La Chronique Agora

L’Europe doit sortir une solution de son chapeau pour la crise grecque

▪ Les principales banques centrales de la planète (Fed, Bank of Japan, BCE, Bank of England, Banque nationale suisse…) ont annoncé ce jeudi qu’elles coordonnaient leur action pour fournir, en quantité illimitée et jusqu’à fin décembre, des dollars aux banques et établissements de crédit qui pourraient en faire la demande.

Cette initiative survient tout juste 48 heures après le témoignage d’un Nuisible Anonyme dans le Wall Street Journal. Il affirmait que son propre employeur — BNP Paribas — éprouvait des difficultés pour se refinancer en dollar.

Nous ne savons pas (et ne saurons jamais) si ce « Judas » travaille effectivement à la BNP ; nous ne savons même pas si ce personnage existe réellement. Nous ne savons pas si des banques françaises ont réellement dû faire pression sur leurs consoeurs américaines pour conclure des swaps sur des maturités longues. Ce que nous savons, en revanche, c’est que le marché s’est une nouvelle fois borné à considérer qu’il n’y a pas de fumée sans feu.

Ceci alimente le syndrome bien connu de la prophétie auto-réalisatrice. Partant de ce constat et dans un contexte de confiance se dégradant à une vitesse météorique (l’envolée des CDS bancaires n’a pris que quelques heures), les banques centrales ont convenu qu’il était temps de sonner la fin de la récré pour les Nuisibles Anonymes… ou même les gaffeurs qui évoquent benoîtement le recours à des nationalisations pour déjouer les anticipations de potentielle faillite.

Pour ne rien vous dissimuler du fond de notre pensée, il est fort plausible que des banques européennes opérant sur le sol américain aient effectivement rencontré quelques réticences de la part de leurs contreparties US. Une grande banque italienne a par exemple fait savoir qu’elle cherchait cinq milliards d’euros pour renforcer ses fonds propres pas plus tard que mercredi matin.

▪ La banque UBS s’est également rappelée au bon souvenir des analystes qui prédisaient sa faillite ou son rachat par une concurrente (pour une bouchée de pain) fin 2008. Un des traders londoniens leur aurait fait un « Kerviel » — c’est-à-dire une série d’opérations frauduleuses non détectées pour des montants astronomiques — de deux milliards de dollars (environ 1,4 milliard d’euros).

Une fois encore, nous pouvons admettre que des procédures de contrôle interne puissent être neutralisées ou que des listings contenant l’état des positions et des risques afférents puissent être trafiqués… Mais nous ne comprenons toujours comment une banque peut délivrer la couverture nécessaire — plusieurs milliards d’euros probablement — auprès des organismes de compensation (sinon les contreparties déclenchent l’alerte rouge) sans se demander à quoi de telles sommes correspondent.

Si personne ne voit rien en interne, si le siège d’UBS est « coupé de ses filiales » (ne rêvez pas, cette excuse ne tient pas la route), les opérations furtives d’un trader fou laissent des traces plus que visibles, sous forme d’appels de fonds qui sont, eux, bien concrets.

Il sera bien difficile par ailleurs de savoir sur quoi portaient les prises de positions qualifiées d’illégales : des devises, des dérivés d’actions ou de matières premières, tout est possible. Le résultat, c’est que les profits d’UBS du troisième trimestre se sont probablement volatilisés ! Si par contre UBS a réalisé récemment des profits de deux milliards de dollars via des ventes à découvert sur des banques (ce qui est illégal), vous pouvez être certain que nous n’en saurons jamais rien…

Soyons optimistes : un tel scandale va relancer le débat sur la séparation des activités de détail et opérations pour compte propre. Ce ne serait pas une bonne nouvelle pour les banques américaines qui ont échappé aux mesures désormais appliquées à leurs consoeurs britanniques… mais une fois encore, ne rêvons pas. Si un tel projet venait en discussion au Congrès américain, il serait torpillé avec la même détermination que tous les textes présentés depuis fin 2008 pour renforcer le contrôle et la réglementation du secteur financier aux Etats-Unis.

▪ Wall Street n’a pas grand-chose à craindre en la matière. Les séances de hausse s’enchaînent et se ressemblent, avec une quatrième progression consécutive des indices US d’ampleur presque identique aux précédentes.

A mi-séance, le Dow Jones et le S&P progressaient de 1,4%, à 11 400 et 1 300 points respectivement ; le Nasdaq engrangeait 1,2% à 2 600 points. Ces indices retrouvaient leurs meilleurs niveaux de clôture du 31 août, alors que les places européennes affichent encore un handicap de -5% en moyenne.

