▪ Les indices boursiers et les marchés de taux ne peuvent plus que continuer de monter éternellement. D’après une déferlante d’articles ultra-haussiers qui fleurissent sur de nombreux sites économiques, Wall Street n’en est qu’au début d’un cycle de hausse de 12 ans… Lequel n’aurait véritablement débuté qu’en 2011, après le plongeon consécutif à la dégradation de la dette américaine par Standard & Poor’s.
La période actuelle est fantastique, la tendance haussière est la plus forte — et pour tout dire, la plus invulnérable — jamais observée depuis l’après-Deuxième guerre mondiale car l’inflation ne ressurgira pas avant trois ou quatre ans.
C’est le grand retour de Boucles d’Or (Goldilocks) au Pays des Merveilles, le nouvel âge d’or de la Grande modération. Alors que la croissance — aujourd’hui assoupie — va faire preuve d’une vigueur insoupçonnée en 2014 aux Etats-Unis, les salaires vont demeurer extraordinairement sages aux Etats-Unis et même baisser en Europe.
Le retour à la compétitivité dans l’Eurozone est à ce prix. L’Allemagne l’a bien compris, elle qui compte déjà 15% de travailleurs pauvres concurrençant de façon déloyale les salariés des pays riverains, notamment français ou néerlandais.
Quant à la France, ou elle « aménage » (désintègre) le SMIC et réduit les compensations versées aux chômeurs, ou les agences de notation ne vont pas tarder à lui tomber dessus.
Les Etats-Unis vont en revanche consolider leur « AAA » grâce aux gaz de schiste : les marchés l’ont bien compris depuis 2009. L’Amérique, bientôt indépendante énergétiquement, va se mettre à dégager des excédents commerciaux qui permettront de réduire les déficits sans qu’il soit besoin de procéder à de nouvelles coupes budgétaires (volontaires ou automatiques).
▪ La croissance partout : merci les banques centrales !
Si la balance commerciale américaine ne se rétablit pas depuis trois ans malgré la formidable hausse de la production de « pétrole alternatif », c’est parce que les partenaires économiques n’achètent pas encore assez de produits made in Etats-Unis du fait de leur sortie de crise trop lente.
Ce handicap sera bientôt corrigé par des injections massives de la BCE, sitôt que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe aura donné son feu vert à des LTRO 3, 4, 5 (vers l’infini et au-delà).
Outre l’Amérique, nous verrons également le Japon connaître une croissance vertigineuse en 2014. La super planche à billets qui a été mise en route début 2013 va en effet produire ses pleins effets dès le début de l’année prochaine. Et si cela ne suffit pas, la Bank of Japan imprimera encore davantage, et elle le fera tant qu’il restera assez d’arbres pour fabriquer du papier-monnaie.
Autrement dit, le taux implicite d’optimisme des marchés, induit par un ratio call/put vertigineux de 10 contre un (proche du record absolu depuis que de telles données sont compilées) est parfaitement justifié. Les permabulls peuvent dormir sur leurs deux oreilles.
▪ Les indices à la hausse… encore…
Toutefois, avant d’aller goûter un repos bien mérité, ils se sont offert une nouvelle charge héroïque ce mardi. Les indices américains ont brusquement accéléré à la hausse à partir de 17h05, lorsqu’IBM a fait part de son projet de racheter pour 15 milliards de dollars de ses propres titres. Le cours a fait un bond de 2% qui s’est avéré décisif pour Wall Street et les indices US ont inscrit dans la foulée une cascade de records historiques.
Conformément au scénario bien rôdé depuis que la Fed a mis en place des programmes de quantitative easing massifs, les séances positives s’achèvent presque toujours au plus haut. Cela valide un signal technique full bull pour les gestions basées sur l’analyse technique… induisant la perpétuation des programmes d’achats et de réplication indicielle de la hausse (dont les fondements réels ne sont jamais remis en question).
Le S&P 500 s’est envolé mardi soir vers 1 772 points (+0,56%) dans le cadre d’une 13ème séance de hausse sur une série de 15.
