Comment restaurer la confiance dans les monnaies, ruinée par un abus de crédit au niveau mondial ?
Hier, nous avons vu comment l’émission monétaire excessive a progressivement fragilisé l’empire romain. Il nous reste à voir comment cela s’est terminé, et si nous devons nous attendre à subir le même sort.
L’inflation due à la cupidité ?
À la fin du IIIe siècle après J.-C., la confiance au sein de l’empire romain a disparu. S’ensuit alors une flambée des prix, la première inflation très documentée de l’Histoire.
L’empereur Dioclétien s’empare du problème et décide de contrôler les prix. C’est une constante de l’Histoire : tout gouvernement confronté à l’inflation refuse de faire amende honorable sur sa triche monétaire. Il essaie dans un premier temps de contrôler les prix, refusant la loi de l’offre et de la demande et forçant les échanges avec une monnaie dont il est désormais apparent qu’elle est avilie.
L’édit du maximum fut promulgué par Dioclétien en 301.
« Il nous plaît donc que les prix qui figurent dans le court texte ci-dessous soient observés dans tout notre Empire. Que chacun comprenne bien néanmoins que, si la faculté de les dépasser lui a été ôtée, il n’est pas interdit, dans les régions où s’observe l’abondance, de jouir de l’avantage de bas prix, dont on s’occupera spécialement lorsque la cupidité aura été complètement réprimée. »
Vous noterez, cher lecteur, que – selon l’Empereur – l’avilissement du denier n’est pas la cause première de l’inflation, mais seulement la cupidité des gens.
De nos jours aussi, ce ne sont jamais les États ou les gouvernements qui avouent être fautifs des désordres monétaires et financiers qu’ils ont occasionnés. Les autorités préfèrent désigner l’appât du gain, l’avidité, les spéculateurs, le capitalisme, les étrangers, la fraude fiscale, la conjoncture ou même le climat…
Pour parer l’inflation, l’Empereur tape fort. La peine de mort frappe les contrevenants qui auraient la mauvaise idée de ne pas respecter les prix de la longue liste de produits et de salaires établie par les grands planificateurs romains de l’époque.
Cette liste nous apprend qu’un fresquiste gagnait mieux sa vie qu’un mosaïste, que les notaires étaient payés à la ligne, les avocats à la procédure et à la plaidoirie et les surveillants de vestiaires au visiteur ! Les fonctionnaires ayant dressé cette liste semblaient aussi porter un singulier intérêt à la viande… On croirait l’ancêtre de la liste des « produits essentiels » produite par notre actuelle bureaucratie lors de l’épidémie de Covid en 2020.
Le problème de l’inflation ne fut toutefois pas résolu par cette coercition et cette répression mortelle, bien au contraire !
Les marchandises n’arrivèrent plus sur les marchés ; contrebande, troc et marché noir se développèrent. Des transactions consignées dans des papyrus égyptiens montrent également que certains prix de l’édit n’étaient pas respectés, car tout simplement impossibles à respecter. L’administration romaine se montra kafkaïenne avant l’heure.
C’est finalement l’empereur Constantin (272-337) qui restaurera l’ordre et la confiance en changeant de monnaie et en introduisant le solidus d’or. Cette monnaie, adoptée par l’Empire byzantin, procura une exceptionnelle stabilité jusqu’au XIe siècle. C’est l’ancêtre du sol puis du sou qui eut cours en France.
Ceux qui sont incapables de se souvenir du passé sont condamnés à reproduire ses erreurs. C’est bien dommage. Car un grand principe se dégage toujours et partout : l’inflation est d’abord un phénomène monétaire. Partout et toujours, c’est la quantité de monnaie – qu’elle soit sous forme métallique ou de crédit – qui finit par déclencher une flambée des prix sous l’effet de la défiance.
L’inflation est due à la perte de confiance dans l’État et sa monnaie
La triste fin du denier romain nous apprend que l’inflation est longue à jaillir, d’autant plus longue que la confiance dans le gouvernement était initialement élevée. En l’occurrence, nous parlons de plus de deux siècles. Une fois que l’inflation devient évidente pour la plupart des gens et que la défiance enfle, les évènements s’emballent.
Il arrive toujours un moment où les gens constatent qu’ils échangent quelque chose contre pas grand-chose (une monnaie dévaluée). Ils sont contraints par le pouvoir en place à des échanges perdants. Les vendeurs corrigent alors l’écart en ajustant leurs prix à la hausse. Ou alors ils ajustent la qualité à la baisse, des savoir-faire et des produits disparaissent, la pénurie s’installe. Les acheteurs subissent. C’est ensuite la fuite en avant. L’avilissement de la monnaie et la hausse des prix se font la course, jusqu’à la rébellion finale et l’effondrement du pouvoir.
Le moment précis de la perte de confiance n’est ni modélisable ni prévisible.
Aujourd’hui, quelque 1 700 ans après l’hyperinflation de l’Empire romain, nos banquiers centraux jouent avec le feu et regrettent qu’il y ait si peu d’inflation. Ils voudraient que les monnaies des autres soient fortes, la leur faible, que les emprunts d’État qu’ils émettent en monnaie de singe soient convoités, même lorsqu’ils ne rapportent rien. Pour le moment, le public, les citoyens ont encore confiance dans les banques centrales et la dette d’État. Des pays empruntent à 100 ans à des taux d’intérêt ridiculement faibles. Même l’Italie n’a jamais emprunté à un taux si faible dans toute son histoire. Oui : l’Italie surendettée à titre public, dont les banques sont notoirement truffées de créances douteuses, douze ans après la crise financière de 2008.
Il faudra remettre le système monétaire à plat, comme après Crésus ou Dioclétien.
Comment restaurera-t-on la confiance ruinée par un abus de crédit au niveau mondial ? Comment le FMI arbitrera-t-il les registres de dettes entre pays ? Ce ne sont pas les DTS (droits de tirage spéciaux) – cette super monnaie-crédit ésotérique du FMI, connue seulement de quelques spécialistes – qui y parviendront.
Peut-être faudra-t-il réintroduire de l’or dans le système. Pourquoi pas un peu de bitcoins, une monnaie non-marchandise mais qui ne se multiplie pas à l’infini et ne se reconnaît aucun maître.
J’ai terminé ce livre en février 2021, avant l’arrivée de la hausse des prix et le début de la hausse des taux d’intérêt. Son objectif est d’aider à comprendre les grands mécanismes que nous allons voir à l’œuvre dans la prochaine crise qui sera selon moi monétaire. Comprendre ces mécanismes permettra, je l’espère, de sauver du naufrage collectif ce qui peut l’être de nos patrimoines.
[NDLR : vous pouvez acheter le livre de Simone Wapler dont le passage ci-dessus est extrait en cliquant ici.]