La Chronique Agora

Euphorie artificielle

Wall Street, Nvidia, intelligence artificielle

Il y a un temps pour tout, et l’heure n’est pas à l’euphorie. La nouvelle bulle de l’intelligence artificielle est ainsi particulièrement surprenante…

Ces dernières semaines, nous avons assisté au théâtre du plafond de la dette, puis à son relèvement, et à l’expansion de la bulle de l’intelligence artificielle. Le premier événement était inévitable. Le second, divertissant.

La passe d’armes sur le plafond de la dette était bidon. Les protagonistes n’avaient aucune raison de se chamailler ; c’était le sujet sur lequel ils étaient tous d’accord – le gouvernement devrait emprunter encore plus. Tout le monde savait comment cela se terminerait : avec un compromis visqueux.

Cependant, l’issue a été encore plus visqueuse que ce à quoi nous nous attendions. Apparemment, les Républicains utilisaient le plafond de la dette pour arracher quelques concessions qui plairaient à leurs électeurs les plus « conservateurs ».

Au final, ils n’ont rien obtenu. Et tout le monde s’en fiche. C’était du théâtre. Mais une mauvaise pièce. Les protagonistes étaient paresseux et bidon. La tension dramatique était artificielle. La pièce dépourvue de rebondissements. Et, désormais, la dette va continuer d’augmenter sans entrave.

Une bien belle bulle

Ce n’est pas la première fois que nous assistons à la formation d’une bulle spéculative dans l’univers des technologies. Ce qui est plus surprenant, c’est le fait que cette bulle survienne maintenant. Et c’est une bulle de toute beauté. Charlie Bilello explique :

« L’euphorie concernant l’intelligence artificielle générative a été créée durant la saison des résultats : le terme ‘intelligence artificielle’ a été mentionné à 190 reprises dans les entretiens suivant les publications trimestrielles des plus grandes sociétés technologiques, alors qu’il n’était mentionné que 36 fois l’an dernier.

Puis, Nvidia a publié ses résultats, transformant l’engouement pour l’intelligence artificielle en véritable folie. Le groupe a publié un chiffre d’affaires en baisse de 13% en glissement annuel au terme du premier trimestre, mais le marché a focalisé son attention sur les prévisions de résultats. Nvidia a annoncé que son chiffre d’affaires pour le deuxième trimestre atteindrait 11 Mds$, un nouveau record pour l’entreprise (le précédent était de 8 Mds$), et 50% de plus que les prévisions de Wall Street. »

Le cours de l’action Nvidia a bondi de près de 25% durant la séance suivant ces annonces, et continué sa hausse quelques jours supplémentaires, propulsant l’entreprise dans le groupe des entreprises avec une capitalisation boursière supérieure à 1 000 Mds$, et effaçant toutes les pertes subies l’an dernier.

Cette folie a ceci d’inhabituel qu’elle survient au mauvais moment. Comme un jeune Français qui serait devenu majeur en 1914 et qui aurait été condamné à rejoindre l’armée, la folie de l’intelligence artificielle ne fera pas de vieux os.

Wall Street contre économie réelle

En règle générale, les marchés boursiers prospèrent lorsque le crédit coule à flot. C’est ce qui s’est passé durant la bulle de 2009-2022. La Fed a prêté de l’argent à des taux inférieurs au taux d’inflation, en grande quantité. En 2009, le bilan de la Fed (qui mesure l’ampleur des prêts qu’elle a accordés) s’établissait à moins de 900 Mds$. En 2022, il avoisinait les 9 000 Mds$. Cet argent est allé en grande partie dans les poches des grandes banques et de leurs gros clients emprunteurs à Wall Street.

Ils ont fait leurs paris, poussant artificiellement à la hausse les prix des actifs. Le Nasdaq, qui abrite de nombreux espoirs et vœux pieux, a augmenté parallèlement au bilan de la Fed, passant de 1 300 points en 2008 à 13 000 en 2021.

Cette hausse des prix ne représente pas une augmentation des valeurs. Alors que la Bourse s’envolait, l’économie réelle vacillait dans un contexte marqué par les taux de croissance les plus faibles depuis la Grande dépression.

Les prix des actifs représentent des droits sur des objets du monde réel. Par exemple, si vous possédez une usine, vous devriez pouvoir la vendre pour environ dix fois la valeur nette de sa production. C’est le lien entre Wall Street et l’économie réelle. Les valeurs en Bourse devraient représenter les bénéfices attendus que l’économie réelle gagne en vendant des biens et des services réels. Ils sont censés augmenter et tomber de concert.

Mais désormais, les cours de Bourse représentent des milliers de milliards de dollars de production qui n’a pas encore été produite et qui ne le sera jamais. Avant cette dernière hausse, le groupe affichait un cours de Bourse 38 fois supérieur à son bénéfice par action. Il est extrêmement peu probable que Nvidia réalise des bénéfices suffisants pour justifier ce cours. Même avec une marge bénéficiaire de 100% (impossible) et un taux de distribution des dividendes de 100% (cela n’arrivera jamais), il faudrait attendre jusqu’à 2061 pour que les investisseurs récupèrent leur argent. Au cours actuel et dans les mêmes conditions, il faudrait plus de 100 ans pour y parvenir.

Une volte-face

Les bulles spéculatives ne présagent jamais rien de bon. Elles finissent toutes par éclater. Et tout l’argent provenant de l’endettement des banques centrales revient son point de départ : le néant.

Mais cette bulle s’annonce particulièrement dévastatrice. Elle survient à contretemps. Le taux directeur de la Fed est actuellement quasi nul, en termes réels (c’est-à-dire en prenant en compte l’inflation), après avoir flirté avec les -6% en 2022. Le bilan de la Fed n’augmente plus comme c’était le cas durant la dernière bulle. Au contraire, la masse monétaire se contracte désormais à un rythme sans précédent dans l’histoire.

Voici ce que Charlie Bilello indique sur le sujet :

« Après une augmentation de 40% en 2020-2021, nous assistons à revirement complet. La masse monétaire américaine s’est contractée de 4,6% au cours des douze derniers mois, ce qui représente la plus forte baisse en rythme annuel de l’histoire (remarque : les premiers chiffres sur l’agrégat monétaire M2 remontent à 1959). »

Il y a un temps pour tout. Or, l’heure n’est pas à l’euphorie.

Voici donc une prédiction : soit la Fed injecte plus d’argent dans le système, soit la bulle de l’intelligence artificielle périra dans les tranchées.

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