▪ Si vous aimez l’action, le suspense, l’inattendu… oubliez les marchés financiers. En 2012, leur évolution s’avère aussi captivante qu’un concours de vélocité entre deux limaces sur une feuille de laitue avachie ou le rush d’une étoile de mer se hâtant d’aller dévorer une patelle.
Nous avions ces images en tête lorsque nous avons commencé à écrire hier vers 19h. Wall Street semblait se lancer à la poursuite du CAC 40 et du DAX 30, lesquels ont clôturé en hausse symbolique ce lundi (0,07% pour l’indice parisien).
Les opérateurs qui surveillaient les indices américains depuis 14h30 — l’Amérique est passée à l’heure d’été ce week-end et les marchés ne se remettent apparemment pas du décalage horaire — bâillaient depuis plus de quatre heures. Ils ressemblaient à des huîtres échouées sur une plage de Floride au mois d’août, lorsqu’une microscopique inflexion haussière a commencé à se dessiner.
Il a fallu attendre 14h (heure locale) pour voir le S&P repasser dans le vert — le gain n’a pas dépassé 0,05%. Pendant ce temps, le Dow Jones a engrangé un spectaculaire 0,35%, ce qui l’a propulsé au niveau des 12 970 points (après une ouverture au contact des 12 950 points).
Ne souriez pas, c’est poussif et laborieux… mais cela pourrait constituer l’ébauche d’une treizième semaine de hausse !
▪ Les marchés sont sous anesthésie mais le réveil risque de faire mal
Même hypothèse pour la Bourse de Paris, qui a bénéficié d’un sursaut de dernière minute permettant au CAC 40 de se hisser vers 3 490 points alors que l’indice était inchangé à 17h29.
Ce score marginalement positif apparaît quelque peu flatteur à l’issue d’une séance soporifique. En effet, le CAC 40 a évolué dans le rouge durant 90% du temps, oscillant entre 3 470 et 3 485 points (un niveau rejoint opportunément à moins d’un quart d’heure de la clôture).
Peut-être les investisseurs ont-ils puisé quelque optimisme dans la remontée de l’euro vers les 1,3150 $. Les cambistes considèrent, eux aussi, que l’exercice des CDS sur la Grèce après le feu vert de l’ISDA vendredi soir est un non-événement ; c’est exactement ce que les stratèges martèlent depuis des semaines.
Les enjeux financiers — les primes à verser aux assurés — ne seraient pas supérieurs à 3,2 milliards d’euros. Nous évoquions un montant de 3,6 milliards d’euros il y a une semaine, en précisant que personne n’est capable de chiffrer précisément les sommes en jeu du fait de l’opacité des transactions qui se concluent uniquement de gré à gré.
La Grèce, ce n’est évidemment pas le gros morceau dont les marchés seraient bien inspirés de s’inquiéter au cours des prochains mois. Nous attendons que l’effet anesthésiant des injections de liquidités se dissipent pour que puisse enfin s’enclencher le débat concernant la solvabilité du Portugal, de l’Espagne… et en cas de récession, de l’Italie.
▪ Des dettes qui sentent de plus en plus mauvais
Parce que la crise des dettes souveraines, c’est en quelque sorte l’illustration du « syndrome des lasagnes » : une première couche de dettes immobilières a commencé à moisir en 2007.
Pour en masquer l’aspect peu ragoûtant et l’odeur nauséabonde, les Etats y ont rajouté plusieurs couches d’argent public (les dettes souveraines). Mais ce n’est pas ainsi que l’on peut enrayer la propagation de la moisissure, ni stopper la fermentation. Bien au contraire, plus on rajoute de pâte fraîche et de coulis de tomate, plus le processus s’accélère.
Et de quoi tente-t-on à présent de recouvrir les lasagnes de dette privées + dettes souveraines ? Eh bien tout simplement d’un couche supplémentaire de dettes pas encore créées (comprenez d’argent pas encore imprimé) baptisées MES.
Les Anglo-Saxons ne manqueront pas (le jour venu) de railler ce mécanisme de sauvetage qui fait fi de l’opinion des peuples et des parlements et qui porte un nom prédestiné en anglais : le « mess » — autrement dit, le gâchis, le foutoir… et autres notions du même acabit.
A chaque étape de la crise de la dette, nos banquiers centraux, coiffés de leur toque blanche barrée du signe Fed ou BCE, redoublent d’efforts pour épaissir les lasagnes maudites.
S’ils ont épuisé leur stock de sauce tomate, de farine et d’oeufs, ils devront faire preuve de créativité. Nous leur faisons confiance, ils doivent bien pouvoir encore trouver des bouteilles de ketchup et des feuilles de riz pour entretenir l’illusion le temps d’un dernier passage au four.
Mais dans la cuisine, ça sent de plus en plus mauvais et pour ne rien arranger, des fortes odeurs de fioul s’insinuent depuis l’extérieur.
▪ La Chine amasse du pétrole, mais pourquoi ?
Les marchés ont appris hier matin que la Chine avait enregistré un déficit commercial record (et historique) de 31 milliards de dollars au mois de janvier, causé principalement par un effort singulier de restockage de produits pétroliers.
Tout le monde sait bien que ce n’est pas à cause de l’anticipation de grands froids puisqu’on se dirige vers le printemps, ni dans l’attente d’une activité économique plus soutenue puisque le PIB chinois devrait ralentir autour de 7,5% en 2012 (contre 9,2% en 2011).
Mais pourquoi Pékin s’empresse-t-il de remplir toutes les aires de stockage alors que l’OPEP ne constate aucun risque de pénurie en 2012, compte tenu du rythme plus lent de la croissance mondiale ?
Les Chinois redouteraient-ils une possible rupture d’approvisionnement ?
Personne ne semble se poser la question.
Et qui figure parmi leurs principaux fournisseurs ?
L’Iran.
Ah bon ! Mais puisque les marchés ne s’en préoccupent pas, c’est que cela n’a sûrement rien à voir !