La Chronique Agora

Etes-vous bien vacciné contre le bug de l'an 2009 ?

** Nous parions que la bêtise est la plus contagieuse et cause bien plus de ravage économiques que la grippe H1N1 — un "vrai sujet" dont les politiques se sont emparés avec une diligence et une détermination qui auraient peut-être fait merveille… si elles avaient été appliquées à la crise des subprime dès fin février 2007, lors de la faillite de New Century Financial.

Le pire aurait peut-être pu être évité si les gouvernements occidentaux étaient passé en niveau cinq d’alerte pandémique dès que le marché interbancaire a connu son premier collapsus durant l’été 2007 : c’est à ce moment que tout le monde a commencé à soupçonner tout le monde d’être infecté par le proliférant virus des créances pourries… Ensuite, tout le système financier aurait dû être placé en niveau six dès que les premières rumeurs de faillite de Countrywide ont commencé à circuler.

Mais le bon docteur Bernanke, et à sa suite tous les Diafoirus — spécialistes émérites de la structuration de lignes de crédit –, nous ont assuré que les risques de contamination de l’économie réelle étaient quasi nuls tant que le mal n’avait pas de racines tropicales mal identifiées.

Dans le même temps, les SIV douillettement installées dans des paradis fiscaux des mers chaudes multipliaient les appels de fonds auprès de leur maison mère car l’effondrement de la valeur théorique de leurs portefeuilles prenait des proportions apocalyptiques. La réponse fut : "mettez un masque afin que personne ne puisse vous reconnaître, restez caché et ne vous montrez sous aucun prétexte… même si vous entendez se rapprocher la sirène de l’ambulance et qu’elle vient se garer devant votre fenêtre".

Les ravages causés par la peste des subprime étaient largement prévisible. Pourtant, les autorités américaines ont préféré garder secret le diagnostic d’Henry Paulson, établi dès le milieu de l’été 2008. Une majorité de membres du Congrès US refusaient d’ailleurs d’y croire : l’ultralibéralisme qu’ils vénéraient ne pouvait se terminer par une telle hécatombe d’établissements de crédit, avec en prime la plus phénoménale destruction de valeur qu’ait jamais connu l’humanité, même en temps de guerre.

** Les politiques — qui s’y connaissent encore bien moins en virologie qu’en brassage de créances pourries — sont bien déterminés à ne pas répéter l’erreur qui a conduit à l’anéantissement de leur crédibilité en 2008.
 
Cette année, ils se sentent prêts pour affronter le pire, qui leur apparaît aussi certain que l’effondrement de la bulle-économie leur semblait impossible. Ils se sont décidés à prendre conseil auprès des spécialistes.

Il en résulte des prévisions d’une précision diabolique. Ecoutez bien : la pandémie grippale provoquera une montée du taux d’absentéisme à 49% (pas 47% ni 51% mais bien 49%) à l’issue des 12 premières semaines. Ceci amputera l’économie américaine de 0,9% de PIB (en rythme annuel) et vu la similitude des moyens sanitaires, l’impact négatif sur la croissance européenne serait du même ordre.

Selon les économistes, la baisse de la production, bien que temporaire, pourrait remettre en cause le scénario de sortie de récession (en rythme séquentiel) anticipé pour la fin 2009. La pandémie de H1N1 développerait par ailleurs une tendance déflationniste, et creuserait encore un peu plus le déficit des finances publiques.

Nous savons donc exactement à quoi nous en tenir… puisque l’épidémie de grippe relève du même type de préparation psychologique que le bug de l’an 2000.

Certains de nos lecteurs peuvent objecter avec juste raison que les virus informatiques ne détruisent que des machines. La grippe, elle, selon la virulence des souches, peut causer de nombreuses victimes humaines, et dans des cas comme le SRAS en Asie du Sud-Est, des perturbations économiques majeures.

