Le propriétaire immobilier n’est pas un privilégié, mais plutôt une oie de plus en plus plumée.
L’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) vient de publier une intéressante étude sur le véritable coût de l’immobilier pour les propriétaires. Les auteurs, Jean-Philippe Delsol et Pierre Garello, y affirment que les politiques, en France, n’aiment « ni les propriétaires ni l’immobilier ». Selon eux, c’est « peut-être parce que la propriété rend indépendant et que l’État préfère ceux qui dépendent de lui » !
Contrairement à l’image qu’il a généralement, le propriétaire immobilier n’est pas un privilégié. C’est plutôt une oie de plus en plus plumée. La fiscalité qui frappe le propriétaire est, en effet, « plus lourde que celle qui frappe d’autres formes de patrimoines et de revenus », et la règlementation, qui ne cesse de s’étendre, « grignote en permanence la valeur du bien immobilier et donc son rendement ».
Mais avant d’examiner en détail la situation du propriétaire, faisons un bref état des lieux du marché de l’immobilier.
Un marché de l’immobilier déréglé
Les professionnels de la construction attirent l’attention, depuis des mois, sur la situation préoccupante de leur secteur. La Fédération française du Bâtiment (FFB) indiquait, au début de cette année, que le marché de la maison individuelle avait chuté de 31,3% en 2022. Le communiqué précisait qu’avec 96 000 ventes brutes, 2022 avait été le « pire exercice des 16 dernières années ». Au total, on a construit l’année dernière 71 000 logements en moins qu’en 2021.
La situation ne s’est pas améliorée en 2023. En juillet, la FFB annonçait que, sur un an glissant, les ventes de maisons neuves avaient chuté de plus de 38%. Le président de la Fédération prévoit 150 000 suppressions d’emplois dans le bâtiment d’ici 2025. Un chiffre qui pourrait grimper à 300 000 si on tient compte des répercussions dans les métiers annexes, comme la promotion immobilière ou les bureaux d’études.
Mais la mauvaise santé du marché immobilier français ne date pas d’aujourd’hui, notamment parce qu’il est le jouet des politiques de tous bords depuis des lustres. L’étude de l’IREF donne quelques chiffres qui permettent de mieux cerner le problème.
En premier lieu, celui du renchérissement du coût du logement : alors que le logement représentait 17% des dépenses des ménages en 1970, il pesait pour près de 30% en 2020.
Ensuite, celui des accédants à la propriété : ils étaient 24,3% des résidents en 1992, ils n’étaient plus que 20,2% en 2020. Par ailleurs, la proportion des propriétaires stagne depuis une dizaine d’années : 57,8% en 2012, 57,6% en 2020. Quant aux locataires du parc social, ils sont passés de 14,4% à 16,9% entre 1982 et 2020.
Comme le demandent Delsol et Garello, si être propriétaire immobilier était vraiment une sinécure, comment expliquer que les accédants soient de moins en moins nombreux et que la proportion de propriétaires stagne ? Comment expliquer que les locataires doivent de plus en plus faire appel à l’Etat pour se loger alors que, dans un marché qui fonctionne normalement, le secteur privé devrait offrir des logements locatifs en masse pour répondre à la pénurie ?
Des propriétaires assommés par les taxes
Si le marché du logement dysfonctionne, c’est d’abord parce que les taxes faussent les prix. Au début de son premier mandat, Emmanuel Macron a allégé la pression fiscale sur les investisseurs mobiliers avec la suppression de l’ISF et l’adoption du prélèvement forfaire unique (flat tax) de 30% sur les gains (dividendes, plus-values…). En revanche, rien n’a été fait pour les investisseurs immobiliers. Bien au contraire, ils ont été encore plus maltraités.
L’étude de l’IREF rappelle la multiplicité des prélèvements sur le capital et les revenus des propriétaires fonciers. Les principaux impôts sont :
- l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour tout patrimoine net dépassant 1,3 million d’euros (M€), aux taux de l’ancien ISF, soit entre 0,5% et 1,5% selon la valeur estimée de la « fortune » ;
- l’impôt sur les revenus immobiliers qui peut aller jusqu’à 66,2% pour ceux qui sont imposés au maximum : 45% d’impôts sur le revenu, 4% de cotisation additionnelle sur les hauts revenus et 17,2% de CSG/RDS/Cotisations spécifiques ;
- la contribution annuelle sur les revenus locatifs (CRL), demandées à certaines sociétés et associations, au taux de 2,5%, qui s’applique aux loyers de locaux d’habitation, professionnels ou commerciaux ;
- les frais et droits appliqués sur les acquisitions, qui représentent environ 7% du prix de vente, composés des droits d’enregistrement destinés au département et à la commune (minimum 5,7%), et des émoluments du notaire ;
- les taxes foncières – taxe sur les propriétés bâties (TFPB), sur le non bâti (TFPNB), taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), taxe de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI), cotisation foncière des entreprises (CFE), taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), taxe sur les friches commerciales, taxe de balayage, taxe sur les logements vacants, taxe spéciale d’équipement, taxe d’aménagement (dite taxe sur les abris de jardin),etc. – qui varient selon les communes et sont assises, pour nombre d’entre elles, sur des valeurs locatives qui n’ont pas été révisées depuis 50 ans et qui augmentent régulièrement, car elles sont indexées sur l’inflation ;
- la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et les logements vacants, et la surtaxe sur les résidences secondaires appliquée dans les zones dites « tendues » ;
- les droits de succession et de donation qui peuvent monter jusqu’à 45% en ligne directe (au-delà de 1,8 M€), avec des franchises ridicules de 100 000 € par donateur et donataire.
Les deux auteurs de l’étude nous livrent quelques simulations qui permettent de bien comprendre la situation dans laquelle peut se retrouver un propriétaire-bailleur.
Ils prennent « le cas d’un propriétaire percevant des revenus locatifs sur un immeuble d’une valeur de 500 000 € dont le loyer correspond à 5% de la valeur avant charges locatives, soit 25 000 € par an ». Le revenu locatif brut du propriétaire est amputé de la taxe foncière et de diverses charges de copropriété non imputables au locataire représentant 18% du loyer, soit un loyer net imposable et disponible avant impôts de 20 500 €. Le fardeau fiscal du bailleur variera en fonction de sa situation juridique et fiscale.
Trois cas de figure sont envisagés.
- Le bailleur détient ce bien au travers d’une SCI non assujettie à l’impôt sur les sociétés dont il est le seul associé. Il dispose d’autres revenus importants et il est assujetti à l’IFI dans la tranche supérieure de 1,5%. Au titre de l’impôt sur le revenu, CSG et taxes annexes comprises au taux de 17,2%, il paye un impôt de 66,2% sur le revenu net, soit 13 571 €. Il supporte la CRL de 2,5% sur le loyer net, soit 512,50 €. Enfin, il est redevable de l’IFI pour 7 500 € par an. Au total, il perçoit 20 500 € de loyers nets et il paye 21 583,50 € d’impôts. Donc il perd de l’argent tous les ans.
- Le bailleur est un particulier qui est imposé dans la tranche d’impôt sur le revenu à 30% (à partir de 27 479 €), outre la CSG et les taxes annexes (17,2%). Il ne paye pas la CRL, mais est imposé à l’IFI au taux de 0,5%. Ses impôts représentent 12 176 € par an et son revenu net est réduit à 8 324 €, soit un rendement net de 1,66%.
- Le bailleur est taxé à l’impôt sur le revenu à 11% (en dessous de 25 710 €), outre la CSG et ses annexes au taux de 17,2%, ne payant ni CRL ni IFI, il disposerait encore après impôts d’un montant de 14 719 € nets, soit un rendement de 2,94% – raisonnable, mais modeste.
Nous verrons dans le prochain article que la situation fiscale du propriétaire immobilier, déjà peu reluisante, pourrait s’aggraver encore au cours des années à venir.