La Chronique Agora

La Fed prépare les marchés boursiers au tapering

▪ Quand on vit depuis 18 mois dans un contexte de marchés gouvernés par les flux, on finit par comprendre que les mécanismes de fixation des prix des actifs sont faussés.

On peut alors s’en réjouir… car si tout le monde se contente de profiter de l’aubaine, on peut gagner beaucoup d’argent en étant complètement idiot.

Heureusement, la plupart des professionnels sont simplement cyniques. La partie de poker est truquée, tous ceux qui arborent une montre Patek ou Breguet à leur poignet gauche se voient systématiquement servir une paire d’as ou un roi/dame qui complètera un 9/10/valet pour obtenir une suite ou quinte imbattable.

Si vous êtes cynique vous aussi et voulez profiter de la combine, vous confierez vos propres jetons aux complices du croupier.

Si vous êtes idiot, vous confiez également votre mise au joueur qui a le plus gros tas de jetons parce qu’il a « un bol pas croyable »… et vous croyez aux miracles.

Si vous êtes totalement idiot et complètement aveugle (vous n’avez même pas remarqué que le croupier et le chip leader se font des clins d’oeil), vous agirez exactement de la même façon parce que vous croyez que le cador du tapis vert est « un bon ».

La partie est truquée. Les cyniques le savent tandis que les idiots pensent qu’il faut bien un vainqueur et qu’avoir de la chance, c’est juste un don du ciel.

Les cyniques, tout comme le croupier et celui qui gagne à tous les coups, savent qu’il faudra se dépêcher de déguerpir lorsque la brigade des jeux franchira la porte du casino.

Les parfaits idiots penseront qu’il faut se dépêcher de s’asseoir à la place du grand gagnant (« c’est une place qui porte chance ») ; les idiots penseront qu’il suffit de faire un clin d’oeil au nouveau croupier pour recevoir une paire d’as.

▪ Quand la brigade des jeux s’en mêle
C’est sur ces pigeons que la brigade des jeux va tomber en premier, leur confisquant tous leurs jetons. Elle coffrera d’office tous ceux qui étaient assis à la table où tant d’autres joueurs — dont ceux qui ont porté plainte — se sont fait plumer.

Si la brigade des jeux est maline, elle aura placé des auxiliaires de police près des issues de secours, devant les portes des cuisines, devant l’entrée des fournisseurs, à la sortie du parking… et les tricheurs se feront également coincer.

Mais il se peut aussi que certains agents de la brigade soient complices des arnaqueurs… C’est pourquoi malgré un grand nombre d’appels de joueurs floués, aucune intervention n’a été diligentée, ou le plus tard possible, et sans mobiliser les effectifs suffisants pour réaliser un beau coup de filet.

L’avenir nous le dira.

▪ Tombons les masques
Vous aurez naturellement reconnu la Fed dans le rôle du croupier et les banques dans le rôle du complice qui gagne à tous les coups. La brigade des jeux, ce sont les médias et les économistes qui font l’opinion.

Ils sont nombreux à prétendre depuis le début que tout se déroule normalement… qu’il faut bien des vainqueurs et des vaincus… que ceux qui perdent ont été maladroits ou qu’ils n’ont pas eu de chance — et que s’ils se plaignent, c’est qu’ils sont mauvais perdants.

Traduit en affabulation permabullesque, cela donne : les marchés anticipent l’avenir et ils se trompent rarement, ceux qui ont raté le train de la hausse s’étaient trop focalisés sur le panneau des destinations et l’horloge de la gare.

A la limite, il fallait sauter dans n’importe quel train, peu importe qu’il ne marque pas l’arrêt dans la ville ou vous vous rendez. Ce qui compte, c’est d’avancer et de ne pas rester comme un voyageur désemparé sur le quai, fouetté par les courants d’airs et assourdi par le bruit des TGV.

Mais le TGV de la hausse, c’est un train qui a perdu son système de freinage, détruit par les injections de liquidités excédentaires dans le circuit hydraulique. C’est un direct : aucun arrêt, aucune gare desservie et plein gaz jusqu’au terminus, là où la voie s’arrête.

Tant que le train roule, tout va bien pour ses passagers… mais il va tellement vite qu’il est difficile de sauter en marche sans se rompre le cou.

Et puis beaucoup de stratèges expliquent qu’il ne faut surtout pas chercher à descendre : il sera impossible d’y remonter car il va encore prendre de la vitesse d’ici fin 2013. En effet, nombre de gérants ne seraient pas encore assez investis à 10 jours de l’ultime séance des « Quatre sorcières » du 20 décembre qui marquera la fin des habillages de bilans… alors ils vont forcément « courir après le papier », même si le Russell 2000 prend déjà 36% cette année.

▪ Révolution à la Fed
Une révolution sémantique et psychologique vient cependant de se produire à la Fed. Certains de ses membres les plus fanatiquement en faveur du QE3 se demandent s’il ne serait pas temps de soupçonner l’existence d’une bulle. C’est James Bullard qui le disait lundi soir — n’allez pas croire que nous faisons un calembour de mauvais goût, c’est juste la réalité.

Si ces interrogations laissent Wall Street indifférent, il n’en va pas de même en Europe où les indices ont chuté de 1% en moyenne.

Le CAC 40 n’est pas parvenu à préserver le palier des 4 100 points. L’indice en a fini au plus bas du jour, vers 4 091 points, soit une nouvelle correction de près de 1,05%.

Personne n’a vu venir ce nouveau trou d’air. La journée avait commencé dans le plus grand calme avec un indice évoluant dans un corridor de 20 points entre 4 125 et 4 145, de l’ouverture jusque vers 13h15.

Curieusement, Wall Street restait à l’équilibre — ou pratiquement — jusque vers 17h40 avec des écarts qui ne dépassaient pas -0,15% en moyenne… et un alourdissement (-0,35%, rien de très spectaculaire) ne s’est enclenché que vers 17h45.

Il semblerait que l’élément perturbateur provienne du marché des changes, avec un euro qui poursuit sa progression face au dollar, au-delà de 1,3780 $.

La chute du billet vert semble très contre-intuitive puisque plusieurs membres éminents de la Fed — y compris des « colombes » — ont confirmé hier les anticipations des investisseurs concernant une réduction des rachats d’actifs (tapering).

A l’issue d’une séance marquée par une absence totale de volatilité (malgré les interventions de la Fed), il y avait bien peu d’anecdotes dignes d’intérêt. Nous avons toutefois été frappé par la poursuite du rally haussier sur Twitter : +6% à 52. Le titre atteint ainsi une valorisation stratosphérique de pratiquement 30 milliards de dollars — soit 70 fois son chiffre d’affaires 2013 de 400 millions de dollars. C’est l’équivalent de celui d’une PME de l’agroalimentaire comme Marie, le spécialiste des petits plats préparés.

Conclusion, nous jugeons les multiples de Twitter assez indigestes.

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