▪ La candidature implicite de Lawrence Summers avait irrité les naseaux de certains parlementaires et de quelques brasseurs d’argent. Ce n’était rien de plus qu’une simple sensation poivrée, toutefois — rien à voir avec un virus susceptible de gripper durablement Wall Street.
La preuve, les indices américains s’offrent 48 heures de hausse quasi-linéaire. Le Nasdaq, qui avait manqué le train de la hausse la veille, s’est largement rattrapé mardi soir avec un gain de 0,75% et un nouveau record historique de clôture à 3 745 points.
Le S&P 500 qui avait pris 0,6% la veille a rajouté 0,45% pour clôturer pour la quatrième fois de l’histoire au-dessus des 1 700 points. Les trois précédentes avaient été enregistrées les 1er puis 2 et 5 août dernier — dans des circonstances quelque peu différentes puisque les indices américains avaient temporisé entre le 23 et le 31 juillet.
Cette fois-ci, le S&P ainsi que le Dow Jones ou le Russell 2000 viennent d’aligner 10 séances de hausse sur une série de 11. C’est tout à fait exceptionnel : il s’écoule des années et parfois mêmes des décennies sans que rien de tel ne se produise.
Or des séries comme celles-là, on peut en dénombrer pas moins de quatre cette année, quelles que soient les nouvelles économiques, l’évolution des taux d’intérêt, le plongeon des devises émergentes, le contexte géopolitique.
Les actions montent, obstinément, sans besoin du moindre prétexte ou de la plus petite cause tangible.
Elles montent inexorablement, non pas pour corriger un excès baissier mais bien prolonger des séquences « full bull« . Ce qui se termine dans 95% des cas par une saine consolidation débouche presque systématiquement sur une accélération haussière depuis la mise en place du QE3 dans sa version intégrale (c’est-à-dire depuis décembre 2013).
▪ Droit dans le mur
Ce que nous observons en 2013 est en fait assez semblable aux phases haussières maniaques très caractéristiques des deux précédentes campagnes d’injection monétaire de la Fed, en 2009/2010 puis de novembre 2010 à juin 2011.
Ce qui nous a chaque fois étonné, c’est que les indices boursiers ont continué à progresser rageusement jusqu’à ce que la Fed coupe le robinet… à une date connue des marchés de six à 12 mois à l’avance.
Oui, vous pouvez vérifier sur les graphiques de 2010 et 2011 : malgré un calendrier parfaitement balisé dès la mise en place des QE, les marchés ont foncé droit dans le mur, pied au plancher… sans même effleurer le frein à l’approche de l’obstacle.
Les stratèges sont censés anticiper, adapter leur stratégie en fonction de périodes plus compliquées… Mais dans les faits, ce sont les day traders (y compris des institutionnels agissant comme de vulgaires boursicoteurs spéculant au jour le jour) qui sont totalement maîtres des évènements.
Ils se comportent comme des poivrots ou des drogués qui vident leur bouteille ou leur seringue jusqu’à la dernière goutte. Ils semblent incapables d’en garder « un peu de côté » au cas où la sensation de manque les submergerait dès le lendemain.
C’est pourtant ce qui se produit immanquablement. Alors les marchés se mettent à crier de douleur, à renverser les tables et les chaises. Ben Bernanke les laisse souffrir un peu… puis lorsque les cris de Wall Street commencent à incommoder les voisins, il va remplir une nouvelle seringue et l’euphorie revient dès que les brasseurs d’argent commencent à remonter leur manche pour dégager leur meilleure veine.
La Fed va probablement réduire le volume de l’injection de 10% ou 15% dès maintenant. Cela ne va pas se ressentir lors du prochain shoot puisque l’effet sera pratiquement aussi puissant que lors des précédents. Mais les effets seront moins durables, la sensation de mal-être va se manifester plus précocement.
Pas de sevrage brutal cette fois-ci… mais une forme d’inconfort risque de s’instaurer cet automne. Il ne sera pas compensé par l’accélération de la croissance ni la hausse des bénéfices des entreprises ; le seul soulagement pourrait provenir d’une détente des taux longs après quatre mois de hausse.
Si l’inverse se produit, cela fera du dégât : chacun sera obligé d’admettre que le maintien du loyer de l’argent à zéro (y compris jusqu’en 2015) ne permet pas aux banques centrales de garder le contrôle des taux longs.
Elles ont juste réussi à le faire croire… mais elles ont surtout bénéficié de la naïveté militante des marchés qui avaient tout intérêt à faire semblant de croire à ce pieux mensonge.
▪ L’endettement des Etats reste obstinément un problème
D’ailleurs, le dérapage des rendements n’a pas seulement coïncidé avec l’inflexion du discours de la Fed fin mai. Il a débuté en Europe avec la décision de Mario Draghi de délivrer des forward guidances aux marchés (c’est-à-dire des indications — voire des engagements — à moyen long terme concernant la stratégie poursuivie).
De toute façon, nous sommes bien convaincu que ce ne sont plus ni la Fed ni la BCE qui mènent le jeu sur la partie longue de la courbe des taux. L’endettement des Etats occidentaux a du mal à se résorber.
Il se creuse même dans des pays qui se voulaient exemplaires et dispensaient des leçons de rigueur budgétaire à leurs voisins. C’est ainsi que la Hollande voit croître ses déséquilibres tandis que la Finlande — qui ne voulait pas verser un euro en faveur de la Grèce — sort des clous de Maastricht avec un endettement supérieur à 60%.
En ce qui concerne la réduction de la dette de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie, on attend toujours le surgissement d’une embellie… et on risque d’attendre longtemps. Et pour la Grèce, seule la « novlangue » EU empêche d’employer le mot faillite.