▪ Wall Street résistait jeudi à tous les vents contraires rencontrés sur le terrain économique avec une série de statistiques décevantes (chute des mises en chantier, chute de l’indice Philly Fed, chute des prix à la consommation, chute des créations d’emplois) et se préparait au mieux pour la journée des « Trois sorcières ».
Les investisseurs espèrent que cette échéance donnera lieu à un feu d’artifices de records ou de test de seuils symboliques — dont les fameux 4 000 à Paris.
Le CAC 40 a inscrit jeudi un nouveau zénith annuel à 3 984 points. Cela améliorait d’un point d’indice le précédent record établi la veille à 3 983 points. Les chartistes s’en contentaient volontiers car cela confirme techniquement la tendance haussière (analyse technique au premier degré) et préserve toutes les chances d’atteindre ce vendredi les 4 000 points.
C’est le Saint-Graal des permabulls, qui bénissent Ben Bernanke et la Grande déconnexion qu’il orchestre de toute la puissance des rotatives de la Fed. Grâce à elle, les valeurs mobilières peuvent grimper d’autant plus vite que la conjoncture se dégrade et que les perspectives d’embellie et de croissance des profits s’éloignent.
Le fétichisme des 4 000 s’accorde bien, finalement, avec l’esprit de l’époque où tout ce qui importe est de fixer un prix et non pas une valeur.
L’expression « la Grande déconnexion » figure maintenant dans la plupart des commentaires concernant l’évolution de Wall Street. De fins stratèges nous dévoilent quelle a été leur méthode miracle pour dégager des profits dans un marché qui a perdu toute sa capacité à fixer une valeur des actifs cohérente par rapport aux conditions économiques passées, présentes ou futures.
Comment gagner de l’argent dans un marché délibérément inefficient qui se préoccupe uniquement de déterminer un prix (qui ne correspond à rien) et non une valeur (qui constitue une référence utile et pertinente pour l’économie et les investisseurs) ?
▪ L’ultime secret de la finance (préparez-vous)
Vous n’allez pas être déçu ; la révélation est bouleversante, révolutionnaire, totalement inattendue ! Nous n’en attendions pas moins de professionnels bardés de diplômes de l’enseignement supérieur, certains opérateurs ayant longtemps hésité entre une carrière d’astrophysicien, de candidat à la médaille Fields de mathématiques… et de quant dans l’élite de l’élite des divisions « banques d’investissement » leader sur les marchés dérivés.
Quel est donc l’incroyable secret — totalement inaccessible au commun des mortels — de ces esprits brillantissimes ?
Roulement de tambour… coup de cymbale : SUIVRE AVEUGLEMENT LA TENDANCE !
Oui, il suffit de suivre la tendance et de faire confiance à la Fed. Laquelle s’est pourtant trompée sur tout, aussi bien en 1994 (krach obligataire) qu’en 1996 (exubérance irrationnelle de Wall Street), en 2000 (Alan Greenspan saluait la Nouvelle économie), en 2007/2008 (« jamais le système financier n’a été aussi solide, aucun risque d’éclatement d’une bulle immobilière »), puis avec les quantitative easing (1, 2 et 3) qui ne marchent pas… mais ce n’est certainement pas une raison pour changer de stratégie.
Albert Einstein expliquait qu’un fou, c’est quelqu’un qui espère un résultat différent en reproduisant la même expérience qui a déjà échoué à plusieurs reprises.
Ben Bernanke ne fait rien d’autre avec son QE3. Et comme c’est un échec (le PIB américain s’est mis à se contracter dès fin septembre 2012), les stratèges en déduisent qu’il ne saurait faire machine arrière avant 2015.
Donc pour gagner de l’argent, valoriser une épargne long terme, il suffit de suivre aveuglément les ordres de l’état-major de la Fed qui, en 18 ans, n’a ni vu venir ni su prévenir aucune tempête économique, partageant le même aveuglement que les marchés et encourageant les dérives tous azimuts de Wall Street.
▪ Le règne du mouton
Abruties de drogue monétaire et inspirées par la seule logique de flux, les élites du marché se revendiquent totalement moutonnières. L’absence de tout jugement, de toute anticipation, de toute prospective deviennent les principaux leviers de performance du moment.
C’est la définition même de la « crétinerie la plus crasse » invoquée par les élites pour fustiger les foules ignorantes qui, lors de chaque bulle boursière (sauf cette fois), se précipitent vers une richesse facile et illusoire.
En principe, le mouton lambda n’écoute que son instinct, son cerveau reptilien. Moins il sait, plus il se croit génial (il a tout compris) et invulnérable (ça gagne à tous les coups). Il en découle un marché de « bidasses de seconde classe » obéissant à un adjudant décérébré qui arbore fièrement son nom sur sa poitrine : A. Padugain.
Ceux qui se considèrent comme les sherpas de Wall Street se pensent très au-dessus de la mêlée. S’ils sont des moutons, ce sont des moutons très savants, tellement savants que le réel est un champ d’expérimentation trop trivial et imparfait pour constituer une référence… C’est le royaume de l’irrationalité, et ce royaume a besoin d’un nouveau chef qui commande aux éléments et aux lois du hasard.
Puisque le monde des équations est parfaitement rationnel, c’est donc au réel de s’y plier.
Le mouton à toison d’or de Wall Street sait tout de la mécanique quantique, de la conversion des derniers acquis de la neuroscience en algorithmes boursiers ; il maîtrise le risque et le chaos (s’il s’était intéressé au mouvement des plaques tectoniques, Fukushima aurait certainement pu être évité !).
Toute la science des moutons à toison d’or est mise au service de la détermination d’un prix qui est une donnée parfaitement objective — et non d’une valeur qui est une donnée subjective et relative.
▪ Une étude à succès… et pour cause
Dans le même esprit, et à l’appui de ce qui précède, une étude publiée tout récemment par State Street rencontre un succès fulgurant dans les salles de marché : si un indice américain — son prix affiché — dépasse un précédent record absolu, alors cet indice verra son prix progresser de 20% supplémentaires dans les 12 à 18 mois qui suivent.
Personne aujourd’hui ne se demande plus si cette hausse du prix va correspondre à une embellie économique, une création de richesse ou une hausse des profits. C’est totalement secondaire puisque c’est le prix du jour qui conditionne le prix du lendemain — et ainsi de suite, inlassablement, dès lors qu’il existe une tendance et qu’elle est parfaitement identifiable.
Il ne reste plus qu’à la suivre sans réfléchir. Et la meilleure manière de le faire — c’est à dire avec le maximum d’efficacité –, c’est de confier cette tâche à des robots-traders à haute fréquence.
Autrefois, le mouton lambda confiait cette tâche à ses 10 doigts pour remplir une fiche ou tapoter un ordre sur son ordinateur.
Quelle différence cela fait-il ?
Là où il fallait à un krach quelques heures ou quelques jours pour se matérialiser, grâce aux robots, il ne faut aujourd’hui que quelques millisecondes pour le déclencher puis quelques minutes pour que la catastrophe devienne incontrôlable et que tout le monde soit piégé.
Le krach des temps anciens laisse sa place au flash krach des temps nouveaux. C’est aussi cela la Nouvelle économie : un monde ou la « savante imbécillité » s’est dotée des moyens d’être beaucoup plus dévastatrice.
Et la Fed — imitée par la Bank of Japan — use de toute son influence pour que le prochain couac monétaire se transforme en une symphonie de chaos financier et de destruction de valeur.