La Chronique Agora

Fed, Hongrie, indice Baltic, Islande ou jouets chinois : tout est lié

** Hier, Paris s’est offert la seconde plus forte hausse de l’histoire avec +9,13% et après les 11,3% du 13 octobre dernier. Elle a eu dans le cadre d’une vague de rachats à bon compte partie des Etats-Unis mardi soir. Elle s’était propagée à Tokyo (+7,6%) quelques heures plus tard, sur fond de nette consolidation du yen (-5% en 48 heures) face au dollar.

Les 50 points supplémentaires gagnés par le CAC 40 au cours des 20 dernières minutes sont à porter au crédit de Wall Street qui s’apprêtait à rajouter 3% aux 10,5% engrangés mardi soir. Il s’agissait d’une hausse d’anticipation à la veille de l’annonce d’un assouplissement monétaire de 50 points (à 1%) par la Fed qui se dit déterminée à poursuivre sa lutte contre les pressions récessionnistes.

Ailleurs en Europe, Londres affichait 8%, Madrid et Amsterdam flambaient respectivement de 9,3% et de 9,1%, Milan s’envolait de 10,2%.

En revanche Francfort, qui avait bondi de 11,3% la veille suite à la rocambolesque (et ruineuse) affaire Porsche/Volkswagen, s’effritait de 0,3%.

Les autorités boursières allemandes ont mis pas moins de 48 heures à réagir en limitant la pondération de Volkswagen à 10% d’ici lundi prochain. Des dégâts considérables ont été infligés de façon totalement absurde au DAX 30 mais également aux autres indices européens dont Volkswagen constituait l’une des composantes… et alors que ce titre est voué à disparaître de la liste des valeurs de référence à brève échéance.

** Même si Porsche n’est pas exempt de tout reproche et même si les vendeurs à découvert ont péché par excès d’imprudence, l’inconséquence (ou le dogmatisme) des responsables qui gèrent le marché allemand — pour qui "tout a fonctionné normalement" — a entraîné la volatilisation de centaines de milliards de valeur boursière.

Les pertes sèches — parfaitement évitables — subies par des gérants de fonds indiciels se chiffreront en centaines, voir en milliards d’euros et avec, comme effet collatéral, un jeu de massacre visant toutes le banques soupçonnées d’être impliquées dans une spéculation à la baisse sur VW, aussi bien en Europe qu’à Wall Street.

Mais quelques dizaines de milliards d’euros perdus, même stupidement, ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport au chiffrage de crise qui vient d’être dévoilé par banque centrale britannique. Elle estime que le système financier mondial pourrait perdre jusqu’à 2 250 milliards d’euros (3 000 milliards de dollars) dans la crise du crédit.

En ce qui concerne les malheureux épargnants qui ont investi en actions, 28 000 milliards de capitalisation boursière mondiale ont déjà été détruits en 12 mois, soit une chute sans précédent de 50%. C’est l’équivalent de la capitalisation planétaire fin octobre 1998. Cela signifie également que les compagnies d’assurances qui gèrent les futures pensions des retraités américains auraient beaucoup mieux fait de tout placer sur l’équivalent d’un livret A. Ou mieux, en lingots d’or puisque l’once de métal précieux se négociait à l’époque autour de 285/295 $.

** Afin de bien mesurer la dimension mondiale de la crise, ainsi que sa violence, sachez que si certains indices boursiers asiatiques ont chuté de 60 à 75% cette année (autant que le pétrole en fin de semaine dernière), il y a bien pire, voire de l’inédit.

L’indice Baltic (base 100 en 1985) qui mesure l’évolution des frais de transport de marchandises brutes telles que le charbon, le gaz, le minerai de fer, les engrais, les céréales, etc. s’est effondré de 11 793 points début juin jusque sur un plancher de 982 points le 27 octobre dernier. Il a donc connu un repli de plus de 91,7% en moins de cinq mois : un record toutes catégories qui n’est peut-être pas près d’être égalé !

Record de faillites aux Etats-Unis dans le secteur des transports alors que 2 000 entreprises spécialistes du fret routier ont mis la clef sous la porte entre janvier et juillet 2008. Les dockers ne sont pas mieux lotis alors que les ports américains enregistrent une baisse de 7,2% de leur activité entre janvier et septembre 2008.

** Les Etats-Unis devraient importer moins de jouets made in China en cette fin d’année qui s’annonce tristounette. Une succession de scandales a tari les carnets de commande des fabricants chinois. La moitié d’entre eux, dont le n°1 mondial, ont déposé le bilan depuis le 1er janvier dernier.

