La Chronique Agora

Faut-il taxer les riches ? (1/2)

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Cela permettrait peut-être de trouver de l’argent à investir dans notre avenir. Sauf qu’une autre méthode serait bien plus efficace pour arriver au même résultat.

Le capital et les capitalistes n’ont pas bonne presse en France. La gauche, pas seulement extrême, les a dans le collimateur depuis longtemps. Se référant à Marx et à ses successeurs, tels Thomas Piketty ou Jean-Claude Michéa, auteur, en 2017, de Notre ennemi, le capital, elle ne pense qu’à surtaxer le capital et les revenus du capital.

Pour être honnête, reconnaissons que la droite n’est souvent pas en reste. C’est Alain Juppé qui a déplafonné l’ISF, rendant, pour certains assujettis, l’impôt supérieur au rendement des actifs et entraînant une vague d’expatriation des patrimoines.

Bref, ceux qui jouent sur la corde des inégalités et de l’envie restent nombreux dans tous les partis. Régulièrement, ils reviennent à la charge, proposant, comme au cours des derniers mois, de rétablir l’ISF, de taxer les superprofits, de taxer les plus hauts revenus à 90%, de taxer les superdividendes, de taxer les revenus fictifs des « ultrariches », etc.

Une des dernières suggestions en date vient de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz qui, dans leur rapport sur « Les incidences économiques de l’action pour le climat », proposent de taxer les 10% de Français détenant le plus d’actifs financiers à hauteur de 5% pour récupérer 5 Mds€ par an, soit 150 Mds€ en 30 ans. Cette somme, destinée au financement de la transition écologique, serait cependant insuffisante pour faire face à l’accroissement des dépenses que celle-ci va générer. Il faudrait donc aussi avoir recours à la dette, qui s’alourdirait, selon Pisani-Ferry et Mahfouz, d’environ 10 points de PIB, soit de 250 à 300 Mds€ d’ici 2030 !

Les auteurs du rapport soulignent aussi que les accises sur les énergies fossiles – qui ont rapporté 35 Mds€ en 2021 – sont appelées à disparaître et qu’il faudra bien les compenser. Sans le dire, ils ouvrent ainsi la porte à l’émergence d’une fiscalité accrue pour tous les Français. Par exemple, sur les véhicules électriques ou, plus largement, sur l’électricité appelée à devenir la seule et unique source d’énergie.

A vrai dire, on se demande bien comment les Français pourront survivre à un tel régime !

Car la France – et l’Europe plus généralement – est bien mal préparée aux temps qui s’annoncent car elle manque de capital.

Un manque énorme de capital…

Si l’on pense que le dérèglement climatique est un problème, il existe deux solutions pour y faire face. La première est celle que nous venons de décrire en partie, défendue par les politiques de tous bords et assénée à longueur de temps par tous les médias à leur disposition. Elle consiste à taxer, à s’endetter, à subventionner, à édicter des normes et des interdictions, à tout piloter centralement, etc. La seconde solution, décentralisée, repose sur les individus et leur liberté de créer, de se tromper, de collaborer, d’innover, etc. Bref, deux philosophies opposées.

En France, nous avons fait le choix de la première solution. Sans doute parce que la seconde nous est inaccessible. En effet, alors que nous disposions d’un stock d’épargne important à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, au moment de la révolution industrielle, pour financer les industries naissantes (chimie, automobile, électricité, aéronautique, etc.) et les infrastructures nécessaires à leur développement (chemins de fer, canaux, etc.), nous sommes aujourd’hui bien démunis.

L’Institut économique Molinari (IEM) a calculé qu’il manquait aujourd’hui à l’Europe 10 400 Mds€ de capitalisation boursière. Fin 2020, elle ne représentait, en effet, que 70% du PIB de l’Union européenne contre, en moyenne, 147% dans l’OCDE. A la fin de l’année dernière, la capitalisation totale des Bourses de l’UE était de 9 900 Md€, soit quatre fois moindre que celle des Bourses américaines (37 700 Mds€ pour le Nyse et le Nasdaq). Prises individuellement, le résultat n’est pas meilleur : « La première Bourse de l’UE, Euronext, était quatre fois plus petite que le NYSE (actions traditionnelles américaines) et trois fois plus petite que le Nasdaq (actions technologiques). »

… dû à l’absence de fonds de pension…

L’explication du retard européen, nous dit l’IEM, est à rechercher dans l’absence de fonds de pension. Par rapport à la moyenne de l’OCDE, il manquait, fin 2020, 8 900 Mds€ d’épargne longue dans l’UE. Alors que les fonds de pension représentaient en moyenne 100% du PIB dans l’OCDE, ils ne représentaient que 34% du PIB de l’UE, fin 2021.

