La Chronique Agora

Fête d’adieu

argentine

Nous avons appris d’un contact local à Salta qu’une exploitation voisine du ranch est à vendre.

« Le propriétaire est désespéré », selon notre avocat. « La ferme fait environ 25 000 acres. Vous pourriez probablement l’acquérir pour 40 $ l’acre environ ».

« Quoi ? » avons-nous répondu avec indignation. « Nous n’avons payé que 4 $ l’acre pour notre ranch ».

« Oui… mais votre ranch, c’est surtout des terres en friche ».

Il n’a pas tort. Mais le ranch voisin est lui aussi constitué en majeure partie de terres en friche.

(Pour vous donner une idée de l’efficacité d’un investissement dans un ranch, le propriétaire avait acheté ses terres pour 80 $ l’acre il y a 10 ans — le double de ce qu’il demande aujourd’hui).

Samedi dernier, l’ancien intendant du ranch, Jorge, est revenu pour une fête marquant son départ en retraite. Il est parti en janvier, mais nous n’étions pas là et n’avons pas pu célébrer dignement l’événement avant ce week-end.

Par le plus grand des hasards, sa nouvelle maison dans la vallée, près de l’aéroport de Salta, est également proche de la ferme où nous avons envoyé le bétail que nous ne pouvions plus garder.

L‘an dernier c’est tout juste si cinq centimètres de pluie sont tombés. L’herbe s’assèche. Le bétail est affamé

Nous subissons une sécheresse, dans les montagnes — l’an dernier c’est tout juste si cinq centimètres de pluie sont tombés. L’herbe s’assèche. Le bétail est affamé. Nous vendons nos bêtes aussi rapidement que possible… ou nous les expédions dans l’exploitation de notre ami… qui se trouve être juste à côté du nouveau domicile de Jorge.

Jorge y va chaque jour pour vérifier que ses amies les vaches se portent bien. Il garde également son cheval à la ferme. Il le selle pour aller inspecter les animaux. Il le fait par plaisir ; les animaux se porteraient parfaitement bien sans lui.

Mais les vieilles habitudes sont difficiles à perdre. Pendant un demi-siècle, Jorge a surveillé le bétail à cheval. Il ne semble pas avoir hâte d’abandonner.

« Pour de nombreuses années de service »…

Amis et famille sont venus à la fête — un asado (un barbecue à l’argentine) se tenant sur la véranda pour un groupe de 40 personnes environ.


Un agneau « a la cruz » pour la fête de retraite de Jorge

« Compadre ! » — Jorge interpellait l’un de ses amis.

Les deux hommes, qui ont à peu près le même âge, ont travaillé ensemble pendant près de 40 ans. Ils se sont rappelés ce que c’était à leurs débuts :

« C’était très différent… beaucoup, beaucoup plus difficile. Nous avions près de 3 000 têtes de bétail sur le ranch [il n’y en a plus que 700]. Et les animaux paissaient à peu près partout dans les montagnes.

Les bêtes étaient pratiquement sauvages. Elles étaient dangereuses. Et difficiles à mener

Nous devions les rassembler à pied parce que c’est trop dur, là-haut, pour les chevaux. Mais les bêtes étaient pratiquement sauvages. Elles étaient dangereuses. Et difficiles à mener. Parfois, si nous n’arrivions pas à les contrôler, nous devions les abattre au fusil.

Le pire, c’était dans les années 90. Vous trouvez que cette sécheresse est dure ? Pour l’instant, ce n’est rien. Dans les années 90… Je crois que c’était en 1995 et 1996… nous avons eu deux ans de sécheresse consécutifs. Avec huit millimètres une année et 12 millimètres la suivante.

Il n’y avait pas grand’chose à faire. Tout se desséchait. L’herbe. Les arbres. Plusieurs des familles du coin sont parties. Même dans les montagnes, les petites sources se sont taries et l’herbe a disparu. La moitié du troupeau est morte. Nous n’avions aucun moyen de les transporter… et nulle part où les mettre même si nous l’avions pu. C’était très triste ».

Après s’être resservi plusieurs fois de boeuf et d’agneau grillé — ainsi que de salade et de gros haricots blancs — votre correspondant a prononcé un petit discours, traduit à l’avance par une personne parlant correctement l’espagnol.

Nous avons ensuite offert un plat d’argent à Jorge.

« Pour toutes ces années passées au service du ranch et des habitants de Gualfin », y avions-nous fait graver.

Quelques larmes ont coulé. Nous n’étions pas sûr de ce qui les avait causées : l’occasion… ou la maladresse de notre discours.

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