Les acheteurs ne vont probablement pas lâcher l’affaire d’ici ce soir car ce vendredi, c’est la fameuse journée des « Quatre sorcières » qui vient conclure le troisième trimestre 2001. Et devinez quel était le niveau du Nasdaq au soir du 17 juin (précédente journée des « Quatre sorcières ») ? Eh bien, c’était 2 616 points. Nous parions que ce trimestre s’achèvera sans perte pour Wall Street.

En Europe, malgré le rebond des dernières 72 heures, le bilan sera autrement douloureux : la perte pour le CAC 40 se monte à 20% et 21% pour l’Euro-Stoxx 50.

▪ Ce grand écart transatlantique, les marchés le justifient par les tergiversations des élites politiques européennes, nous les avons déjà abondamment commentées.

Les entreprises du CAC 40, consciencieusement laminées ces dernières semaines, sont-elles d’humbles PME dont l’essentiel du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger dépend majoritairement des commandes grecques, irlandaises ou espagnoles ? Ou bien s’agit-il de multinationales dont le siège est certes implanté dans l’Eurozone mais dont le champ d’action et les sources de profit ne sont guère différents de leurs concurrentes anglo-saxonnes ?

Si DuPont (de Nemours) avait rapatrié son siège social à l’orée de la forêt de Fontainebleau au printemps dernier, les marchés auraient-ils massacré son cours de Bourse jusqu’à ce que sa capitalisation ait fondu d’un bon tiers en trois mois ?

C’est pourtant la mésaventure qu’ont connu les deux tiers de ces multinationales du CAC 40 qui réalisent plus de 50% de leur chiffre d’affaire hors de l’Eurozone et dont le principal tort semble être de continuer à gérer leur business planétaire depuis leurs bureaux de la Défense.

A présence mondiale et profitabilité équivalente, nombre de champions tricolores subissent une décote de plus de 20% par rapport à leurs concurrents immatriculés hors Zone euro. Vous nous pardonnerez de juger cette situation quelque peu injuste et même foncièrement absurde.

Peut-être Bill Bonner a t-il raison de rappeler — chaque fois que la Bourse se redresse — que nos économies occidentales sont embarquées (et pour longtemps) dans une Grande Correction. En effet, le scénario inverse nous surprendrait fortement mais soit les actions du CAC 40 sont à leur prix (vu les temps difficiles qui s’annoncent), soit les composantes du S&P 500 sont hors de prix.

▪ Nous avons eu la démonstration cet été que Wall Street ne voulait rien lâcher et qu’il pourrait en être ainsi jusqu’au mercredi 20 septembre. Nous sommes tenté de faire le pari que si les indices américains s’accrochent à leurs étiages de fin août/début septembre, ce sont les indices de la Zone euro qui disposent du plus gros potentiel d’appréciation à un horizon de trois ou quatre séances.

Si le CAC 40 parvenait à se hisser au-dessus des 3 200 puis des 3 250 points dans l’intervalle, alors l’horizon haussier pourrait s’élargir à trois ou quatre semaines.

Ce pronostic ne s’inspire pas de la toute récente inflexion plus positive du discours des analystes au sujet de la conjoncture US. Les chiffres de jeudi furent très mitigés : l’emploi et l’Empire State sont franchement décevants. Notre scénario évoqué ci-dessus part du constat que les vendeurs à découvert ont eu la partie trop belle depuis fin juin.

Ils ne vont pas pouvoir tenir leurs positions au-delà du week-end si les dirigeants européens se fendent d’une bidouille — en plus du chèque de 8 milliards d’euros promis à la Grèce — pour entretenir le suspens au sujet de la survie de la Zone euro.

Parmi les pistes possibles, il y a : accréditer l’existence d’un débat sur la création des Eurobonds…muscler et activer par anticipation le FESF… instituer un régime de change particulier au seul bénéfice de la Grèce (qui équivaudrait à une dévaluation de la monnaie dans laquelle Athènes libelle ses exportations)… consentir un allongement de la maturité des emprunts grecs — toujours sur la base du volontariat de la part de ses créanciers privés — avec la garantie d’une prise en pension par la BCE en cas de besoin.

Vous pourriez croire que des solutions viables existent… mais compte tenu de l’impuissance congénitale de l’Eurozone à prendre les bonnes décisions au bon moment, nous restons convaincu qu’aucune ne sortira à temps du chapeau… et c’est toute l’Europe qui va se prendre une casquette.

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