▪ Voici quelques propos que nous envoie notre collègue Chris Lowe (analyste financier en chef pour le Bonner Family Office). Il a un point de vue plus généreux que le nôtre sur la politique de la Fed.
"Je ne suis pas sûr qu’il soit exact de dire que la Fed retarde la reprise", nous dit Chris.
"Si on regarde les Etats-Unis, certes les choses ne sont pas parfaites, mais elles vont sacrément mieux qu’en Europe, où la BCE n’a pas mis d’assouplissement quantitatif en place".
Eh bien… peut-être. Quasiment toute la différence entre les performances de l’Europe et celles des Etats-Unis peut s’expliquer par la manière dont ils bidouillent et truquent les chiffres… et la rigidité du marché de l’emploi européen. Mais continuons.
"Je pense qu’il serait plus exact de dire que l’impression monétaire de la Fed échoue à faire parvenir le crédit à ceux qui en ont besoin — les petites entreprise"…
"Est-ce que des taux d’intérêt plus bas rendent vraiment l’accès au crédit plus difficile pour les petites entreprises, ceci dit ? C’est plutôt que les banques ne veulent pas prêter, non ?
Pourquoi les banques ne veulent-elles pas prêter ? Parce qu’une Grande correction est en cours… prolongée… et retardée par la Fed. Prêter de l’argent à de petites entreprises est risqué, surtout durant une correction. Les grandes entreprises, en revanche, sont protégées par la Fed.
Quand on truque les prix, il finit toujours par y avoir des pénuries. Les taux d’intérêt artificiellement bas — le prix du crédit — étouffent la véritable épargne et le véritable crédit. Le crédit de la Fed — l’épargne factice — ne va qu’aux plus gros emprunteurs, en particulier le gouvernement américain et des emprunteurs lui appartenant, comme Fannie Mae et Freddie Mac.
▪ Les fans des banques centrales ont la parole
"Ce qui est notable," reprend Chris, "c’est que quand les banques centrales appliquent une politique monétaire souple durant une phase de désendettement (les Etats-Unis en 1933-1937, la Grande-Bretagne en 1947-1969, et les Etats-Unis à nouveau entre mars 2009 et aujourd’hui), nous voyons :
1. Une croissance positive du PIB
2. Une chute du ratio dette/PIB"
"Mais durant les désendettements, quand les banques centrales appliquent des politiques monétaires dures (les Etats-Unis en 1930-1932, le Japon en 1990-2013, les Etats-Unis en 2008-2009), nous voyons :
1. Une croissance négative du PIB
2. Une augmentation du ratio dette/PIB"
"Je pense que l’on peut dire que la Fed en fait trop avec le QE… Mais les preuves suggèrent que l’assouplissement monétaire peut empêcher des phases de dépression dans l’économie".
Nous ne dirons rien pour l’instant, le temps qu’un autre fan des banques centrales nous donne son avis. Voici Martin Wolf dans le Financial Times, qui pense que la Fed a empêché des conditions "de dépression" aux Etats-Unis :
"Les banques centrales, y compris la Fed, font ce qu’ils faut. Si elles n’avaient pas agi comme elles l’ont fait ces six dernières années, nous aurions sûrement subi une deuxième Grande dépression. Eviter un tel effondrement puis aider les économies à se reprendre est la tâche des banques centrales".
"… La crise financière a coïncidé avec une chute des prix réels des maisons aux Etats-Unis, et a déclenché un désendettement parmi les institutions financières et les ménages. Il a fallu des actions monétaires et budgétaires fortes pour contrebalancer ces forces de contraction. Dans la mesure où le soutien budgétaire a été hélas retiré prématurément, c’est à la Fed qu’est revenu ce travail. Avec des taux d’intérêt de court terme à zéro, elle devait influer sur les taux à plus long terme pour que la politique monétaire fasse effet".
"A époque exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Ceux qui critiquent si amèrement la Fed manquent d’imagination ou sont indifférents à ce qui serait arrivé à l’économie et à leurs concitoyens si la Fed (et d’autres banques centrales) étaient restée assise à ne rien faire".
▪ Etes-vous convaincu, cher lecteur ?
Nous non. D’abord parce que les comparaisons tentant de démontrer que les politiques souples fonctionnent mieux que les politiques dures ne sont pas probantes. Ce n’est pas de la science. Ce n’est même pas de la pseudo-science. Ce sont de pures suppositions, basées sur des conclusions hâtives, elles-mêmes enracinées dans des statistiques douteuses et des hypothèses improbables.
Ensuite — à moins que nous vivions vraiment une nouvelle ère –, des professeurs de finance ne peuvent pas mieux décider des prix que le marché lui-même. Ces gens n’ont pas la moindre idée de ce qui pourrait se passer. Ils ne savaient déjà pas ce qui se passait pendant que ça se passait. Et ils ne savaient pas plus comment y réagir une fois que c’était passé.
A présent, Ben Bernanke fixe le prix — autant qu’il le peut — du crédit de court terme. En utilisant les taux zéro et l’assouplissement quantitatif, il cherche à truquer les cours des actions et des obligations. L’immobilier, lui aussi, est sensible aux interventions brutales de Bernanke. En essayant de faire grimper l’IPC, il travaille ouvertement à augmenter les prix de tous les biens de consommation. Est-ce qu’une telle manoeuvre a fonctionné pour Dioclétien ? Nixon ? Hitler ? Staline ?
Montrez-nous un cas où les manipulations des ronds-de-cuir du gouvernement ont fait mieux qu’un système de marché. Montrez-nous le rond-de-cuir qui est plus intelligent et mieux informé que 300 millions de consommateurs, d’investisseurs et d’hommes d’affaires. Montrez-nous un seul cas où les ronds-de-cuir ont vraiment amélioré le sort des gens.
Enfin, la grande affirmation tant de notre collègue que de Martin Wolf — sans parler de M. le Banquier Central lui-même — est que les économistes des banques centrales ont évité des conditions de dépression économique. Eh bien, si vous étiez l’un des trois millions d’Américains dont les emplois n’existent plus, vous penseriez sans doute que les conditions de dépression n’ont pas été évitées du tout. Les actions ont grimpé. L’immobilier aussi. Mais l’économie ? Faites bien le calcul — le PIB et l’emploi –, et vous verrez des conditions qui ressemblent tout à fait à une dépression.
Ce que la Fed a produit, ce sont des conditions de dépression sans les effets salutaires — la destruction créatrice — d’une vraie dépression. Une dépression, c’est comme du Destop. C’est une bonne chose — quand c’est court, rapide et rigoureux. Cela permet d’évacuer ce qui encrasse les tuyaux de l’économie. Mais la Fed n’a pas permis une vraie dépression. Elle a arrêté le nettoyage… et versé encore plus de saletés dans l’éviter. Les banquiers ont eu plus d’huile. Idem pour les grandes corporations et le gouvernement. Et voilà six ans, maintenant, que le système est bouché par des cochonneries qui retardent la vraie croissance.