▪ Le marché boursier américain a semblé entamer son effondrement la semaine dernière — mais les autorités sont arrivées à la rescousse, comme un chirurgien extrayant un calcul rénal. James Bullard, repris de notre Chronique d’hier :
"Je pense également que les attentes inflationnistes chutent aux Etats-Unis. C’est là une chose qu’une banque centrale ne peut pas supporter. Nous devons nous assurer que l’inflation et les attentes inflationnistes restent proches de notre cible. Pour cette raison, je pense qu’une réaction raisonnable de la Fed, dans cette situation, serait d’invoquer la clause du tapering mentionnant que ledit tapering dépend des données. Nous pourrions alors mettre le tapering en pause à ce moment-là et attendre de voir ce que donnent les données en décembre. Nous continuerions donc avec le QE à un niveau très bas tel que nous l’avons en ce moment. Puis nous évaluerions nos options pour l’avenir"…
Peut-être qu’une future génération de philosophes économiques comprendra mieux. Pour nous, ça fait partie des grands mystères de la vie… avec l’Immaculée conception et l’avance d’Hillary Clinton dans les sondages.
Bullard s’inquiète, dit-il, du trop-peu d’inflation. C’est-à-dire qu’au lieu d’augmenter de 2% par an — selon les chiffres officiels — les prix grimpent seulement de 1,7% par an. Les 0,3% manquants lui restent en travers de la gorge. Il est si contrarié qu’il veut faire quelque chose. Bien sûr, on pourrait l’effacer simplement en calculant l’IPC légèrement différemment. Ou on pourrait simplement ignorer ces 0,3%… dans la mesure où il ne s’agit que d’un mirage statistique, sans signification dans le monde réel. C’est un peu comme les religieux de jadis qui se demandaient si l’hostie représente le Christ… ou s’il s’agit vraiment de la chair du Sauveur lui-même. Souvent incapables de résoudre ces questions par la logique ou la discussion, ils partaient en guerre.
C’est ainsi qui James Bullard a déclaré la guerre aux 0,3% d’inflation qui manquent selon lui… et qu’il considère comme essentiels pour le fonctionnement correct de l’économie. Cela signifie-t-il qu’une économie avec un IPC de 1,7% seulement sera obligatoirement paresseuse, laissant des veuves et des orphelins affamés sur le trottoir ? Les investisseurs refuseront-ils d’appuyer de grands projets capitalistiques s’ils voient un IPC inférieur de 0,3% à l’objectif de la Fed ? Les employeurs hésiteront-ils à mettre un panneau "On embauche" dans la vitrine… considérant le sérieux manque d’inflation comme une menace envers leur entreprise et leur gagne-pain ?
Bien entendu, les investisseurs ne se sont pas trop inquiétés des mots en tant que tels, ni de leur signification. Ils ont interprété ces paroles comme une invitation à refaire la fête. Les marchés ont grimpé.
▪ Hélas, l’allégresse est restée de courte durée…
Eric Rosengren, chef de la Fed de Boston, a déclaré à qui voulait l’entendre qu’il était "tout à fait à l’aise" avec l’idée de laisser le QE expirer d’ici la fin du mois, en fin de compte. Le rally boursier a immédiatement tourné court.
Pendant ce temps, en Europe, le banquier central Mario Draghi lutte avec le même démon : une inflation basse.
"… Si cette période d’inflation basse se prolongeait dans le temps, le risque envers la stabilité des prix augmenterait".
Qu’est-ce que ça signifie ? Disons que l’inflation soit à 1 000% année après année. Serait-ce là une "stabilité des prix" ? Bien sûr que non. La stabilité des prix augmente à mesure que le taux d’inflation approche du zéro, non l’inverse. La langue de M. Draghi a peut-être fourché. Mais il est plus probable — et plus inquiétant — qu’il croit ce qu’il dit. Lui et Bullard, les grands prêtres du culte des banques centrales, pensent avoir le droit et la responsabilité de mettre les prix là où ils veulent qu’ils soient.
Tout ça nous rappelle un principe de base :
Les gens qui insistent toujours pour qu’on suive leurs idées sont toujours les personnes dont les idées sont idiotes.
Nous nous demandons ce que M. Bullard aurait pensé des attentes inflationnistes il y a un siècle. A l’époque, il n’y avait pas d’inflation des prix à la consommation… ni d’attentes sur le sujet. Pourtant, l’économie américaine se développait rapidement… absorbant des millions d’immigrants en provenance d’Europe… avec le plein emploi et des revenus en hausse pour tout le monde ou presque, riche ou pauvre.
De toute évidence, le manque d’attentes inflationniste était un gros avantage. Les premiers banquiers centraux, il y a 100 ans, ne s’en alarmaient pas… ils considéraient ça comme une partie de leur travail. Leur tâche consistait à maintenir la solidité du dollar US. Ils le faisaient de manière très simple et efficace : en s’assurant qu’il était lié à l’or de manière expresse et immuable.
L’or était lui aussi soumis à l’inflation — de grosses grèves en Afrique du Sud et en Californie firent grimper les prix à la consommation au milieu des années 1800. Ensuite, le marché s’est mis en marche… améliorant la productivité et la production, augmentant ainsi l’offre de biens et de services. Résultat : les prix ont chuté durant la seconde moitié du 19ème siècle. "L’ancre dorée" à laquelle le dollar était lié était telle qu’en 1914, le navire était de retour au port qu’il avait quitté 100 ans auparavant — le pouvoir d’achat du dollar quasiment identique à celui qu’il était en 1814.
Messieurs Draghi et Bullard peuvent cesser de s’inquiéter.