La Chronique Agora

De la Fed aux dirigeants politiques, l’irresponsabilité est récompensée

Par Marc Faber

▪ Pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, les dirigeants qui étaient en position d’exercer le pouvoir étaient responsables de leurs actes. S’ils faisaient la guerre ou devaient défendre leur territoire contre des envahisseurs, ils y perdaient souvent leur vie, leur territoire, leur armée, leur pouvoir et leur couronne. Je ne nie pas que certains étaient irresponsables mais en général ils étaient pleinement conscients de devoir répondre de leurs actes et, par conséquent, ils agissaient de façon responsable.

Le problème auquel nous devons faire face aujourd’hui est que nos responsables politiques et chefs d’entreprise ne sont pas tenus pour responsables de leurs actes. L’économiste Thomas Sowell le résume bien :

"Il est difficile d’imaginer une façon plus stupide ou plus dangereuse de prendre des décisions que de mettre ces décisions entre les mains de personnes qui n’en tireront pas les conséquences en cas d’erreur".

Lorsque les responsables politiques ou les décideurs économiques échouent, le pire qui puisse leur arriver est de ne pas être réélus ni renouvelés. Ils deviendront par la suite lobbyistes, conseillers ou consultants, donnant des conférences, gagnant ainsi de fortes sommes en plus de leur pension.

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De même, de nombreux cadres et gestionnaires de fonds qui n’ont pas d’intérêts personnels dans l’entreprise qui les emploie recevront de généreuses retraites même s’ils échouent à accomplir leur tâche correctement et sont renvoyés. (Ceci ne s’applique pas aux gestionnaires de hedge fund qui, pour la plupart, ont investi leur propre fortune dans leur fonds.) En d’autres termes, probablement pour la première fois dans l’histoire, nous avons aujourd’hui un système où non seulement les responsables ne sont pas punis pour leurs échecs mais sont en fait récompensés…

Dernièrement, Warren Buffett a déclaré que la Fed était le plus grand hedge fund au monde. Il se trompe. Les plus grands hedge funds au monde sont détenus par des gens qui prennent des risques avec leur propre argent, puisque généralement ils représentent les plus gros investisseurs dans leurs fonds. Les intellectuels qui siègent à la Fed jouent avec l’argent des autres.

▪ Quel pouvoir pour la Fed ?
Cependant, si nous considérons que la Fed, dirigée par son président, est l’organisation la plus puissante au monde — parce qu’en imprimant de l’argent elle peut financer le gouvernement (déficits budgétaires) et les guerres, manipuler le coût de l’argent (taux d’intérêt), intervenir directement dans l’économie en renflouant des institutions en faillite (banques) ou des pays en faillite (Grèce, etc.), intervenir sur le marché des changes étranger et même influencer des élections — alors se pose la question de savoir si tant de pouvoir doit être dévolu aux membres de la Fed qui sont un "groupe de réflexion" constitué d’universitaires dont la plupart n’ont jamais travaillé dans le secteur privé.

Le pouvoir énorme de cette Fed "universitaire" donne froid dans le dos. Mon ami Fred Sheehan a récemment cité une conversation entre Johann Peter Eckermann et Goethe, le 1er février 1827. Ils parlent de ces professeurs qui, après avoir trouvé une meilleure théorie que la leur, l’ignorent quand même :

"Il ne faut pas s’étonner", dit Goethe, "que de telles personnes persistent dans leur erreur car elles en sont redevables pour leur existence. Elles devraient tout réapprendre et cela serait très gênant".

"Mais comment leurs expériences établissent-elles la vérité lorsque la base de leur évaluation est fausse ?"

"Ils ne font pas la preuve de la vérité", répond Goethe, "et telle n’est pas leur intention ; le seul intérêt de ces professeurs est de prouver leur propre opinion. Pour cela, ils dissimulent toutes les expériences qui révéleraient la vérité et montreraient que leur doctrine est indéfendable. Ces universitaires — qu’en ont-ils à faire de la vérité ? Comme les autres, ils sont parfaitement satisfaits s’ils peuvent babiller empiriquement ; voilà tout le problème".

Heureusement, il existe une institution qui exerce un contrôle sur les intellectuels de la Fed ; elle s’appelle l’économie de marché. Comme je viens de l’expliquer, la Fed est une organisation extrêmement puissante mais, avec le temps, l’économie de marché est une force encore plus puissante qui peut se montrer plus maligne que les intellectuels parce qu’elle possède une grande capacité d’adaptation et est dynamique. Ainsi, depuis la mise en oeuvre du QE1 fin 2008, la masse monétaire a explosé mais l’économie "réelle" n’a guère réagi.

Je sais que les néo-keynésiens avanceront que la Fed n’a pas suffisamment étendu ses achats d’actifs. Mais, comme je l’ai mentionné auparavant, M. Bernanke a déclaré lors d’une conférence de presse le 13 septembre 2012 :

"Nous pensons que cette politique [le QE3] peut faire baisser les taux d’intérêt — pas seulement les taux des bons du Trésor mais tout un ensemble de taux, dont les taux hypothécaires et les taux d’obligations d’entreprises et d’autres types de taux d’intérêt importants".

Et qu’est-il arrivé ? Les taux d’intérêt ont augmenté. Selon David Rosenberg, nous vivons actuellement la cinquième pire liquidation de bons du Trésor à 10 ans depuis les années 1960. Même si nous sommes tous d’accord pour affirmer que beaucoup de facteurs autres que les politiques de la Fed ont eu un impact sur l’économie (régulation, Obamacare, etc.), il est clair que les QE3 et QE4 de la Fed ont complètement raté leur objectif. Voilà un exemple où l’économie de marché a gravement humilié les professeurs de la Fed.

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