Ce n’est pas le genre de sujet qui se tourne en dérision et nous n’en avons pas l’intention. En revanche, nous soupçonnons fortement les politiques de s’offrir une belle tribune pour démontrer qu’ils savent prendre leurs responsabilités et se rendre utile lorsqu’il y a des vies en jeu.

Si la grippe s’avère bénigne, ils pourront se vanter d’avoir su prévenir une catastrophe. Si la population est durement touchée (plus qu’en 2008 par exemple), c’est que la médecine ne peut pas tout et que les virus mutent de façon imprévisible et particulièrement vicieuse ! Dans ce cas, qui oserait incriminer le gouvernement ?

Wall Street, en tous cas, n’a jamais pris cette menace très au sérieux, sauf peut-être lorsque les décès se sont multipliés au Mexique au début du printemps. Les cas détectés en Europe ou en Amérique du Nord sont beaucoup plus bénins ; l’affection ne dépasse pas le stade de la poussée de fièvre, accompagnée d’embarras respiratoires limités chez les personnes présentant un terrain fragile.

** Les marchés n’ont pas l’intention de laisser quelques communiqués alarmistes gripper la spirale haussière des indices américains. Deux sur trois ont terminé la séance de mardi en repli, mais le Nasdaq s’inscrivait en nette hausse de 0,4%.

Voilà un scénario qui équivaut à une poursuite de la tendance haussière. En effet, vendredi, c’étaient le S&P et le Dow qui entretenaient le momentum positif — tandis que les technologiques faisaient une pause.

Le Nasdaq Composite a égalé son meilleur niveau annuel en intraday (1 979 points) ; à 1 975 points, il établit bien une meilleure clôture depuis le 2 octobre 2008.

Pas de consolidation donc, tout juste une reprise de respiration, d’après les commentateurs haussiers qui continuent d’arborer un large sourire. Bien plus large que celui des consommateurs américains : l’indice du Conférence Board a reculé pour la seconde fois consécutive, à 46,6 en juillet contre 49,3 le mois précédent. Le sous-indice concernant les anticipations des ménages a fléchi de 65,5 à 62.
 
** Ces chiffres ont éclipsé la bonne impression véhiculée par le rebond des prix des maisons individuelles en rythme séquentiel au mois de mai aux Etats-Unis.
 
Selon l’indice S&P/Case-Shiller, la valeur moyenne des biens immobiliers recensés dans les 10 principales agglomérations urbaines du pays a augmenté de 0,4% en mai, pour la premières fois en trois ans. Rappelons qu’il s’était produit une contraction de 0,7% de mars à avril.
 
Cette embellie peut résulter de nombreux facteurs — notamment de la hausse des biens de faible valeur nominale, lesquels enregistrent la majorité des demandes. Elle nécessite donc une confirmation sur une durée d’au minimum un trimestre.
 
** C’était tout de même une véritable bonne nouvelle… mais elle a tout juste provoqué quelques rides à la surface des indices boursiers. Ils n’ont pas tardé à reprendre leur glissade amorcée dès le début de la matinée en Europe.

Nous ne feignons pas la surprise, nous n’invoquerons pas un phénomène de fait accompli, nous ne tentons pas d’y voir un jugement équilibré du marché… Nous essayons simplement de déterminer à partir de quel moment les plus gros brasseurs d’argent jugeront qu’ils ont entraîné suffisamment d’acheteurs (suiveurs systématiques, analystes techniques, éternels retardataires qui volent au secours de la victoire) dans leur sillage pour tirer sur la manette qui ouvrira la grande trappe sous leurs pieds.
 
Il sera alors temps d’invoquer les terribles incertitudes et dommages potentiels que la pandémie d’H1N1 (le virus paraît beaucoup plus menaçant présenté sous cet acronyme que sous l’appellation de grippe saisonnière de la période hivernale) ne va pas manquer de causer aux économies occidentales.
 
Une nouvelle fois, la bêtise risque de faire beaucoup plus de dégâts sur les portefeuilles que les caprices virologiques de la nature.

Philippe Béchade,
Paris

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