La Chronique Agora

De Fama à Shiller, la preuve que la finance est humaine

Sylvain Frochaux

▪ Allez-vous battre le marché en 2014 ? Les derniers lauréats du Prix Nobel d’économie vous aideront probablement à le savoir.

Sur les trois chercheurs récompensés en octobre dernier, Eugene Fama affirme que seule la chance permet de faire mieux que le marché, car ce dernier est parfaitement efficient. Or cette hypothèse est mise en pièces par son co-lauréat Robert Shiller, qui a mis en lumière l’irrationalité des investisseurs.

Je m’inscris personnellement dans la lignée du second, dont les travaux sur la finance comportementale ont notamment permis à notre stratégie d’investissement de gagner 66,1% en 2013.

La Chronique Agora étant destinée à toute personne souhaitant affiner ses armes dans l’investissement, je vous donne ci-dessous les clés de lecture de ces récents Prix Nobel, qui ont de quoi nous faire passer pour des schizophrènes.

L’auguste comité a récompensé trois chercheurs, mais surtout deux thèses opposées, celles d’Eugene Fama et de Robert Shiller. Le premier a formulé l’hypothèse des marchés efficients, qui a dominé la gestion d’actifs depuis les années 1970 et donné naissance au gigantisme des fonds indiciels (ETF). Le second a simplement démontré que les travaux de Fama ne tenaient pas la route dans la pratique, en s’appuyant notamment sur des outils statistiques de Lars Peter Hansen (le troisième récipiendaire du Nobel, dont je vous épargne les subtilités techniques).

Ayant personnellement interviewé Fama et Schiller, je suis un admirateur des travaux de Shiller et à ce titre, ravi qu’il soit (enfin) reconnu par ses pairs. Mais le fait que Fama obtienne aussi le Nobel, c’est un peu comme si vous étiez fan de l’OM (oui, je parle de football) et que vous deviez partager le titre de champion de France avec le PSG. Il y a comme qui dirait un sale goût qui reste dans la bouche.

▪ La déprime ou la subtilité
En restant plus neutre, on dira que les travaux de Fama sont déprimants (« on ne peut pas battre le marché, qui est parfaitement efficient, si ce n’est par un coup de chance passager »), alors que ceux de Shiller, beaucoup plus subtils, accordent une place centrale aux mécanismes psychologiques qui influencent les marchés (les investisseurs, qui ne sont finalement que des humains (ou des machines contrôlées par des humains), ont donc tendance à réagir avec émotion, et non avec rationalité).

Allons un peu plus dans le détail. Eugene Fama (« Gene pour les intimes »), de l’Université de Chicago, est considéré comme le père de la finance moderne, notamment pour avoir développé la fameuse hypothèse des marchés efficients, comme mentionnée ci-dessus (ce que l’on nomme, dans le jargon, l’EMH pour Efficient Market Hypothesis). Selon elle, le prix actuel des actifs reflète, en tout temps, toute l’information disponible. En d’autres termes, le marché a toujours raison.

Alors qu’il était étudiant au début des années 1960, Fama ne parvient pas à mettre sur pied des outils de prédiction des marchés. Las de ces recherches (d’étudiant), il en conclut qu’il est bien impossible de prédire l’évolution des actifs. Son article publié en 1970 dans le Journal of Finance aura des conséquences gigantesques tant sur la recherche académique (d’autres chercheurs lui emboîteront le pas) que sur la gestion d’actifs, y compris à Wall Street.

▪ L’hypothèse qui donne toujours raison à son créateur
La beauté de cette hypothèse d’efficience est qu’on peut lui faire dire tout et n’importe quoi. En gros, Fama dit « je n’ose pas me mouiller, et préfère même me dédouaner si j’ai tort ». Ou, autrement dit, « ce n’est pas moi qui ai tort, c’est juste la chance qui donne parfois des résultats qui ne me conviennent pas ».

Par exemple, lorsque le S&P 500 chute de 20% dans la seule journée du 19 octobre 1987, Fama répondra que cela prouve bien que les marchés sont efficients (comprendre : ils corrigent rapidement)… même si fondamentalement rien ne justifiait une telle correction. J’en ai fait l’expérience lorsque je l’ai interrogé en décembre 2007, alors que les marchés commençaient sérieusement à se montrer nerveux, avant la chute que l’on connaît.

Pour contrer cette vision, tournons-nous maintenant vers l’intellectuel qui a probablement été le plus grand pourfendeur de l’hypothèse d’efficience des marchés sur la durée. Robert Shiller (« Bob » pour les dames), de l’Université de Yale, est connu pour ses travaux sur l’irrationalité des investisseurs. Selon lui, le fait de croire que le prix des actions est efficient est « l’une des plus incroyables erreurs dans l’histoire de la pensée économique ».

▪ Il prédit la bulle internet et la bulle immobilière américaine
Contre vents et marées, Shiller a orienté ses travaux sur ce qui allait devenir la finance comportementale. L’une de ses premières trouvailles : la volatilité du prix des actions est nettement plus forte que la volatilité des dividendes. Mais, plus intéressant encore, les prix des actions fluctuent de telle sorte à revenir vers leur moyenne historique, créant ainsi des cycles que l’on peut prédire sur de longues durées dès lors qu’un écart important se manifeste.

Ses travaux expliquent au passage des phénomènes comme le momentum des prix : Shiller démontre qu’une hausse des prix a tendance à se poursuivre par le simple fait de sa dynamique interne. Un effet boule de neige, en quelque sorte.

Shiller est devenu célèbre en l’an 2000 grâce à la publication de son livre L’Exubérance irrationnelle, qui met en garde les investisseurs contre la bulle internet et la valorisation des actions devenue totalement déconnectée des réalités. Et cela, quelques semaines à peine avant la chute du Nasdaq et, par corrélation, des bourses mondiales…

Rebelote quelques années plus tard. Il prédit une chute sans précédent du marché immobilier américain, avec les conséquences que l’on sait sur les bourses du monde entier. C’est en décembre 2007, en plein milieu de cet effondrement, que j’ai passé une petite heure au téléphone avec Shiller sur cette problématique.

▪ Une crise financière n’est qu’une épidémie comme une autre
Voici ce qu’il me dit : « une crise financière se répand par le bouche-à-oreille, comme toute épidémie se propage de personne en personne. Il est alors possible, à partir de là, de calculer un taux de contagion ». En clair, non pas de prédire avec certitude l’évolution des marchés (ceci reste impossible), mais d’augmenter significativement la probabilité d’avoir raison. C’est d’ailleurs sur ces principes que se base notre équipe pour maximiser les profits sur le long terme, tout en garantissant un profit minimal de 50% en cinq ans.

Quelles conséquences pour votre portefeuille, me direz-vous ? S’il adopte l’hypothèse de Fama, l’investisseur préfèrera investir « bêtement » (si j’ose dire) dans un fonds qui réplique l’évolution d’un indice boursier, par exemple via un ETF.

Face à Fama qui ne croit pas aux bulles financières, Shiller parvient à les prédire. Je vous parie que d’ici quelques années les investisseurs qui auront misé sur la finance comportementale auront gagné bien plus d’argent que ceux qui auront suivi un ETF haussier.

Pour ce qui est de vos finances, à vous de savoir dans quel camp vous vous sentirez à l’aise : suivre un ETF à la hausse ou miser sur les biais comportementaux, et chroniques, des investisseurs ? Dans tous les cas, vous connaissez ma position à ce sujet.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile