La Chronique Agora

Euro : la fraude de la stabilité des prix (1/2)

inflation, euro, Jean-Claude Trichet

L’ancien président de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet s’auto-félicite de la gestion de l’euro. Les chiffres et la logique élémentaire le contredisent.

Jean-Claude Trichet, ex-président de la Banque centrale européenne, s’est exprimé fin mai dans Le Figaro, à l’occasion des vingt-cinq ans de la monnaie unique :

« Nous avons traversé des crises mondiales et européennes très, très difficiles. Les résultats sont là : aucun pays n’a quitté la zone, huit nouveaux pays ont rejoint les douze premiers, et la stabilité des prix a été en moyenne sur vingt-cinq ans au moins aussi bonne qu’avec les meilleures monnaies nationales avant l’euro. »

Cette petite phrase mérite quelques commentaires.

Tout d’abord voici comment a évolué l’indice des prix harmonisé de l’Eurozone depuis 1998 :

Source

Cet indice des prix ne comprend pas l’immobilier. Pas la peine d’avoir un doctorat pour comprendre que nous avons affaire à une hausse des prix et non pas à une stabilité.

Ensuite, ce graphique ne dit pas tout.

En 2001, la Chine intègre l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La mondialisation se met en place selon le schéma suivant : les pays dits développés font produire à bas coût dans l’usine du monde. Donc ils importent des baisses de prix. Mais la politique inflationniste (de création monétaire) de la BCE a plus que neutralisé la déflation importée.

Quant à savoir si le franc, la lire, la peseta, le deutschemark, etc. auraient fait mieux dans les mêmes circonstances, c’est impossible !

D’où vient l’inflation ?

Concernant la création monétaire et la gestion des taux, Jean-Claude Trichet profère deux énormités successives :

« Les raisons de ces interventions étaient monétaires, pas de faire plaisir aux gouvernements. La preuve en est établie depuis que l’inflation est revenue. La BCE a maintenant supprimé les achats nets d’obligations, elle ne fait plus de ‘quantitative easing’ et elle a beaucoup augmenté ses taux car elle a la responsabilité de lutter contre l’inflation. »

Dire que la fin des achats obligataires et les hausses de taux permettent de lutter contre l’inflation, c’est admettre l’inverse : les achats obligataires et les baisses de taux favorisent l’inflation.

En réalité, l’inflation est toujours un phénomène monétaire comme l’énonçait Milton Friedman. Sa conséquence est – tôt ou tard – la hausse des prix à la consommation. Le seul problème est que les « modèles » des constructivistes comme Jean-Claude Trichet sont incapables de prévoir le moment ou l’inflation monétaire se transforme en hausse des prix à la consommation.

Tous les jours les échanges qui se contractent sont le fruit des décisions de milliards de personnes différentes. Ces personnes ne sont pas des petits Playmobils, des abeilles ou des fourmis indifférenciées. Ce sont des individus qui ont chacun leurs aspirations, leurs expériences, leurs connaissances, leurs intuitions et qui réagissent en temps réel…

A chaque instant, la synthèse de ces décisions est le prix de chaque bien ou service échangé. Ceux qui souhaitent peser sur les prix – par le jeu des blocages, des subventions, des taxations, de la création monétaire, de taux d’intérêt ou de change fixes, etc. – veulent en réalité imposer leur volonté à d’autres par la fraude.

Plus précisément, concernant la relation entre la quantité de monnaie et la hausse des prix, voici un extrait de mon dernier livre, Du sumérien au bitcoin : dettes et crises monétaires.

J’y présente le cas de l’Empire romain. Lorsque la monnaie d’Etat était métallique, l’équivalent de « l’impression » monétaire consistait à avilir la pièce ou de baisser son poids (moins de métaux précieux) :

Première monnaie mondiale et première hyperinflation

Le Premier Empire mondial et la première « monnaie mondiale » reviennent à Rome.

À ses débuts, la pax romana présente bien des avantages : les routes sont pavées et deviennent plus sûres, les aqueducs acheminent une eau saine, les ports sont bien protégés. Le commerce se développe, les barbares tenus en respect aux frontières, les limes. L’impôt rentre sans difficulté dans les régions sous le régime de cette pax romana, car chacun y trouve son avantage.

Payer un tribut à Rome pour jouir de routes sûres, d’aqueducs sains, de voies commerciales pavées et d’huîtres fraîches acheminées de Bretagne à Rome, c’était gagnant-gagnant, tout au moins au début.

88 millions de personnes réparties sur 2,75 millions de km2 jouissent de la pax romana en 25 avant J.-C. L’empire atteindra 5 millions de km2 en 117.

Céréales, marbre, métaux, huile d’olive, textiles, bois, vin… circulent dans ce vaste espace, les échanges de ces denrées enrichissant ses habitants.

Mais un empire coûte cher à maintenir, les légionnaires de plus en plus nombreux pour garder les frontières doivent être payés, ainsi que les fonctionnaires de l’administration. Les impôts pleuvent, mais les contribuables ont progressivement le sentiment de moins en avoir pour leur argent.

Après tout, quand vous êtes syrien, la construction du mur d’Hadrien entre l’Angleterre et l’Écosse n’est pas le premier de vos soucis. La Calédonie, c’est loin, il y fait froid et vous ne voyez pas l’intérêt de payer pour ces landes sillonnées par quelques chevelus quasi barbares et illettrés.

Vue du mur d’Hadrien marquant la limite de l’Empire romain en Écosse (80 après J.-C.)

Crédit Wikicommons

Les besoins de l’Empire grandissant, la pression fiscale s’intensifiant, les contribuables renâclant, la triche sur la monnaie commence…

Le bon denarius (denier) d’argent est la monnaie de base du système romain au côté du sesterce en bronze. Le denier (dont le nom a essaimé en dinar en Serbie, en Algérie, en Irak, en Jordanie, au Koweït, en Lybie, en Tunisie, en dinero en Espagne) est apparu en 269 avant J.-C. Avec le temps, sa taille fond progressivement au rythme des crises politiques et économiques traversées par l’Empire romain ainsi que de ses difficultés financières. En 145 avant J.-C., une dévaluation de 38 % est déjà actée. (Notons cependant que sous le règne de Néron et durant la crise monétaire du IIIe siècle, la pièce en or est restée stable. C’est le denier d’argent, la monnaie de M. Tout-le-Monde qui a pâti des « politiques monétaires » de l’époque. Traditionnellement, l’or était réservé au « big business », aux puissants.)

À l’époque de Marc Aurèle, dans les années 170, le denier contient encore environ 75 % d’argent.

En 215, Caracalla tente un nouveau mode de dévaluation. Il introduit le double denier dont la valeur faciale est de deux deniers, mais qui ne pèse que 1,5 denier. Encore 25 % de dévaluation…

À l’époque de Gallien, autour de 250, les pièces ne contiennent plus qu’à peine 5 % d’argent. Chaque pièce est en bronze plaqué d’une fine couche d’argent. L’éclat de l’argent s’use rapidement et laisse rapidement apparaître le bronze de moindre qualité.

Évolution du pourcentage d’argent contenu dans 1 denier

Source : visualcapitalist

Dès le Ier siècle avant J.-C., des troubles civils commencent à ébranler la pax romana.

Les émissions monétaires se multiplient, dont certaines proviennent d’armées concurrentes à celles de l’Empire. Le monopole monétaire de la superpuissance du moment est menacé.

Progressivement, le commerce se contracte, et le recours au troc se multiplie…

Dans la suite de cet extrait, nous verrons comment l’inflation a détruit l’empire romain.

[NDLR : Et, si vous voulez en savoir plus, vous pouvez lire ce livre dans son intégralité. Pour l’acheter, cliquez ici.]

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