La Chronique Agora

La Fed décrète le maintien de l’économie américaine en soins palliatifs

▪ Ben Bernanke avait semé le trouble chez certains stratèges mercredi dernier. Cela ne s’est pas vu sur le coup : les marchés ont été emportés par une bouffée d’euphorie… mais ce trouble s’était traduit le lendemain par un repli de 1% de Wall Street à l’issue de la séance des « Quatre sorcières ». Un scénario pour le moins inattendu en guise de conclusion d’un trimestre en or massif.

Percevant qu’un petit accès de spleen risquait d’assombrir l’humeur des détenteurs d’actions, deux collègues de Ben Bernanke (William Dudley de la Fed de New York et Denis Lockhart de la Fed d’Atlanta) se sont empressés dès hier après-midi de rassurer Wall Street par des messages convergents.

Le redressement de l’emploi américain s’avère inférieur aux estimations. Il faudra longtemps avant de repasser sous les 7% : avec un taux de sans-emploi estimé entre 17% et 20%, dont deux tiers au moins sont aptes à exercer immédiatement un métier… l’objectif ne sera pas atteint avant l’ouverture des jeux de Tokyo en 2020.

Par ailleurs, la croissance reste lente. Les Etats-Unis assistent à une contraction du PMI manufacturier qui est ressorti à 52,8, à comparer avec 53,1 en août, déjouant un consensus de 54 en septembre.

L’économie américaine a donc toujours besoin des bons soins de la Fed… Cependant, à raison de 5 $ injectés pour obtenir 1 $ de PIB additionnel, ce n’est plus un traitement d’appoint, cela devient des soins palliatifs.

Enfin, la récente hausse des taux risque de faire dérailler la reprise du secteur immobilier (sauf pour les appartements à cinq millions de dollars en plein coeur de Manhattan, très prisés par les brasseurs d’argent de Wall Street).

Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, la conclusion est évidente : il était inopportun de réduire les achats de la Fed mi-septembre. Le faire dès fin octobre semble également prématuré.

Conclusion : probablement encore quatre mois d’injections à plein régime car il serait mauvais de casser la dynamique haussière des marchés mi-décembre en pleine orgie acheteuse de la période des fêtes.

▪ Un océan de liquidités
Il n’est donc pas étonnant que Wall Street frémisse d’aise à l’idée de nager dans un océan de liquidités jusqu’au départ (ou pas ?) de Ben Bernanke fin janvier 2014.

Le S&P 500 a enchainé une troisième séance de repli (-0,45%). Ce n’est pas arrivé souvent cette année : la précédente série datait de début août, après le test des 1 709 points. Le dernier top vient d’être inscrit à 1 729,86 points, manquant de peu l’objectif des 1 724 points (résistance oblique long terme et double ratio de Fibonacci par rapport au plancher des 666 points).

Que le S&P s’arrête à 1 730 et ou qu’il s’offre un dernier coup de reins vers 1 740, l’indice est spectaculairement suracheté en UT hebdomadaire — et il semble s’acheminer vers la constitution d’un nième triple sommet.

Cette figure apparaît systématiquement en fin de phase haussière moyen et long terme. On la retrouve lors de la culmination sous 1 360/1 370 de février à juillet 2011, sous 1 560/1 565 de juillet à décembre 2007, sous 1 550/1 530 de mars à fin août 2000.

A court terme, le S&P 500 a laissé béants deux gaps au-dessus de 1 688 le 13 septembre puis 1 672 points le 9 septembre dernier… ce qui semble traduire une fuite en avant haussière.

Ceci n’est pas une « affirmation orientée ». Il suffit de jeter un coup d’oeil sur la courbe des volumes pour réaliser qu’ils se contractent inexorablement (-20%) depuis le début de l’année, de -45% depuis le plancher des 1 100 points d’octobre 2011.

D’où ce constat assez vertigineux : plus l’indice monte, moins il y a d’acheteurs. C’est un fait unique dans l’histoire des marchés américains.

Les injections de la Fed distordent non seulement la fixation des cours mais semblent asphyxier — très paradoxalement — l’activité boursière.

Ou alors, face à un marché manipulé et des cours artificiels, une majorité d’opérateurs ont jeté l’éponge… Et les épargnants américains — par dizaines de millions — continuent d’arbitrer en faveur des bons du Trésor, sauf les 1% les plus fortunés qui détiennent désormais 42% de la richesse nationale.

Symétriquement, les 50% d’Américains les moins riches ne détiennent que 2% des actions en circulation (et 40% n’en détiennent aucune). Juste un petit chiffre en passant pour illustrer à quel point la hausse de Wall Street génère un « effet de richesse » aussi global qu’irrésistible sur les classes moyennes…

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