▪ Les actions semblaient parties pour baisser, la semaine dernière. Puis le marché s’est rétabli. Le calme, la complaisance, la confiance — quasiment toutes les mesures nous disent qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Eh bien, puisque qu’il n’y a rien d’inquiétant, nous nous inquiéterons de rien. Ou, comme pourrait le dire Churchill, si nous n’avons rien à craindre que la crainte… c’est qu’à coup sûr nous avons manqué quelque chose.
Mais continuons en observant la route par laquelle nous sommes parvenus là où nous en sommes. En cela, le livre de David Stockman, The Great Deformation ["La Grande déformation", ndlr.] est d’une grande aide, de même que son blog, le ContraCorner.
Stockman avait un gros avantage. Il était au coeur du gouvernement fédéral en tant que premier directeur du budget de Ronald Reagan. Ensuite, il est entré dans le ventre de la bête à Wall Street, comme partenaire dans une grande firme de private equity. Dans le gouvernement comme dans la finance, Stockman était partie prenante des grands événements et décisions de ces 40 dernières années.
Lorsque Ronald Reagan a été élu président pour la première fois, les Etats-Unis étaient déjà en route pour la perdition |
Lorsque Ronald Reagan a été élu président pour la première fois, les Etats-Unis étaient déjà en route pour la perdition. Durant les précédents millénaires, les humains avaient appris trois leçons importantes : 1) qu’ils ne pouvaient pas se fier aux autorités pour gérer correctement une devise fiduciaire ; 2) que les gouvernements ne doivent pas accumuler des déficits profonds ; 3) que les marchés doivent découvrir librement les prix plutôt que de se les voir imposés par les autorités.
Après tant d’épisodes… tant de temps… causant tant de dégâts… seul un déficient mental ignorerait ces leçons. C’est pourtant exactement ce qu’ont fait les autorités.
▪ Voilà ce qui arrive quand on méprise les principes de base
Au début des années 80, la mise à l’épreuve de ces vérités était encore bien d’actualité. L’Union soviétique existait encore et était très occupée à prouver que la planification centrale ne fonctionne pas. Elle s’effondrait sous le poids des prix administrés, qui avaient tant faussé son économie qu’elle était devenue une entreprise à valeur soustraite. C’est-à-dire que pour chaque rouble investi dans les matières premières, l’énergie ou la main-d’oeuvre, moins d’un rouble de produit fini ou de service émergeait.
Sans prix librement fixés (ou "découverts"), on ne sait jamais où on en est. Est-ce qu’une chose vaut la peine d’être faite ou non ? On ne le sait pas, parce que les prix ne disent pas la vérité.
En Union soviétique, les prix mentaient. Après six décennies de malhonnêteté financière, l’économie vacillait.
Le prix de l’argent (ou du crédit) est bien entendu le plus important d’une économie |
Au lieu de tirer les enseignements de cet exemple — ou de tous les autres exemples présentés durant deux mille ans d’histoire des marchés (et plus) –, les Etats-Unis ont désappris. En 1968 et 1971, ils avaient déjà sorti l’or de leur système monétaire. Durant les trois décennies suivantes, ils ont également accumulé le plus lourd déficit de leur histoire ; ils ont aussi fait preuve d’une imprudence croissante dans leurs efforts pour remplacer les prix "découverts" par des prix imposés. Le prix de l’argent (ou du crédit) est bien entendu le plus important d’une économie. Il affecte tous les autres prix, comme nous l’avons déjà vu.
La tendance à fixer les prix du crédit plutôt que les découvrir a fait un bond après 1987 — lorsqu’Alan Greenspan a jugé pratique de maintenir les taux d’intérêt bas pendant des périodes prolongées afin de faire éclore l’économie en booms puis en bulles.
▪ Boire ou ne pas boire…
En théorie, la Fed pouvait abaisser les taux pour stimuler les prêts et la croissance. Ensuite, lorsque l’économie se mettait à "surchauffer", le travail de la Fed, selon les mots de William McChesney Martin, consistait à "retirer le bol à punch". En pratique, le bol à punch a rarement été retiré… et lorsque ça a été le cas, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne revienne avec un punch plus fort que jamais. Petit à petit, les entreprises, les investisseurs et les consommateurs en sont devenus dépendants. Et la Fed a graduellement réalisé qu’elle ne pourrait retirer le bol à punch sans infliger à tout le monde une sévère gueule de bois.
Les taux d’intérêt sont donc allés de plus en plus bas, de 1983 à 2009 — année où le taux principal de la Fed a enfin atteint le zéro. Nous en sommes désormais à 68 trimestres de taux zéro. Et Janet Yellen nous dit que même si l’assouplissement quantitatif se terminera à la fin de l’année, le taux zéro se poursuivra.
L’économie en a encore besoin, dit-elle. Mme Yellen n’explique pas comment l’économie en est venue à dépendre de ce punch lourdement alcoolisé. Elle n’en endosse pas la responsabilité. Elle n’offre pas non plus de véritable théorie sur la manière dont l’économie pourra se permettre des taux d’intérêt honnêtes à l’avenir.