La Chronique Agora

Fed, impression monétaire et étranges créatures

▪ Nous dérivons dans le brouillard. Cela dure depuis des années.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Une vague silhouette… les contours de quelque chose… qui se précise.

Oui… C’est l’étrange Ile des Bizarreries et des Impossibilités.

Lorsqu’il pleut sur cette île, l’eau remonte depuis le sol. Lorsque le soleil brille, il faut mettre des bottes en caoutchouc. Les plantes rugissent… et les pierres pleurent.

Nous voulons explorer la fabuleuse politique monétaire de la Fed, aujourd’hui. Alors jetons l’ancre… et ramons jusqu’au rivage pour voir ce que nous pouvons y trouver.

▪ Une créature étrange
Lorsque la Fed a annoncé son programme d’assouplissement quantitatif, il y a bientôt huit ans, nous n’avons pas trop su quoi en en penser.

Animal ? Végétal ? Minéral ?

"De l’impression monétaire", avons-nous décidé.

"Non, ce n’est pas du tout de l’impression monétaire", ont dit de nombreuses voix — y compris dans notre propre équipe. C’était une toute nouvelle espèce, ont-elles affirmé…

Ce n’était pas de la "monnaie". Et les banques centrales ne "l’imprimaient" pas

Les voix avaient raison. Ce n’était pas de la "monnaie". Et les banques centrales ne "l’imprimaient" pas.

La Fed remplaçait simplement la dette de long terme (les bons du Trésor et les obligations hypothécaires appuyées par le gouvernement) par de la dette de court terme.

L’idée était la suivante : la demande supplémentaire ferait grimper les prix des obligations et baisser leurs rendements (les prix et les rendements obligataires évoluent dans des directions opposées).

Parce que les banques ne pouvaient pas dépenser leurs réserves. Et n’en avaient pas besoin pour faire des prêts. De plus, c’est aux banques centrales de décider du taux d’intérêt qu’elles paient aux banques sur ces réserves. Puis les choses sont devenues encore plus bizarres.

Les banques centrales ont commencé à mentionner… puis à expérimenter… des taux d’intérêt négatifs sur ces réserves.

Quelle était cette étrange créature ?

Comme l’ornithorynque ou le tatou tronqué, nous avons d’abord pensé que c’était une plaisanterie. Cela ne pouvait exister. Et pourtant.

Personne ne savait non plus ce que ces étranges animaux feraient. Etaient-ils dangereux ? Venimeux ?

Personne ne savait non plus ce que ces étranges animaux feraient. Etaient-ils dangereux ? Venimeux ? Personne n’en avait jamais vu.

Dans les bars de Manhattan et les pubs de la City londonienne, des débats enflammés avaient lieu entre les économistes et les traders tentant de comprendre ce nouvel écosystème.

Le temps a précisé tout ça — et maintenant, nous y voyons plus clair… Que se passe-t-il vraiment sur cette île fantasmatique ?

Apparemment, nous avions raison depuis le début : c’est bien de l’impression monétaire !

▪ Faites chauffer les hélicoptères
Même les économistes de l’establishment commencent à s’en rendre compte.

Voici le directeur de Capital Economics, Roger Bootle, écrivant dans le journal britannique The Telegraph :

"Sous le QE, la banque centrale achète des actifs financiers sur les marchés (généralement des obligations gouvernementales) avec de l’argent qu’elle émet elle-même, augmentant ainsi les deux côtés de son bilan [actif et passif].

En pratique, très peu de billets sont imprimés. La monnaie supplémentaire est plutôt créée électroniquement. Mais dans la mesure où les dépôts dans les banques centrales sont interchangeables avec des billets, décrire l’opération comme de ‘l’impression monétaire’ constitue un raccourci acceptable".

Le département de recherches de la banque d’investissement française Natixis va plus loin dans son analyse :

"Certains appellent à la mise en place d’un plan d »argent par hélicoptère’ : la distribution d’argent [par le gouvernement… sans compenser par des impôts ou de l’emprunt]".

En réalité, l’assouplissement quantitatif est déjà de l’argent par hélicoptère.

Lorsqu’un gouvernement distribue de l’argent — aux pauvres, par exemple — expliquent les analystes de Natixis… et finance cette dépense grâce au rachat d’obligations d’Etat par les banques centrales… c’est identique à une simple impression monétaire.

Les autorités ont obtenu un crédit sans véritable débit. Elles ont de l’argent à dépenser mais n’ont pas besoin de rembourser leur dette.

En fait, de la manière dont les choses fonctionnent actuellement, la Fed rend les intérêts sur les obligations gouvernementales — aussi limités soient-ils — au département du Trésor US.

▪ De l’argent gratuit !
C’est un peu comme emprunter pour acheter une voiture. Suite à quoi le prêteur vous rend les intérêts versés… et continue à renouveler votre crédit, sans doute éternellement.

Vous auriez une voiture gratuite !

C’est exactement ainsi que l’économiste Richard Duncan, de Macro Watch, décrit la situation.

Non seulement le nouvel argent obtenu par les autorités est gratuit… mais la banque centrale peut aussi faire disparaître les emprunts passés

Non seulement le nouvel argent obtenu par les autorités est gratuit… mais la banque centrale peut aussi faire disparaître les emprunts passés.

Selon Duncan, lorsqu’une banque centrale achète une obligation gouvernementale, dans les faits, elle annule la dette.

Les intérêts sont retournés au débiteur… et le principal n’est jamais récupéré. Le QE est de "l’annulation de dette", dit Duncan.

Voyons voir si nous avons bien compris : on emprunte… on dépense… puis la dette est annulée.

Presque trop beau pour être vrai, non ?

Par précaution, nous allons remonter dans notre bateau. Cette île nous donne des frissons.

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