La Chronique Agora

Fable des écureuils

** L’hiver est là. Les petits écureuils se tournent vers leurs réserves de noisettes pour survivre au froid. Mais que se passe-t-il ? Les malheureux écureuils d’Amérique du Nord regardent partout… où sont les noisettes ? Oh oh… ils ont oublié d’en stocker !

* Les consommateurs américains entrent dans une récession, et ils n’ont jamais été si mal. Le monde est plus riche que dans les années 30. Il n’y a pas de danger de mourir de faim. Nous n’imaginons pas que les gens doivent faire la queue pour avoir un bol de soupe. Mais en matière d’argent… jamais on n’a vu autant de gens devoir autant d’argent à autant de créditeurs. Mais lorsque ces derniers voudront récupérer leur argent — ce sera l’enfer.

* La journée d’hier a été noire sur les marchés — tout comme la semaine dernière.

* "Que se passe-t-il ?" se demandent les investisseurs. "Bon nombre d’investisseurs entameront la semaine en se demandant s’ils doivent ajouter les craintes d’un marché baissier pour les actions aux craintes d’une récession économique, explique l’International Herald Tribune.

* Personne ne sait rien… alors aidons l’investisseur égaré : oui. Inquiétez-vous au sujet d’un marché baissier. Car il est quasi-certainement arrivé.

* L’indice Russell 200, qui suit les moyennes et petites entreprises américaines, a déjà perdu plus de 20%. Le FTSE 250, qui mesure les mid caps en Grande-Bretagne, a lui aussi dégringolé de 20%. Et l’indice japonais — le Nikkei 225 — est en baisse de 24% depuis son sommet en juillet. Le S&P 500 n’a perdu que 16%… mais il rattrape son retard.

* On apprend qu’en Californie, le taux de chômage a dépassé les 6%. Oh, les pauvres petits écureuils. Rien de rien dans la caisse à noisettes. Et les noisettes qui traînaient sur le sol semblent avoir toutes disparu.

** Vous vous rappellerez les arguments que nous avancions il y a quelques années de ça. "Le boom est une fraude ; il appauvrit les gens", disions-nous. "Non, il est bel et bien réel… les gens s’enrichissent", déclaraient nos opposants. Quelque chose de magnifique et d’à peine compréhensible était arrivé, affirmaient-ils. Les gens étaient devenus si intelligents que les anciennes règles ne s’appliquaient plus. Inutile d’épargner, par exemple, parce que les technologies de l’inflation et les instruments financiers sophistiqués fournissaient assez de croissance et de protection sans aucune épargne. En plus, les Asiatiques économisaient plus qu’assez pour le monde entier… et pour les mauvais jours, il y avait toujours les cartes de crédit, non ?

* Eh bien, aujourd’hui, cette Nouvelle Ere est mise à l’épreuve. Nous allons enfin découvrir qui avait raison.

* Mais pourquoi faire semblant ? Nous connaissons déjà la réponse. Nous avions raison ; nos opposants avaient tort. Les Nouvelles Eres ne sont pas très fréquentes, surtout dans le domaine de l’économie. Pariez contre elles, la victoire est quasiment assurée.

* Pourquoi ? Parce que les règles ne changent pas. Ce sont les circonstances qui changent — selon ce que dictent les règles. Ce qui nous ramène aux noisettes et aux écureuils.

* Les règles nous disent que lorsqu’on dépense plus qu’on gagne, on doit s’appauvrir. La différence entre les dépenses et les profits est soustraite de votre valeur nette. Tant que la fièvre dépensière battait son plein, la plupart des Américains n’avaient pas l’impression de s’appauvrir. Ils pensaient s’enrichir, en majeure partie parce que prix de leurs maisons grimpait.

* Mais rien de tel qu’une pendaison pour forcer un homme à se concentrer. L’an dernier, les prix des maisons US ont baissé d’environ 10%. Soudain, le propriétaire moyen s’est retrouvé pendu au bout d’une corde… et les cinq dernières années ont défilé devant ses yeux avec une clarté écrasante : il a vu qu’il avait dépensé trop d’argent. Il a vu que ses revenus ont en fait baissé, en termes réels… tandis que le coût de la vie a grimpé. En bref, il s’est aperçu qu’il s’est fait avoir.

** Même les éditorialistes commencent à comprendre. Les Américains doivent "revenir à l’épargne plutôt que de faire jouer l’effet de levier dans un boom de la consommation bidon", écrit Roger Cohen dans l’International Herald Tribune.

* Naturellement, cette idée est en train de faire son chemin sur la scène politique. Il y a quelques semaines de ça, la guerre en Irak était le principal souci des Etats-Unis. A présent, "c’est l’économie, espèce d’idiot". Le problème, c’est que l’économie est une chose à laquelle ni les candidats ni l’homme qui pose actuellement sa tête sur les oreillers de la Maison-Blanche ne connaissent quoi que ce soit. Le président Bush met en place un plan qui permettra de donner au pays "une piqûre dans le bras" — piqûre qui coûtera 150 milliards de dollars. Si le Congrès voulait bien s’y mettre, déclare-t-il, on pourrait envoyer des chèques de réduction d’impôt dans quelques semaines.

* Le président américain est à côté de la plaque. Tout comme les aspirants à la Maison-Blanche, il veut maintenir le boom bidon de la pire des manières possibles : en fournissant plus de "stimulants" aux consommateurs… c’est-à-dire en les aidant à dépenser encore plus d’argent qu’ils n’ont pas pour des choses dont ils n’ont pas vraiment besoin. Ce dont cette économie perverse a besoin, ce n’est pas d’une piqûre dans le bras — c’est d’une balle dans la tête.

* Et Rudolph Giuliani, lorsqu’on lui a demandé en octobre s’il pensait qu’une récession était en route, rappelait à son auditoire qu’il croyait encore aux promesses de la Nouvelle Ere. Avec les marchés modernes et sophistiqués des Etats-Unis — et la liberté de faire tout ce qu’il voulait — "on pouvait aller jusqu’au ciel".

* Eh bien oui… on peut aller jusqu’au ciel — qu’on construise quelque chose… ou qu’on le fasse exploser.

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