▪ Quelle étrange fin de séance sur les places européennes, quelle singulière fin de mois calendaire à Wall Street !
Les évolutions du CAC 40 au cours de la dernière demi-heure de la séance d’hier sont totalement incompréhensibles pour le commun des mortels… Et si tout découle des caprices du trading algorithmique, seuls quelques cadors éligibles à un Prix Nobel de mathématique pourraient décoder les évolutions totalement incohérentes de l’Euro-Stoxx 50 par rapport à celles du S&P 500 ou du Nasdaq entre 17h00 et 17h35.
Qu’est-ce qui a fuité — ou quelle rumeur a circulé — à partir de 16h22 qui a fait bondir Wall Street de 0,5% supplémentaires ? Le Dow Jones est parti de 15 585 pour inscrire 10 minutes plus tard un nouveau record annuel à 15 635 points. Parallèlement, le S&P 500 s’offrait une montée en chandelle, de 1 690 vers 1 697 points).
Quelle information ignorée de Wall Street a ensuite fait rechuter le CAC 40 de 4 007 points vers 16h50 jusque sur 3 972 points à 17h29, pratiquement le plus bas du jour ? Quel nouveau scoop a propulsé l’indice 20 points en avant durant le fixing pour une clôture positive de 0,15% à 3 992 ?
Les places européennes ont toutes bénéficié d’un coup de baguette magique à 17h35 : l’Euro-Stoxx 50 est repassé de -0,05% à +0,33%. Quelques minutes plus tard, les indices américains voyaient leur avance fondre symétriquement de 0,2% ; à 18h, le S&P ne gagnait plus que 0,3%.
Le coup de pouce de 17h35 a cependant fait la différence car le CAC 40 réalise sa meilleure performance mensuelle depuis octobre 2011 (+7%).
Avec la hausse initiale de 0,4% à Wall Street, ceux qui se sont couverts sont assurés de gains de 6% à 7% depuis le 1er juillet. Là encore, c’est du jamais vu depuis plus de 18 mois… Le plus étonnant, c’est que par rapport à l’établissement des précédents records annuels du 22 mai dernier, les taux ne sont absolument pas détendus.
Le rendement des T-Bonds US était même au zénith à 2,70% vers 15H. Celui des Bunds culminait également à 1,7%.
▪ Des raisons à la hausse…
Wall Street — si l’on en croit les commentateurs — saluait la hausse des créations d’emplois dans le secteur privé, selon les chiffres mensuels compilés par ADP. Il y aurait un total de 200 000 nouveaux postes là où le consensus en attendait 185 000.
La seconde bonne surprise (et même double surprise) du jour provient d’une hausse de 1,7% du PIB américain au deuxième trimestre, au lieu de 1% à 1,2% anticipé. Toutefois, la seconde surprise, c’est la révision à la baisse du PIB au premier trimestre — de 1,8% à 1,1%.
Il est vrai que le BEA (le bureau de la statistique gouvernementale américain) vient de revoir sa méthodologie de calcul. Cela affecte l’ensemble des estimations sur les huit précédentes… décennies (depuis 1929).
Vous connaissez par coeur les Bisounours qui jouent les faux-jetons pour le compte des faux monnayeurs gérant le casino boursier. Leur premier réflexe a été d’affirmer que ces chiffres sont meilleurs que s’ils avaient été pires… et qu’il convient de ne prendre en compte que la statistique la plus favorable, celle qui concerne le deuxième trimestre.
Si les mêmes avaient été responsables de la propagande en 1940, leurs bulletins officiels auraient qualifié l’inexorable avancée de l’armée allemande de futur désastre pour Berlin : plus les Panzers s’approchent de Paris, plus ils s’exposent à une défaite humiliante.
Vu l’état d’esprit actuel, ils auraient parfaitement compris que les valeurs françaises commencent à battre leurs records dès l’enfoncement de la Ligne Maginot par la Wehrmacht.
▪ Une mécanique perverse
Comme le sort semble s’acharner, l’indice PMI de Chicago pour juillet, anticipé autour de 54, est ressorti à 52,3 après 51,6 en juin… C’est beaucoup moins bien que prévu, notamment au niveau de la consommation, des exportations et de l’emploi.
Les Bisounours/permabulls appliquent dans ce cas la stratégie numéro deux : zapper complètement cette déception. La Fed n’injecte tout de même pas quatre milliards de dollars par jour pour que l’on s’attarde sur les mauvaises nouvelles.