Le mois d’octobre 2013 devient le meilleur millésime boursier depuis un autre mois d’octobre (en 2011). Le Dow Transport (+0,22%) affiche désormais +36% en 2013, tout comme le Russell 2000 (nouveau zénith à 1 122 points).
Dans le même temps, on apprenait que les banques américaines pourraient devoir verser 107 milliards de dollars de pénalités pour solder les litiges sur les dérivés de crédits immobiliers tandis que l’accord entre JP Morgan et le département de la Justice pourrait capoter… Mais rien n’arrête la hausse, et surtout pas la chute d’une ampleur inattendue de la confiance des ménages américains (-9 points à 71,2 contre 75,9 anticipés).
▪ La Fed reste la clé
Ce mauvais indicateur — il n’est pas le seul aujourd’hui puisque les ventes de détail ont reculé de 0,1% le mois dernier — renforce la conviction que la Fed maintiendra pendant encore de longs mois sa politique d’injection massive, au moins jusqu’au début de l’année prochaine et probablement jusqu’en mars. La confirmation est attendue ce mercredi lors du communiqué final de la Fed ; Ben Bernanke ne tiendra pas de conférence de presse, le marché ne s’attend donc à aucune annonce d’aucune sorte.
La Fed reste la clé de tout face à une conjoncture morose et des trimestriels souvent revus à la baisse. Chaque hausse déconnectée de la réalité de terrain est justifié par la croissance future… et par la politique monétaire « quantitative » qui sera poursuivie au minimum jusqu’à fin 2015 d’après un large consensus.
Cette séance qui coïncide avec la conclusion du FOMC pourrait s’avérer décisive, à en croire des gérants et traders interviewés peu après une clôture « historique » des marchés américains.
Selon l’un des plus ardents défenseurs de la hausse perpétuelle de Wall Street, c’est le niveau du Dow Jones qui a la plus grande portée symbolique pour l’épargnant lambda (lequel se soucierait peu de savoir pourquoi les cours montent, pourvu qu’ils montent).
Si le Dow bat un record absolu (ce qu’il a fait en clôture à 15 680 mais pas encore en séance), le non-initié aura alors un « déclic ». Il comprendra que la hausse est partie pour durer très longtemps et qu’il lui faut opter résolument pour le risque… puisque l’obligataire ne rapporte rien.
▪ Et pour ceux qui n’y croient pas ?
Mais à aucun moment du débat, il n’a été question d’évoquer une bulle basée sur de l’argent fictif, ni de défendre l’attitude de ceux qui préfèrent ne pas gagner grand’chose plutôt que de perdre beaucoup.
Ceux-là ont déjà beaucoup perdu en ne suivant pas le troupeau : ce n’est que du manque à gagner… mais parler de « perdants » est beaucoup plus stigmatisant, ce qui permet de décrédibiliser les sceptiques.
La méfiance des derniers épargnants restés sourds aux sirènes de la hausse était justifiée par l’enchaînement de trois trimestres de résultats trimestriels médiocres, par un problème de dettes que les politiciens se montrent incapables de résoudre (shutdown), par une croissance mondiale moins vigoureuse que prévu.
Aucun de ces freins n’a disparu… Pourtant, les cours de bourse hurlent que rien de tout cela n’a plus d’importance puisque la Fed veille au grain et va injecter, encore et encore.
Les stratèges sont convaincus que le franchissement de résistances majeures fera office d’électrochoc, ce qui libèrera de façon parfaitement mécanique un vaste élan haussier alimenté par tous ceux qui se moquent désormais d’acheter au plus haut (puisque ce n’est plus une frontière).
L’essentiel désormais, ils l’affirment sans l’ombre d’un doute, c’est d’être « dans le marché » comme tous les autres idiots, oups, pardon… les clients non-initiés qui laissent carte blanche aux brasseurs d’argent pour faire gonfler la montgolfière boursière à leur profit exclusif.