La Chronique Agora

Un festival de records boursiers… et de déni assumé

Les marchés ont cette faculté de voir toujours le verre à moitié plein… et d’ignorer qu’il est surtout plein de dettes !

Wall Street s’est apparemment offert, pour le quatrième trimestre 2023, le meilleur scénariste d’Hollywood, dans la catégorie contes de fées !

Cela fait six semaines que l’évolution des indices boursiers US semble pilotée par un magicien des marchés : six semaines de hausse consécutive, exemptes de temps d’hésitation, de toute forme de consolidation technique. Une marche en avant triomphale, face à des forces opposées complètement absentes.

Après un mois de novembre à cheval sur cinq semaines, qui a permis à Wall Street de progresser de +10 à +13%, la première semaine de décembre ne pouvait s’achever que par un « happy ending » digne des contes de fées les plus enchanteurs.

Les trois principaux indices US ont renoué – simultanément – avec leur zénith annuel, à cinq jours de la séance des « Quatre sorcières », qui clôturera les bilans pour la plupart des gérants.

Mais les indices européens, qui n’affichent pas un total de séances de hausse aussi flatteur, et sans précédent que leurs homologues US depuis le 27 octobre, se rattrapent à leur façon depuis début décembre.

Ils ne se sont pas contentés de retracer leurs sommets historiques en ce 8 décembre, ils en ont inscrit de nouveaux : l’EuroStoxx 50 bat un record absolu à 4 531 points, améliorant de 40 points son précédent zénith des 4 491, le 31 juillet.

Est-ce utile de rappeler que jamais en 35 ans, l’EuroStoxx 50 n’a battu de record avec une croissance nulle, ou légèrement négative en zone euro, comme cela vient de se matérialiser en cette fin d’année 2023.

Mais il n’est pas le seul… Le DAX vole de records en records absolus depuis le 1er décembre et je suis très surpris que les chaînes d’information financière n’aient pas crédité son alter ego, le CAC40 « GR » (global return) d’un record historique ce 8 décembre.

Une injustice que je tiens à réparer, car les records historiques du 27 juillet (22 703 et 22 617 en clôture) sont tombés, avec de nouveaux zéniths de 22 850 en intraday ce lundi (après 22 774 au coup de cloche final vendredi) portant la performance annuelle à +20%, juste devant le S&P 500 (+19,9%).

Peut-être devons-nous ce manque de célébration de nos médias à un aspect un peu moins glorieux que le score algébrique du « CAC-GR ». En effet, les 22 800 ont été franchis à l’issue d’une séance sans volumes (même pas 2 Mds€ à 17h30), donc sans acheteurs… et surtout sans vendeurs (une espèce disparue depuis 2012).

L’indice CAC vient de réaliser une « directissime » de +1 000 points entre 21 800 et 22 800 en huit séances, et vient de prendre +11,5% en ligne droite depuis le plancher du 27 octobre sans avoir jamais recédé plus de 1% en 24h, 48h ou 72h.

Mais de cela, le « grand scénariste » de contes de fées s’en moque car la priorité du moment, ce sont les « habillages de bilan » de fin d’année, et ces derniers se combinent avec un rallye haussier amorcé le 27 octobre et qui semble devoir porter comme un tapis volant les indices US vers des plus haut depuis mars 2022 (4 602,9 pour le S&P 500).

Le Dow Jones a inscrit à 36 263 sa meilleure clôture de l’année, et son plus haut depuis début janvier 2022 (à 2% de son zénith historique). Le Nasdaq inscrit sa meilleure clôture annuelle à 14 404, et la performance annuelle atteint son maximum avec +37,5%.

Mais cela fait presque « parent pauvre » comparé au Nasdaq-100 qui affiche +47% (à 16 090) et vise les +50% pour la fin de la semaine, ce qui ramènerait l’indice au contact de son zénith historique de 16 644 du 22/11/2021 (deux clôtures à 16 570 les 19/11 et 27/12/2021).

Mais plus rien ne colle dans ce scénario « plus que parfait » pour les indices boursiers : ni la croissance (absente) en Europe, ni les perspectives aux Etats-Unis (croissance divisée par 4 d’ici un an), ni la locomotive économique chinoise (en panne), ni les déficits (abyssaux) tous azimuts, ni le yen (qui a bondi de +3% le 7 décembre), ni l’évolution des marchés de taux après la publication du très attendu « NFP » qui va compliquer la tâche de la Réserve fédérale dans le recalibrage de sa politique monétaire.

Pendant que Wall Street s’enivrait de records annuels et l’Europe de records absolus, l’obligataire dévissait, avec un « 10 ans » US qui affichait +10 points à 4,2450% et des Bunds qui se tendaient de +6 points à 2,26%.

Et même après un tel rebond des maturités longues, l’inversion historique de la courbe des taux avec 100 points d’écart entre le 6 mois et le « 10 ans » continue de préfigurer une récession de forte intensité, que les indices boursiers refusent absolument d’anticiper, car plus l’horizon économique s’assombrit plus les marchés rajoutent d’hypothétiques baisses de taux d’ici fin 2024.

Contre toutes les évidences macroéconomiques – et le discours de fermeté des banques centrales –, les marchés s’accrochent au mantra de la baisse des taux… ce même mantra qui avait fait bondir les indices de +10 à +14% en octobre/novembre 2022, janvier/février puis juillet 2023. Autrement dit, cela fait déjà trois fois en un an et deux mois que les marchés « payent » le scénario « du pivot » de façon agressive… avec zéro concrétisation.

Cette faculté de voir toujours le verre à moitié plein (et d’ignorer qu’il est surtout plein de dettes) peut être qualifié d’optimisme un peu béat. Mais la description la plus adéquate, c’est le déni du réel permanent qui met régulièrement quelques vendeurs en porte à faux et génère une pression haussière qui sans cela serait totalement absente… comme le démontre l’effondrement des volumes depuis deux ans et l’ultra-concentration des achats sur 5% des méga capitalisations des indices de référence.

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