Une autre étude de l’IEM montre que si l’Etat français avait copié, pour ses agents, le système de retraite des sénateurs, il aurait placé, en 15 ans seulement, 920 Mds€ ! Ces fonds placés auraient permis de financer 55% des pensions versées aux agents retraités entre 2008 et 2022. Ainsi sur les 789 Mds€ dépensés au cours des 15 dernières années, l’Etat aurait fait une économie de 433 Mds€, soit près de 29 Mds€ par an. Le déficit de l’Etat serait aujourd’hui 30% moins élevé.

Il faut savoir que le Sénat dispose de deux caisses de retraites, l’une pour le personnel et l’autre pour les élus. Les deux caisses combinent capitalisation et répartition. Les retraites sont financées à plus de 50% avec les gains des capitalisations collectives, tandis que le solde est financé par les versements des bénéficiaires (fonctionnaires ou élus) et de la haute assemblée, selon une logique de répartition.

Au contraire, l’Assemblée nationale – pour ne citer qu’elle – a fait le choix de la seule répartition. Les cotisations des personnels et des députés, auxquelles s’ajoutent les versements et subventions d’équilibre de l’Assemblée, ne sont pas placées. Elles transitent par la Caisse de retraite des députés (CRD) ou des personnels (CRP) et sont immédiatement utilisées pour régler les pensions de retraite des anciens élus ou fonctionnaires. Si l’Assemblée nationale avait adopté le même régime que le Sénat, elle aurait économisé, entre 2008 à 2022, 933 M€ (sur une dépense totale de 1,7 Mds€).

On peine à imaginer ce que ces chiffres deviendraient si, au lieu de limiter le calcul aux retraites des fonctionnaires, ils concernaient l’ensemble de la population française. Non seulement nous serions assis sur un tas d’or, mais les déficits publics seraient sérieusement amoindris. De quoi envisager l’avenir avec plus de sérénité !

… qui entraîne dépendance et perte de souveraineté

Comme le souligne l’IEM, les fonds de pension sont des acteurs de long terme. Ils placent des capitaux pour des années voire des décennies et, de ce fait, jouent un rôle majeur dans le soutien à l’innovation. Ils permettent de financer « des projets promis à un bel avenir qui ne seront pas rentables avant des années ».

C’est l’absence de fonds de pension qui explique, en grande partie, la dépendance de l’Europe – et singulièrement de la France – dans les domaines du numérique, de l’énergie, de l’alimentation, du médicament, et des technologies en général.

Par exemple, l’indice de dépendance numérique (DDI), publié par l’université de Bonn, évalue le degré de dépendance de l’Europe à environ 0,8 (1 étant la dépendance absolue). On pourrait également citer la faiblesse de l’Europe quant à production rapide de vaccins contre le Covid. Ce sont deux entreprises américaines, « bénéficiant d’un écosystème complet de financement de l’innovation du capital-risque au marché boursier », qui ont sorti les premiers produits. En matière de télécoms, ce n’est guère mieux : l’Europe accuse un retard important par rapport aux Etats-Unis et aux principaux pays asiatiques en ce qui concerne la 5G.

Et l’IEM de conclure :

« Le manque d’innovation en Europe n’est pas un problème de compétence, les outils et les savoir-faire étant là, mais la conséquence d’un problème de débouchés, lié à la rareté de l’épargne longue, consécutif à une série de choix réglementaires peu avisés qui ont raréfiés l’épargne retraite. Alors que dans le monde, le développement d’une part significative des prestations retraite est financée avec des capitalisation collectives ou individuelles, reposant sur des capitaux investis en partie dans le tissu économique local, l’UE bénéficie moins de cette manne. »

Nous verrons dans notre prochain article les effets de la fiscalité en France, et notamment l’impact négatifs qu’elle peut avoir sur la production.

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