La Chronique Agora

L’étrange rendement des obligations de l’Etat français

richesse

Par Pierre Lemieux

▪ « Une crise se prépare pour sûr », écrit The Economist dans le cahier spécial sur la France qui, la semaine dernière, a fait réagir le gouvernement. Les principaux facteurs qui convergent vers une crise économique en France consistent dans le haut niveau de la dette publique, le poids massif de l’Etat, et le manque de flexibilité et de compétitivité du pays. Pourquoi les investisseurs ne voient-ils pas cela venir ?

Les faits, d’abord. La dette de l’administration centrale par rapport au PIB est plus élevée en France que dans la plupart des pays de la Zone euro. Seuls la Grèce (rapport de 148%), l’Italie (109%), la Belgique (97%), le Portugal (88%), et le Royaume-Uni (86%) dépassent les 67% de la France. Ces données se sont encore détériorées depuis 2010, dernière année pour laquelle les statistiques comparatives de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sont disponibles.

La capacité de l’Etat français d’imposer davantage les contribuables est limitée. En effet, le rapport des recettes fiscales au PIB est plus élevé en France (44% en 2011) que dans les autres pays de l’OCDE (qui inclut l’Union européenne), à la seule exception du Danemark et de la Suède. Le poids des dépenses publiques est plus lourd en France que dans tout autre pays de l’OCDE sauf le Danemark : le rapport des dépenses publiques au PIB est respectivement de 56% et de 58% dans les deux pays. Au Danemark, cependant, la dette de l’administration centrale ne fait que 40% du PIB, en comparaison de 67% en France.

Enfin, l’économie française, très réglementée et inflexible, ne se trouve sans doute pas dans une meilleure situation que l’économie espagnole ou italienne pour faire face à une crise de la dette.

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Dégradation de la part de Moody’s, inquiétudes du côté de l’Allemagne, portraits peu flatteurs dans la presse… l’étau se resserre sur notre pays : que va-t-il se passer maintenant — et surtout comment vous y préparer ?

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Pourquoi, dans ces conditions, les investisseurs se satisfont-ils de rendements si modestes sur les titres de l’Etat français ? A la fin de la semaine dernière, le rendement des obligations d’Etat à 10 ans plafonnait à 2,08%, soit seulement 76 points de base de plus que les titres de l’Etat allemand. En comparaison, les écarts de taux souverains par rapport aux bunds allemands s’établissaient à 354 points de base en Italie, et à 455 en Espagne.

Une raison de la nonchalance des investisseurs réside sans doute dans le simple fait que les marchés sont imparfaits. Ils ont beau incorporer à terme toute l’information disponible, ils y mettent parfois un certain temps. Mais quand l’avalanche commence, elle déboule rapidement. Quand les investisseurs s’aperçoivent qu’ils ne reçoivent pas une prime de risque suffisante, le marché s’ajuste vite.

La figure ci-dessous illustre le phénomène.

Rendement des obligations d’Etat

Source : Fonds monétaire international.

La création de l’euro avait fait croire aux investisseurs que le risque des différentes obligations souveraines était le même partout en Europe. Leurs rendements avaient donc rapidement convergé. La découverte de l’erreur en 2008 a rapidement creusé des écarts de rendement. En moins d’un an, ils étaient significatifs — et ils ont généralement augmenté depuis.

A part la confiance exagérée des investisseurs envers la capacité de l’Etat français à faire payer les cochons de contribuables pour ses dépenses somptuaires, d’autres facteurs jouent sans doute dans le faible risque que les marchés financiers attribuent aux titres de l’Etat français. La situation des finances publiques américaines n’est pas rose non plus et, dans le Financial Times du 14 novembre, Robert Jenkins, membre d’un comité de la Banque d’Angleterre, suggère que les investisseurs à la recherche d’une alternative au dollar sont amenés à investir davantage dans les titres européens.

▪ Cette situation est-elle durable ?
Cela n’empêchera pas une crise éventuelle de la dette souveraine en France. Celle-ci aurait des conséquences bien plus dévastatrices que les crises semblables dans d’autres pays européens. Quand la crise qui pourrait forcer l’Etat français à abandonner l’euro surviendra-t-elle ? Cela, écrit The Economist, dépend de la question de savoir « combien de temps encore les marchés financiers continueront à considérer une France allergique aux réformes comme un endroit sûr où placer de l’argent ».

L’abaissement de la note de la dette souveraine française par Moody’s lundi soir marque une nouvelle étape dans le processus.

Pierre Lemieux est économiste, professeur associé à l’Université du Québec en Outaouais et Senior Fellow à l’Institut économique de Montréal. Il a publié de nombreux articles dans la presse financière, ainsi que dans des magazines spécialisés et des revues scientifiques. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dont Comprendre l’économie (Les Belles Lettres, 2008) et Une crise peut en cacher une autre (Les Belles Lettres, 2010). Il habite maintenant dans le Maine, aux Etats-Unis.

Première parution dans Protection & Rendements du 21/11/2012.

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