Ce sont des dizaines de milliers de salariés qui découvrent, après cinq ans de croissance à deux chiffres, le chômage de masse et le retour au pays pour ceux qui avaient quitté leur province natale pour gagner les zones industrielles côtières.

Quelques nouvelles d’Islande, en faillite depuis début octobre ? La banque centrale a relevé son taux directeur de 6%, le portant à 18% pour freiner l’effondrement de sa devise (la couronne islandaise). L’île nordique devrait faire face à une récession sans précédent de 10% l’an prochain, accompagnée d’une fulgurante accélération de l’inflation (14% en octobre).

La Hongrie, en quasi-faillite, obtiendrait de son côté 25 milliards de la part du FMI, de la banque mondiale et de l’Union européenne : l’aide la plus massive dont a jamais bénéficié un pays situé sur le Vieux Continent.

** Et le chapitre consacré aux chutes, gamelles, débâcles, banqueroutes ne serait pas complet si nous faisions l’impasse sur la dernière en date. Elle est toute fraîche et concerne Wall Street — c’était donc mercredi soir.

Pour la seconde fois de la semaine — la première, c’était lundi –, les indices boursiers américains ont subi une chute vertigineuse (-5% d’une seule traite) imputée à des commentaires décevants de General Electric au cours des 10 dernières minutes de cotations.

Alors que le Dow Jones caracolait avec 3% de gains à 20 minutes de la clôture, il a soudain plongé de 450 points en une poignée de minutes. Il a ainsi terminé en repli de 74 points à 8 990 points après avoir affiché 1,75% de baisse à quelques secondes du coup de cloche final… sans aucun autre élément d’actualité dont les opérateurs et les commentateurs soient capables de rendre compte.

Le S&P 500 gagnait 2,5% vers 20h15 mais terminait en repli de 1,1%. Le Nasdaq, quant à lui, a fait une incursion au-dessus des 1 700 points et conservait une avance de 0,47% à 1 657 points ; 50 points perdus en 10 minutes… bizarre, non ?

Difficile de démêler ce qui procède de la manipulation des cours — c’est plus facile en fin de séance, quand les carnets d’ordre se vident — ou d’une sur réaction aux communiqués de GE. D’ailleurs, il n’a perdu que 4% par rapport à son zénith du jour inscrit à 20 $ alors que d’autres titres du Dow Jones ont dévissé de plus de 6%. Il est en tous cas évident que de tels mouvements de cours n’ont rien de naturel, surtout quand il apparaît impossible de les relier à un évènement tangible et réellement préjudiciable aux marchés.

Oui, deux trous d’air d’une telle brutalité, quasi identiques, à 72 heures d’intervalle, cela devrait alerter la SEC. Ou alors, c’est la reconnaissance qu’il n’y a vraiment plus rien qui puisse motiver une enquête dans un marché totalement chaotique, et c’est très dommageable pour l’image de Wall Street et la confiance des épargnants.

Les scores de clôture de Wall Street sont totalement en décalage avec la forte progression consécutive à l’annonce (largement anticipée) d’une baisse de 50 points du Prime Rate par la Fed et ne veulent pas dire grand chose. Mais pour qui ne connaît pas le film de la journée et découvre le recul des indices américains en jetant un oeil sur son téléphone portable ou sur un écran de télévision, la première impression serait que le phénomène de fait accompli à prévalu et qu’une consolidation était naturelle au lendemain d’une envolée historique du Dow Jones, du S&P et du Nasdaq 100.

** La baisse de Wall Street véhicule un sentiment d’autant plus fallacieux que le communiqué final de la Fed laisse présager un dixième épisode de détente des taux (à 0,25 ou 0,50% ?). En cause, l’activité économique qui semble avoir ralenti de façon marquée, impactée par la baisse de la consommation des ménages, elle même victime des turbulences financières qui ont tari le crédit.

Le PIB américain du troisième trimestre (publié aujourd’hui à 13h30) risque de s’être contracté de 0,5%… mais cela pourrait être pire au quatrième trimestre. L’inflation devrait se contracter sous les 3% sur la période, même si le baril de pétrole vient d’enregistrer son premier véritable gros rebond technique (+7,5% à 68,5 $).

Un rebond réduirait la facture pour les investisseurs — -15% pour le CAC 40, -20% pour le Nasdaq… mais -12% seulement en tenant compte de l’envolée du dollar — mais. Cependant, même si les indices boursiers semblent mûrs pour un rebond d’ici le 31 octobre, la série d’incidents indiciels survenus en Allemagne et aux Etats-Unis depuis lundi ne participe pas au rétablissement de la sérénité des investisseurs.

Philippe Béchade,
Paris

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