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La Fed est-elle vraiment utile ? (1/2)

Fed, cycle économique, récession

A travers leur histoire, les Etats-Unis ont très longtemps réussi à se passer d’une banque centrale. Les cycles économiques étaient pourtant très similaires aux cycles actuels…

Les articles expliquant que la Fed « stimule » l’économie, qu’elle « réduit le chômage » ou qu’elle « combat l’inflation » se multiplient, sans que personne ou presque ne se demande si elle est en mesure de faire ne serait-ce qu’une de ces choses.

Et le cas échéant, si elle y parvient. Personne ou presque ne se pose la question de savoir si nous avons besoin d’une banque centrale en premier lieu et, dans l’affirmative, pourquoi.

Les mesures de relance de la Fed ne relancent rien du tout

Les preuves empiriques de l’efficacité de la Fed sont claires. La Fed n’est pas capable de stimuler l’économie. Il suffit simplement de prendre comme exemple la période courant de 2009 à 2019. Durant ces dix ans, l’économie américaine s’est remise de la Grande récession de 2007-2009. Cette période a été marquée notamment par une grave crise financière, en 2008, avec les faillites successives de Bear Stearns, Fannie Mae, Freddie Mac, Lehman Brothers et AIG.

Goldman Sachs et Morgan Stanley ont également frôlé la faillite. Elles n’ont dû leur salut qu’à l’intervention de la Fed, qui les a recapitalisées et sauvées, tout comme Citi, Wells Fargo et JPMorgan.

Les cycles se succèdent

Le taux de croissance annuel moyen durant toutes les périodes de reprise économique après la Seconde Guerre mondiale était légèrement supérieur à 4,2%. Le taux de croissance annuel moyen durant les périodes de reprise après 1980 était de 3,75%. Le taux de croissance annuel moyen durant la période de reprise qui aura duré de 2009 à 2019 était de 2,1%.

Il s’agit de la reprise la plus faible de l’histoire des Etats-Unis.

Elle a eu lieu au moment même où la Fed gonflait son bilan, pour le porter de 800 Mds$ à 4 500 Mds$, en recourant à d’innombrables programmes d’assouplissement quantitatif.

Nous n’entendons quasiment plus le terme « assouplissement quantitatif ». Tout simplement car cela ne fonctionne pas. De nombreuses études réalisées par des économistes de la Fed et des économistes indépendants sont parvenues à cette conclusion. Pour faire court, la pratique de la Fed consistant à imprimer de l’argent ne soutient pas la croissance et ne stimule pas l’économie.

Cela vaut également pour les baisses de taux d’intérêt. Vous vous souvenez de la politique de taux d’intérêt nuls ? La Fed a maintenu ses taux à 0% de décembre 2008 à décembre 2015, avant de les rehausser de manière marginale jusqu’à 2017. Cette période de taux nuls coïncide avec une croissance anémique durant la période de reprise qui s’est écoulée de 2009 à 2019. Là aussi, les preuves sont formelles : la politique de taux nuls ne stimule rien du tout.

Les périodes de récession et d’expansion se succèdent ; elles font partie du cycle économique. Et la Fed ne peut rien y faire, ou presque. Les cycles économiques sont régis par des événements macroéconomiques comme les reconstructions d’après-guerre, les chocs sur l’offre, la politique budgétaire, les pandémies, les maladresses réglementaires, la confiance des consommateurs, les avancées technologiques et les évolutions démographiques.

La Fed n’a pas grand-chose à voir avec ces facteurs. De fait, l’histoire de la Fed est une accumulation de gaffes due à son incapacité chronique à lire correctement les indicateurs du cycle économique.

C’est clairement la Fed qui a provoqué la Grande Dépression en resserrant sa politique monétaire entre en 1927 et 1929, avant le krach boursier d’octobre 1929. La Fed a prolongé cette récession en poursuivant une politique trop restrictive.

Les Etats-Unis sont sortis de la première récession (1929-1932) de la Grande Dépression lorsque Franklin Delano Roosevelt a dévalué le dollar face à l’or, en 1933. Les Bourses ont fortement rebondi de 1933 à 1936, mais la Fed a commis une autre bévue en resserrant sa politique en 1937, provoquant une récession brutale en 1937-1938.

C’est cette séquence de deux récessions, la seconde survenant avant même que l’économie américaine ait eu le temps de se remettre de la première, qui a fait de cette période la Grande Dépression, de 1929 à 1940. On peut donc en conclure que la Fed est incapable de soutenir l’économie, mais qu’elle est franchement douée pour la plomber.

Les ancêtres de la Fed

Il est intéressant de savoir que les Etats-Unis ont eu trois banques centrales et de longues périodes sans banque centrale. Lorsque George Washington devint le premier président en 1789, les Etats-Unis n’avaient pas de banque centrale. Cela dura jusqu’en 1791. Cette année-là, la première banque centrale, la Bank of the United States, plus connue sous le nom de First Bank of the United States, fut agréée par le Congrès américain. Elle le resta pendant 20 ans, jusqu’à 1811.

