Les marchés se (vous) racontent des histoires auxquelles ils ne croient pas un seul instant : la Fed nous sauvera, et l’inflation est finie…
Jamie Dimon, le patron de JPMorgan, se demandait début juin dernier si l’ouragan économique qui va s’abattre sur les Etats-Unis – et par voie de conséquence une bonne partie de la planète – aura l’intensité d’une simple tempête tropicale ou d’un cyclone de type Katrina (celui qui avait englouti la Nouvelle-Orléans le 23 août 2005, il y a tout juste 17 ans).
Pourtant, fin juillet, alors que Wall Street ne cesse de grimper, les stratèges de JPMorgan retournent leur veste : « Les risques de voir l’économie américaine entrer en récession reculent rapidement. »
Wall Street a par la suite rajouté trois semaines de hausse, de telle sorte que le 18 août (à la veille de la séance des « 3 sorcières »), le S&P 500 affiche 15% de hausse par rapport à ses planchers de la mi-juin, et le Nasdaq 22%.
Héros des 1%
Jamie Dimon prévient alors les plus gros clients de sa banque : « Ce que nous allons vivre cet automne sera pire qu’une récession. »
Que Wall Street prenne encore 4% d’ici la réunion des banquiers centraux de Jackson Hole (du 25 au 27 août prochain) et Jamie Dimon nous expliquera que les banquiers centraux l’ont entendu et pris conscience de la menace. Preuve que le pire n’est jamais certain quand il s’agit d’éviter aux super-riches de perdre des plumes sur les marchés, c’est d’ailleurs pour cela que Jerome Powell a été reconduit à son poste par Joe Biden fin novembre 2021 (décision tardivement confirmée par le Sénat le 12 mai dernier).
Les esprits chagrins prétendent que c’était à Jerome Powell d’éviter aux 327 millions d’Américains les moins riches (sur 330 millions) de se faire laminer par l’inflation, ce en quoi il a totalement échoué.
Mais il reste un héros pour les 1% qui se félicitent que le S&P 500 se retrouve – à 1% près – au même niveau que le 18 août 2021, quand l’inflation était inférieure de moitié à son niveau actuel, avec un baril à 65 $, un indice CRB des matières premières à 17 contre 27,5 (soit 55% plus)… et sans risque de 3ème guerre mondiale « qui tonne à notre porte » comme l’a affirmé Emmanuel Macron à Bormes-les-Mimosas ce 19 août.
Nous ne sommes pas dupes de ce prodige boursier qui défie de façon vertigineuse toutes lois économiques en vigueur depuis 1 siècle et demi : ce « bear market rally » a été littéralement « acheté » par la Fed.
Jerome Powell a en effet stoppé net le « QT » (quantitative tightening ou resserrement quantitatif) qu’il avait amorcé fin mars. Depuis le creux indiciel de la mi-juin, la Fed complète son bilan (ou compense) à hauteur de tous les « instruments » arrivés à échéance, inondant ainsi Wall Street de liquidités.
Certes, cet afflux est probablement temporaire (car prolonger cette offrande aux marchés écornerait la crédibilité de la Fed), mais il a suffi à déclencher un des « short squeeze » du siècle… et la plus impressionnante performance sur les 11 premières semaines du troisième trimestre boursier (qui a débuté le 17 juin dernier, dernière séance des « 4 sorcières »).
Wall Street croit au plafond de l’inflation
De très nombreux hedge funds étaient positionnés à la baisse mi-juin et ils se retrouvent victimes d’un contrepied d’anthologie, obligés de solder leurs positions sous la pression des appels de marge, des rachats massifs de titres par les entreprises (qui « profitent du creux ») et du narratif de l’assouplissement monétaire de la mi-2023.
Wall Street achète déjà le scénario d’un plafonnement de l’inflation (effectif depuis juillet) et d’une future baisse de taux alors que 125 ou 150Pts de plus sont dans les tuyaux d’ici fin 2022.
Après une multiplication par 7,2 du S&P500 depuis mi-mars 2009 et par 12,8 du Nasdaq (plus phénoménale hausse indicielle de l’histoire à Wall Street en 13 ans), les stratèges tentent de nous convaincre qu’avec une inflation à 10%, une guerre par procuration avec la Russie qui peut embraser l’Europe, et une consolidation de 20% des indices depuis le début de l’année (25% pour le Nasdaq), c’est bien assez cher payé les quelques petits nuages conjoncturels et géopolitiques qui ont obscurci l’horizon ces 6 derniers mois.
Pourquoi les investisseurs devraient-ils s’inquiéter d’une récession ?
Parce qu’après la réduction des livraisons de gaz russes, l’Europe vient d’être avertie que les Etats-Unis vont à leur tour – manquant à leur parole – réduire leurs livraisons de GNL dès cet automne, car le niveau des réserves stratégiques de gaz et de pétrole américains ont baissé plus vite que prévu, donc le planning des exportations ne pourra être tenu.
Rien de bien grave : quelques fermetures d’usines (quelques centaines de milliers de salariés au chômage technique), 15° dans les chambres et quelques douches froides et cette petite pénurie passagère d’énergie (disons 2 ou 3 ans) sera vite dernière nous.
Les marchés se projettent déjà dans des temps meilleurs (disons 2025/2026).
Vous l’avez compris, les marchés se (vous) racontent des histoires auxquelles ils ne croient pas un seul instant. Mais c’est tellement amusant de faire courir les vendeurs à découvert par 40° à l’ombre en pleine période de sécheresse (tandis que quelques obligés de la Fed sont inondés de liquidités).
Notre boussole, c’est le secteur immobilier : il a prédit 100% des récessions et des krachs boursiers depuis un siècle et il subit une inversion de cycle encore plus brutale qu’en 2006/2007 (chute des prix, chute des transactions, chute des mises en chantier, effondrement des demandes de crédit hypothécaire).
Tout le reste n’est que conte de fées, bluff et manipulation des esprits faibles.