Si après cela, les actions ne finissent pas dans le vert à 17h35 ou à 22h, c’est à désespérer !
Mais la logique de flux et du choix forcé — que les permabulls idolâtrent — est par essence une mécanique perverse. Elle empêche les agents économiques de fixer une juste valeur et permet au contraire aux spéculateurs les mieux renseignés sur les positions ouvertes de manipuler le prix des indices et des actions comme bon leur semble.
La logique du « tout intraday » est également perverse. A partir du moment où 75% ou 80% des volumes ne correspondent qu’à des aller-retour au sein de la même seconde, minute ou heure, le marché se déconnecte complètement de sa fonction — qui est de déterminer un vrai prix de référence cadrant avec les perspectives économiques.
La logique qui prévaut aujourd’hui, c’est comment va-t-on pouvoir gagner de l’argent en pilotant les cours de façon à plumer le plus de day traders ?
S’ils partent acheteurs, on retourne le marché à la baisse, et réciproquement… S’ils sont suffisamment retors et ont compris qu’il faut faire l’inverse de ce que la logique commande, alors on va aller chercher leurs stops en purgeant les carnets d’ordres des centaines de lignes d’achat ou de vente fictives. C’est ce qui se produit souvent sur les contrats sur indices en transactions hors séance… c’est presque trop facile !
En ce qui concerne les positions acheteuses conservées par les institutionnels, rien à craindre non plus ! Compte tenu des dernières prestations de Ben Bernanke et de Mario Draghi, ils se pensent à l’abri d’une mise en garde ou d’un changement de communication.
Aucun créateur de bulle ne souhaite la voir éclater suite à un geste maladroit. Le jeu consiste donc à souffler dessus pour qu’elle évite les obstacles les plus visibles. Sauf que le danger précisément vient de ce que l’on ne voit pas — notamment de microparticules ou de débris végétaux.
La hausse des taux, le recul des chiffres d’affaires, le recul de la consommation, agissent comme une rafale qui soulève de la poussière. Plus la bulle est volumineuse, plus le risque d’éclatement s’accroît.
▪ La Fed ne change pas de cap
Pour repousser cet éclatement de quelques semaines supplémentaires, la Fed a annoncé hier soir qu’elle va poursuivre la stratégie actuelle. Cela pour les raisons que tout le monde connait par coeur : croissance paresseuse et inflation nettement en dessous des objectifs.
Pour quelles raisons réduirait-elle la voilure ? Elle s’est efforcée — avec succès — de ne laisser transparaître aucune piste. Pourtant, certaines critiques sont récurrentes, comme le risque de formation d’une nouvelle bulle immobilière et boursière.
L’efficacité du QE3 comme « booster » de la croissance est plus qu’incertain. Il suffit pour s’en convaincre de constater qu’avant les injections, le PIB américain affichait 2,8% (recalculé par le BEA). Depuis que la Fed inonde le système financier de liquidités, le PIB se retrouve en moyenne divisé par deux au premier semestre 2013 !
Le communiqué de la Fed permettait donc de soutenir n’importe quelle thèse et son contraire : une magnifique occasion de multiplier les escarmouches algorithmiques.
Après une séquence épique de « portes de saloon » entre 20h et 21h, le soufflé est retombé. Au final, cela donne -0,13% pour le Dow Jones et -0,01% (en fait -0,001%) sur le S&P 500, à 1 685,73 contre 1 685,96 mardi.
Notons que le S&P, à 20h59, a retracé à 0,002% près son zénith historique intraday du 23 juillet (à 1 698,43 contre 1 698,78. Un re-test d’une précision stupéfiante qui met une nouvelle fois en lumière l’efficacité opérationnelle de la programmation algorithmique.
Le Dow Jones a battu hier son record absolu (15 634,3 points) à 16h40. Le Nasdaq a quant à lui pulvérisé son record annuel à 3 649,3 points à 21h00 précise (+1%), avant d’en terminer sur un modeste gain de 0,27% à 3 626. Cela suffit cependant pour afficher un score mensuel de +5,6% — et Facebook, remonté durant quelques minutes à 38 $ contre 24 $ début juillet y a contribué pour au moins 1,5%… Cela en dit long sur la composante spéculative du marché.