La First Bank of the United States ne poursuivait aucune politique monétaire, pas plus qu’elle ne fixait les taux d’intérêt. Elle ne réglementait pas les autres banques, ne détenait pas de réserves de change et n’agissait pas en qualité de prêteur en dernier recours.

Mais elle fut autorisée à prêter de l’argent au gouvernement des Etats-Unis, et cela marqua un tournant. La First Bank a aidé Alexander Hamilton à réaliser son plan consistant à émettre de la dette d’Etat et à aider ce nouveau marché de la dette souveraine à décoller, en montrant que les Etats-Unis étaient un emprunteur solvable. A cet égard, l’entreprise fut un véritable succès.

L’agrément de la First Bank ne fut pas renouvelé par le Congrès en 1811. La deuxième période sans banque centrale ne dura pas longtemps. La guerre de 1812, qui dura jusqu’en 1815, porta un grave coup aux finances des Etats-Unis. La dette nationale américaine passa de 45 M$ en 1812 à 127 M$ en 1815.

Cette situation financière difficile convainquit de nombreux politiciens, y compris le président James Madison, de soutenir la création de la Second Bank of the United States. Elle fut agréée par décret du Congrès en 1816, pour une durée de vingt ans. La Second Bank devint opérationnelle à Philadelphie, le 7 janvier 1817. Sa figure de proue fut Nicholas Biddle, originaire de Philadelphie, qui la présida de 1823 à 1836.

La Second Bank connut des débuts difficiles à cause d’une politique monétaire trop accommodante en 1817 et 1818, ce qui provoqua une bulle spéculative foncière, qui éclata en 1819 et provoqua une véritable panique. La banque réduisit alors la masse monétaire, ce qui engendra une longue récession, du chômage et un effondrement des prix des biens immobiliers.

Ce n’est que lorsque Nicholas Biddle prit la présidence de la banque en 1823 que la Second Bank parvint à redresser la barre. Biddle est reconnu pour avoir créé une devise stable et pour avoir mené une politique monétaire modérée de 1823 à 1833, ce qui a soutenu la croissance de l’économie américaine durant cette période.

Quand les Etats-Unis se passaient de banque centrale

Andrew Jackson fut élu président des États-Unis en 1829 et entreprit immédiatement de détruire la Second Bank. L’agrément de la Second Bank devait expirer en 1836. Le renouvellement de l’agrément de la banque devint un sujet central de l’élection de 1832 et donna lieu à une passe d’armes qui a depuis été baptisée la guerre des banques (Bank War).

Andrew Jackson remporta cette élection. Il attaqua la banque en retirant les dépôts du gouvernement fédéral et en distribuant les revenus du nouveau gouvernement fédéral à des banques privées. Jackson opposa son véto au renouvellement de l’agrément et sa volonté fut respectée. La Second Bank cessa d’exister, avec agrément fédéral, en février 1836.

Pendant 77 ans, de 1836 à 1913, les États-Unis n’eurent pas de banque centrale. Ce fut sans l’ombre d’un doute l’une des plus formidables et longues périodes de prospérité économique dans l’histoire de l’humanité.

Durant cette période, il y a eu seize récessions et six crises financières (1857, 1873, 1893, 1896, 1907 et 1910). Malgré cela, la tendance globale en matière de croissance fut positive et cette croissance, globalement non inflationniste, fut alimentée par des innovations technologiques. On peut notamment citer les chemins de fer, le télégraphe, le téléphone, les équipements agricoles, l’automobile, les gratte-ciel, l’électricité et les câbles transocéaniques.

Il y a eu autant de récessions durant les périodes avec banque centrale que durant les périodes sans banque centrale. Au cours des 110 ans qui ont suivi la création de la Federal Reserve en 1913, les Etats-Unis ont connu 20 récessions ou dépressions et cinq crises financières (1929, 1987, 1994, 1998 et 2008).

Durant les 77 ans sans banque centrale (1836-1913), il y a eu une récession tous les 4,8 ans en moyenne. Durant les 110 ans qui ont suivi la création de la Réserve fédérale (1913-2023), il y a eu une récession tous les 5,5 ans. (Dans le cas où le premier semestre 2022 serait considéré comme une récession, en vertu de la définition selon laquelle une récession correspond à deux trimestres consécutifs de contraction de la croissance, et dans le cas où une autre récession aurait lieu cette année, la fréquence chuterait à 5,0 ans).

Il s’agit d’une différence statistique peu significative sur une série temporelle de 187 ans, surtout compte tenu de la gravité de la Grande Dépression (1929-1940) qui a eu lieu sous la surveillance de la Fed. Il en résulte une forte corrélation entre la fréquence des récessions durant les périodes avec une banque centrale et la fréquence des récessions durant les périodes sans banque centrale.

Demain, nous verrons le secret qui se cache derrière l’existence de la Réserve fédérale, et qui, malgré le fait qu’elle ne soit en réalité pas essentielle, font qu’elle subsiste encore.

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