▪ L’envol des indices illustre le principe consistant à faire « plus avec moins », mais à la manière soviétique : plus de blé, avec moins de récoltes.
Un grand merci à nos lecteurs et abonnés d’être venus nombreux nous rendre visite sur notre stand lors du Salon Actionaria ce week-end.
Une très bonne surprise pour nous rédacteurs, qui avons trouvé les travées un peu moins garnies que lors des éditions précédentes.
S’agit-il d’un reflet du désintérêt des particuliers pour une Bourse qui leur échappe, tandis que les gains — dividendes et plus-values — vont subir une ponction fiscale plus intense ces prochains mois ?
Ne nous y trompons pas, la manipulation permanente et intensive des taux, des actions, des indices de volatilité fait également des ravages outre-Atlantique. En effet, les volumes de transactions reculent inexorablement ; le titre Apple, avec ses volumes quotidiens record de 12 à 15 milliards d’euros, occulte l’autre réalité, celle du désintérêt grandissant des investisseurs pour la Bourse. Ils sont bien conscients que les ristournes Bush sur la fiscalité des actions vivent leurs dernières semaines.
▪ Wall Street compte sur le consumérisme de ses citoyens
Mais Wall Street conserve encore certain de ses vieux réflexes témoignant d’une vision manichéenne et mécaniste de la société américaine.
Wall Street est convaincu que la hausse des indices américains va doper le sentiment de richesse et inciter le bon peuple à davantage consommer.
Les marchés feignent toutefois d’ignorer que 20% du bon peuple possède à lui seul plus de 90% de toutes les actions en circulation et que cette frange d’épargnants n’a guère besoin que les indices américains soient au top pour dépenser sans restriction.
Le problème des 10% des Américains les plus riches, c’est de trouver des produits qu’ils ne possèdent pas déjà… pas d’obtenir 10% de rabais supplémentaire sur un robot-mixer ou des meubles de jardin !
Pour les 80% d’Américains que ne possèdent que 10% des actions — et 50% d’entre eux n’en détiennent aucune — que le Dow Jones soit à 8 000, 10 000 ou 14 000 points leur importe à peu près autant que les résultats de la course de lévriers samedi soir au cynodrome de Sarasota (Floride).
Vendredi soir, l’objectif (cela crevait les yeux) était de ramener le Dow Jones au contact des 13 000 points. Mission accomplie puisqu’il a terminé à 13 010 à la toute dernière minute.
Scénario presque sans surprise, puisque Wall Street n’avait qu’à se laisser porter par la furia haussière qui s’était emparée des places européennes depuis lundi dernier.
▪ Les ficelles des « mains invisibles » ne se cachent même plus
La manipulation des cours ne cherche même pas à se faire discrète. Le Dow Jones a bondi de 0,35% entre 18h52 et 19h00 (heure de clôture de la demi-séance) et de 20 points au cours de la dernière minute, ce qui portait son avance à 1,35% (contre 0,5% anticipé).
Le Nasdaq a pris 1,4% dans le sillage de RIM (13%), le S&P s’est adjugé 1,3% dans les volumes les plus faibles observés pour un Black Friday depuis le début de ce siècle.
Paris a également connu une accélération de dernière minute vendredi : c’était « cousu de fil blanc » !
Le CAC 40 qui alignait cinq séances de hausse consécutive sans la moindre consolidation intermédiaire ne pouvait terminer la semaine qu’au plus haut des plus hauts.
Avec une dernière envolée de 0,9% (dont 0,5% au cours de la dernière heure), l’indice pulvérise la résistance oblique des 3 500 points et engrange un gain cumulé de 5,6% (soit 185 points en ligne droite). Une merveille de maîtrise des algorithmes haussiers de la part des sherpas du marché !
Un tel gain dans l’absolu peut être qualifié de vertigineux. Mais vu l’actualité de la semaine écoulée, c’est assurément surréaliste. La France a perdu son Triple A… le sommet européen sur le budget communautaire pour 2014-2020 s’achève sur un échec total ; mais le CAC 40 affiche sa plus forte hausse hebdomadaire depuis novembre 2011 !
Plus remarquable encore, le total des volumes échangés au cours des cinq dernières séances n’a pas dépassé les 10 milliards d’euros (9,8 milliards d’euros). Ce cumul ne peut se comparer qu’à l’une des trois semaines les plus creuses de l’année 2012 — assurément plus creuse depuis la mi-août. Notons simplement que toutes les semaines où le CAC 40 a gagné plus de 3% cette année se sont soldées par des volumes supérieurs à 15 milliards d’euros et souvent plus de 16 milliards d’euros.
L’euro participe également à la fête avec une envolée de 0,7% à 1,2980 $. Cela représente 2% sur la semaine et 3,6% face au yen : un désastre pour notre commerce extérieur !
▪ L’Eurogroupe se chamaille
Le fiasco du sommet budgétaire européen a mis en lumière des désaccords aussi profonds qu’entre entre les démocrates et républicains aux Etats-Unis. L’Angleterre — déjà exemptée de nombreuses contributions depuis 25 ans — veut payer toujours moins.
L’impasse totale qui se confirme au plus haut niveau (avec des positions et des exigences inacceptables de la part de certains membres) augure mal de la résolution de la crise de la dette européenne. Peu importe, les marchés n’en peuvent plus d’euphorie et d’optimisme : le consensus est haussier à 70% pour la semaine qui débute. Lundi dernier, la proportion de traders baissiers était strictement inverse !
Quelques bons chiffres étaient évoqués pour justifier la progression fulgurante du sentiment haussier. Le climat des affaires dans l’industrie manufacturière en France a rebondi de trois points, l’IFO allemand s’est redressé (une heureuse surprise) en novembre.
Mais les informations qui remontent du terrain confirment l’absence d’investissement des entreprises — l’annonce de Renault en Espagne est l’exception qui confirme la règle. N’oublions pas également le gel très angoissant des embauches du nord au sud de l’Eurozone. Michel Sapin prévenait hier soir que les prochains chiffres du chômage en France seraient « mauvais ».
Comme la question grecque semble plus que jamais insoluble, nos élites nous proposent un nouveau « coup de com' », lequel consiste à transformer un désastre économique et social en pseudo-victoire. L’Eurogroupe serait tout proche d’un accord sur le déblocage de 31,2 milliards d’euros qu’Athènes ne pourra jamais rembourser !
Une conférence téléphonique s’est déroulée samedi avec pour vocation de « déblayer le terrain ». Selon le journal allemand Welt am Sonntag paru dimanche, les discussions achoppent sur l’effacement partiel de la dette grecque à l’horizon 2015 — ce qui confirme l’insolvabilité évoquée plus haut.
Angela Merkel est contre et veut trouver une autre solution… mais n’a pas la moindre idée de ce qu’elle pourrait être. Christine Lagarde réaffirme que le FMI ne saurait non plus s’y résoudre, à moins que les pertes encourues soient aussitôt refinancée par l’ensemble des pays donateurs — aucun Etat ne peut en renflouer un autre de façon sélective et discrétionnaire.
Vous imaginez la tête des Américains ou des Britanniques à qui le FMI présenterait un appel de fonds pour motif d’abandon de créance sur la Grèce ? Même pas en rêve !