La Chronique Agora

A la Fed, Bernanke annonce la fin de soirée pour l’assouplissement quantitatif

▪ Nous n’allons pas vous infliger un commentaire de texte de la conférence de presse de Ben Bernanke façon baccalauréat. Sachant que beaucoup de remarques et expressions relèvent du langage codé, nous nous bornerons à mettre en parallèle les thématiques suffisamment évidentes pour avoir engendré des mouvements de cours significatifs.

Le Dow Jones a perdu 100 points — et les taux longs ont explosé de +15 points de base à 2,33%. Cela en une poignée de minutes vers 20h45 sur la confirmation d’une probable réduction graduelle des rachats d’actifs « au cours des prochains mois » si l’amélioration économique que la Fed diagnostique se confirme au second semestre 2013.

Elle relève par ailleurs ses prévisions de croissance pour 2014 : cette dernière serait comprise entre 3% et 3,5%. La Fed estime que l’impact des coupes budgétaires commencera à s’estomper (le « séquestre » devrait amputer le PIB américain de 0,9% cette année).

Si ces anticipations d’une croissance plus soutenue et auto-entretenue sont validées lors des prochaines réunions de la Fed, le robinet du QE3 pourrait être refermé d’ici mi-2014.

Cela signifie plus concrètement que lorsque la décision de restreindre le débit, en novembre prochain par exemple (pour le premier anniversaire du début des injections « à toute vapeur », soit quatre milliards de dollars par jour), il ne restera plus au marché qu’à calculer de combien le QE3 doit être amputé par mois afin d’atteindre le niveau zéro avant l’été 2014.

▪ Réduction homéopathique
En imaginant — pure hypothèse — que la Fed se donne sept ou huit mois pour y parvenir, un processus linéaire se solderait par une réduction homéopathique de 10 à 12 milliards de dollars par mois.

Si elle forçait l’allure (mettons six mois), cela donnerait du -15 milliards de dollars. Ce serait là le scénario du pire… Mais nous ne doutons pas que les marchés vont l’intégrer dans leurs réflexions, ce qui ne manquera pas de changer la donne au cours des prochaines semaines.

Que les permabulls se rassurent, une bonne surprise n’est pas à exclure d’ici vendredi pour que la journée des « Quatre sorcières » ressemble au jour de fête auquel Wall Street se préparait. Après tout, de nombreux membres de la Fed peuvent intervenir pour modifier la perception du discours par les marchés.

Janet Yellen ou James Bullard — des aficionados de la planche à billets — ne manqueront pas de souligner qu’en l’état actuel des statistiques de l’emploi ou de l’inflation, rien ne presse ; d’autres hypothèses de travail restent sur la table.

La Fed laisse totalement ouverte la possibilité d’entamer une décélération « au moment opportun » puis de marquer une pause si les conditions économiques se détériorent. Ben Bernanke n’a-t-il pas toujours affirmé que sa priorité était de soutenir activement la croissance afin que l’emploi se rapproche de l’objectif des 6,5% et le PIB de la moyenne historique des 3% ?

▪ Les marchés rassérénés sur plusieurs points
Les indices américains se sont nettement redressés en fin de conférence, lorsqu’il a confirmé que la décrue actuelle de l’inflation (à +1,4% en 2013) le préoccupait… cependant, il pense que les prix devraient tendre à moyen terme (mi-2015) vers l’objectif des 2%.

Les marchés ont aussi apprécié qu’il réaffirme son complet soutien à la politique monétaire de son homologue japonais, M. Kuroda, tempérant au passage l’émotion suscitée par la forte volatilité de la bourse de Tokyo : « il est naturel que de profonds changements de stratégie suscitent de la volatilité, mais les décisions prises par le gouvernement nippon sont les bonnes et les marchés devraient finir saluer cette audace ».

Le patron de la Fed a également été questionné sur les distorsions engendrées par les achats de MBS (dérivés de créances hypothécaires), sans lesquels le crédit immobilier ne pourrait offrir des taux aussi bas.

Il a répondu que ce secteur était très sain : les acheteurs sont redevenus solvables et la demande de logement est solide. De surcroît, selon M. Bernanke, la Fed n’envisage pas de liquider les stocks de MBS qu’elle a accumulés depuis décembre dernier… donc le marché n’a pas à redouter de devoir absorber un « retour de papier ».

▪ Fin de soirée pour les day traders
Vu la chute du Dow Jones (-1,35% avec ses 30 composantes dans le rouge), du S&P 500 (-1,38%) et du Nasdaq… le marché a surtout compris que Ben Bernanke vient de signifier que le temps de l’open bar monétaire était révolu et que le bol de punch pourrait se retrouver désespérément vide d’ici 12 à 15 mois.

« DJ Benny B. » nous promet encore un bon quart d’heure de musique techno… Mais il prévient qu’il va devoir baisser le son et ralentir le tempo vers minuit (bigre, où le marché a-t-il posé sa montre ?) avant de terminer par une série de slows bien ringards, histoire de chasser les derniers fêtards.

Or beaucoup d’opérateurs appartiennent à cette catégorie d’oiseaux de nuit qui détestent faire la queue au vestiaire puis patienter une demi-heure avant de pouvoir ressortir du parking… avant d’aller faire la fête ailleurs, dans un endroit où l’on ne vous casse pas l’ambiance avec des « il vous reste un quart d’heure pour épuiser vos tickets boisson ».

Les day traders, qui sont aujourd’hui largement majoritaires en termes de volumes générés, n’ont même pas voulu attendre que la Fed leur serve un dernier verre. Ils ont filé tout droit vers la sortie et beaucoup les ont imités en fin de séance.

C’est pourquoi les trois principaux indices américains en ont terminé au plus bas du jour.

Mais attendez, ne partez pas comme des voleurs, personne ne vous demande de rendre la (fausse) monnaie ! Regardez le VIX : il n’a pas bougé d’un pouce et finit stable à 16,60 — ce qui relève du prodige vu la déconfiture du S&P en fin de séance.

C’est encore plus miraculeux si l’on considère le sell-off qui a mis à genoux le marché obligataire avec une chute de 7% des T-Bonds à 10 ans. Leur rendement se trouve ainsi propulsé de 2,17% vers 2,36%, le pire niveau observé depuis mai 2012.

Manifestement, on n’avait pas versé que du punch dans le verre du VIX !

Peut-être qu’un petit malin a profité de ce que Wall Street avait les yeux rivés sur la dernière performance de « DJ Benny B. » pour rajouter discrètement quelques petits cachets bleus à la posologie mystérieuse… très efficace pour dissiper immédiatement tout accès de déprime ou la gueule de bois.

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