurs, nous nous battons les uns contre les autres. Personne ne veut travailler. Et nous subissons tous les dommages commis par Cristina Kirchner et son mari. C’est presque incroyable, tout ce qu’ils ont fait. Ils sont corrompus jusqu’à la moelle. Et ils ont corrompu tout le pays. Mais vous semblez avoir été épargnés… du moins pour l’instant"…

Dans la cour, des groupes commençaient à se former. L’un d’entre eux était composé d’élèves de l’école, habillées de robes blanches achetées pour eux par les propriétaires. Un autre était mené par un policier, avec environ 10 garçons — tous ayant moins de 12 ans et tous en uniforme. C’était "les cadets de la police". Il y avait aussi quelques tambours.

Les deux institutrices étaient là — accompagnées d’une autre femme grasse et élégamment vêtue. Récemment arrivée, elle s’apprête à relayer la directrice qui vient de prendre sa retraite. La directrice a été remplacée par son bras droit, une femme mince à l’air anxieux, qui fume cigarette sur cigarette. Les deux femmes ont vécu ensemble dans l’école pendant plus de 20 ans. Elles ne s’entendaient que la moitié du temps. Le reste des années s’est déroulé dans le silence. Mais maintenant que la plus âgée prend sa retraite, les deux semblent s’être réconciliées. L’école sera désormais gérée par la femme mince, qui est devenue directrice. Les habitants du cru les appellent déjà "la grosse et la mince". Etre grosse n’est pas une honte dans cette partie du monde. Cela semble être plutôt, sinon un honneur, du moins une condition moralement neutre.

▪ Salut au drapeau
Le but de l’assemblée dans la cour de l’école était un complet mystère — jusqu’à ce que nous soyons convoqué sous un mât. Un haut-parleur expliqua :

"Le drapeau va maintenant être hissé par la directrice, le représentant du comté et le propriétaire du ranch".

Walter, le représentant du comté, manquait à l’appel. On l’envoya chercher

Malheureusement, Walter, le représentant du comté, manquait à l’appel. On l’envoya chercher. Une fois découvert, entouré d’une foule d’électeurs, il ne perdit pas de temps pour venir, montant la colline en courant.

"Allez mon gros", cria l’organisateur au micro.

Une fois tout le monde en place, on accrocha les drapeaux de l’Argentine et de la province de Salta sur le mât, et nous attendîmes la musique. Rien d’électrique ne fonctionne comme prévu, le courant fiable n’existant pas dans cette partie du pays. Il fallut donc quelques minutes pour ajuster le volume et les enceintes du lecteur CD — et l’hymne national était déjà à moitié terminé.

Avec la directrice, nous avions pour tâche de tirer les cordes faisant monter les drapeaux. Arrivé à mi-mât, nous avons réalisé que le drapeau national n’avait pas été déroulé correctement ; il était pris dans les cordages. Il semblait toutefois malavisé de le redescendre pour le démêler alors que l’hymne national touchait à sa fin — nous avons donc simplement continué jusqu’au sommet.

Après ce salut aux autorités temporelles, la foule se mit en procession pour rendre hommage aux autorités religieuses. Nous descendîmes la colline puis remontâmes de l’autre côté de la chapelle, menés par le policier et ses jeunes acolytes, suivis de près par les élèves, les institutrices, le représentant du comté et son entourage et, enfin, les gens eux-mêmes. Il faisait si sec que le piétinement de quelques centaines de pieds levait des nuages de poussière qu’un vent léger emportait vers l’ouest.

L’église était déjà presque pleine lorsque votre correspondant y entra. Avec Elizabeth, nous nous sommes entassés sur un banc dur pour la messe. Des prières furent offertes pour ce qui semblait être des centaines de personnes, de saints et de pécheurs, certains morts depuis longtemps, d’autres encore en vie. Il n’y a qu’une dizaine de familles dans la vallée ; les mêmes noms apparaissaient sans cesse, précédés par des prénoms d’une grande diversité. Puis l’Eucharistie commença, suivant son déroulé familier. Le seul élément inhabituel fut le sermon qui, comme nous l’avons dit, se concentrait sur la vie de San Ramon — lequel veille sur la ferme avec plus ou moins d’attention.

La suite dès demain !

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