▪ Les politiques d’argent facile de la Fed vont soit réussir, soit échouer. Dans les deux cas, ce sera un désastre. Si elles réussissent, les taux d’intérêt vont grimper… et l’économie américaine intoxiquée à la dette se mettra à trembler. Si elles échouent, la Fed redoublera d’efforts… avec de nouveaux actes d’improvisation périlleuse, comprenant de plus grandes doses de crédit, jusqu’à ce que tout le système explose.
La semaine dernière, on aurait dit que le succès avait engendré le désastre. L’or a repris un bon crochet du droit… chutant de 39 $. Les actions ont repris du terrain. Ces deux choses étaient notamment dues aux dernières nouvelles de l’emploi américain. Apparemment, les employeurs se sont remis à entraîner hommes et femmes valides dans leurs ateliers.
Qu’est-ce que ça veut dire ? se sont demandé les investisseurs.
"La Fed peut désormais réduire le rythme", ont dit certains. "Vendez l’or !"
"L’économie se remet", ont dit d’autres. "Achetez les actions !"
Nous avons remarqué quelques commentaires mesquins sur internet, critiquant les chiffres. Un site disait que la plupart des postes concernés sont des emplois de serveur et des barmen. Un autre rappelait que les Américains attendent encore plus de 30 mois avant de trouver un emploi… et que la main-d’oeuvre, en tant que pourcentage de la population, est à son plus bas niveau depuis les années 70.
Mais soyons juste. Ces chiffres traduisent une sorte de succès : en dépit des politiques de la Fed, l’économie est non seulement encore en vie… mais elle se remet sur ses pieds.
Si c’est bien le cas, ce sont de bonnes nouvelles pour les gens qui ont finalement trouvé un emploi décent. Quant à l’avenir de l’économie américaine, c’est un désastre.
▪ Quelle est la chose la plus importante sur les marchés mondiaux actuellement ?
Allons… vous savez bien. Les obligations baissent ; les taux d’intérêt (rendements) grimpent.
Ceci n’est bien entendu pas un fait. C’est une supposition. Comme toutes les suppositions, elle vient avec un Caveat Lector : ce n’est pas nécessairement vrai. M. le Marché est rusé. Et il pourrait être en train de tous nous tromper.
Cependant, un changement de direction du marché obligataire est inévitable. Quand il se produira, ce sera une catastrophe. Mais pour qui exactement ? Comment ? Quand ?
Une génération entière a grandi durant une époque de baisse des taux d’intérêt. Quand le dernier retournement s’est produit, les baby-boomers entraient tout juste dans l’âge adulte. Ils fondaient une famille, commençaient leur carrière, envisageaient d’investir. De 1981 au mois dernier, ils n’ont rien connu d’autre : les taux de prêts ont baissé… baissé… baissé, les taux hypothécaires passant de plus de 10% à moins de 4%. Les actions ont grimpé (avec quelques épisodes de vertige). Les obligations ont grimpé. L’économie elle aussi semblait se développer sans trop d’efforts.
Un monde où les taux d’intérêt chutent est un monde doux et indulgent. Si on a des problèmes d’argent, on refinance à des taux plus bas. Difficile de se ruiner quand les gens rendent de plus en plus de crédit disponible à des taux de plus en plus bas. Il est également difficile de ne pas gagner d’argent quand les gens dépensent des sommes qu’ils n’ont jamais gagnées.
▪ Un monde de faux-semblants boiteux
C’est aussi un monde étrange. Un monde de faux-semblants, où les gens font semblant d’avoir des revenus qu’ils n’ont pas vraiment. Où les détaillants font semblant d’avoir des clients qui peuvent payer leurs factures. Où les économistes de la Fed font semblant d’avoir la situation sous contrôle… et où la Grande modération est une caractéristique de leur propre gestion intelligente.
C’est aussi une sorte de monde insoutenable, déséquilibré, boiteux. Un monde qui s’effondrera tôt ou tard. Pourquoi ? Parce que les gens ne peuvent pas dépenser éternellement de l’argent qu’ils n’ont pas. Quand le retournement se produira, le monde ne sera plus si indulgent… si simple… et si prêt à se laisser manipuler par les économistes maladroits des autorités.
D’abord, l’argent cesse de couler du prêteur vers l’emprunteur, puis vers le détaillant et enfin vers l’actionnaire. Il commence plutôt à couler dans la direction opposée… Les actionnaires, les détaillants et les emprunteurs voient leurs revenus décliner. Les prêteurs, de leur côté, commencent à voir leur argent revenir. Hélas, ils sont déçus. Parce que les prêts qu’ils ont faits à 3% semblent minables et idiots dans un monde où les rendements sont à 5%. Leur argent, parti plein de confiance juvénile, leur revient tout courbé, usé par une vie de bâton de chaise.
▪ Le système va-t-il se mettre à fonctionner à l’envers ?
Si la hausse des taux d’intérêt réels devait commencer maintenant — ce qui est peut-être le cas –, le système tout entier se mettrait à fonctionner à l’envers. Au lieu de crédit facile et de créanciers souriants, les emprunteurs se trouveraient confrontés à des huissiers grognons et des taux de prêts plus élevés. Ils réaliseraient également qu’ils doivent réduire leurs dépenses pour payer les taux plus élevés… ou faire faillite. Et cette fois-ci, personne n’est là pour les rattraper quand ils tombent. Il n’y a pas d’occasion de se refinancer… pas même à des taux plus élevés.
Durant un cycle de crédit "normal", tout cela s’accompagne des crises et catastrophes habituelles. Certaines entreprises mettent la clé sous la porte. D’autres augmentent leurs parts de marché. Certains ménages font faillite. D’autres prospèrent. Certains prêteurs encaissent de grosses pertes. D’autres gèrent leurs risques plus prudemment.
Rien d’extraordinaire, en d’autres termes. Mais que se passe-t-il lorsque le crédit a été anormalement conséquent ? Le dernier marché haussier des obligations (avec hausse des rendements) a commencé après la Deuxième guerre mondiale, alors qu’il y avait très peu de dettes en cours. Que se passe-t-il quand les gens ont des dettes par-dessus la tête… et que les taux d’intérêt grimpent ? Que se passe-t-il quand toute l’économie — du budget fédéral aux finances des ménages — dépend de niveaux de dette sans précédent, à des taux d’intérêt insupportablement bas ?
C’est ce que nous allons découvrir. Parce que si l’économie commence vraiment à se réchauffer, les taux d’intérêt anormalement bas de la Grande correction ne peuvent que dégeler eux aussi.