La Chronique Agora

Et si le pétrole repassait les 50 $ ?

** D’éminents économistes — et pour une fois nous les citons sans ironie, en particulier Patrick Artus et Marc Touati — commencent à se demander si les marchés financiers ne sur-réagissent pas face au sombre tableau que nous décrivons à longueur de Chroniques depuis 18 mois. Les 55% de repli du CAC 40 par rapport aux sommets de l’été 2007 doivent bien commencer à intégrer non pas les 50% de baisse des résultats des entreprises, mais les 25% qui nous semblent plausibles pour 2009.

Après sa chute de 8,6% la semaine précédente, Paris aurait pu esquisser un rebond technique mais les opérateurs ont attendu en vain, chaque sursaut indiciel étant mis en échec par une succession de statistiques économiques plus désastreuses les unes que les autres. Et quand les chiffres conjoncturels ne sont pas en cause, ce sont les résultats trimestriels des entreprises qui sèment la désolation — à quelques exceptions près s’agissant d’IBM, Apple ou AMD.

Et si les deux motifs évoqués dans les paragraphes précédents ne suffisent pas à faire s’effondrer les cours, les rumeurs prennent le relais : malgré les démentis de la direction concernant un projet d’augmentation de capital, BNP Paribas s’est encore effondré de 7,85% le vendredi 23 janvier, ce qui portait le repli hebdomadaire à 26%, la performance annuelle s’établissant à -30% en trois semaines — un triste record.

Société Générale n’a pas été épargné non plus : -6% et -15% en hebdomadaire. Les attaques ont été encore plus dévastatrices sur Rémy Cointreau (-24%) et surtout Air France/KLM (-25%) qui, paradoxalement, ne tire profit ni de la hausse du dollar ni de la rechute du prix du kérosène cette semaine.

** L’investiture de Barack Obama le 20 janvier n’a engendré aucun état de grâce. C’est même un scénario sans précédent — et sur lequel pas un spéculateur n’aurait misé plus de 100 $ — qui s’est matérialisé avec un effondrement de 5% des indices américains mardi soir. L’onde de choc a déstabilisé les places européennes ; elles ne sont jamais parvenues à refaire surface au cours des trois séances suivantes.

De nouveaux planchers annuels — et long terme — ont donc été inscrits par de nombreuses places sur le Vieux Continent. Paris n’a pas fait exception avec un plus bas de 2 770 points inscrit vers 14h35 (niveau jamais revu depuis le 3 avril 2003), ce qui correspondait à une perte supérieure à 3%.

Le rebond de Wall Street, passé les -2,8% initiaux sur le Dow Jones, a surpris les vendeurs. Des rachats de découvert ont permis au CAC 40 de reprendre une centaine de points, à 2 863 points vers 17h15. Cependant, l’ex-plancher 2008 des 2 881 points a continué de faire office de résistance ; le CAC 40 a ricoché à la baisse (-0,7%) pour aligner une cinquième séance de baisse (soit cinq sur cinq).

Le bilan hebdomadaire ressort donc négatif de 5,6%. La performance des valeurs françaises entre le 2 et le 23 janvier 2009 est strictement identique à celle observée entre le 2 et le 22 janvier 2008, soit -19% entre les deux extrêmes testés depuis le 31/12/2008.

** Les bourses européennes s’en sont mieux tirées que Paris : l’Eurotop 100 reste quasiment inchangé à -0,03%… et semble préserver à 0,3% près ses planchers du 21/11/2008. Cependant, elles ont inscrit une cinquième séance de baisse consécutive, et une 12ème sur une série de 13.

Le Dow Jones, qui chutait jusque sur 7 910 points dans le sillage de General Electric (-8%), ne cédait plus que 0,8% à la mi-séance ; le S&P 500, plus représentatif de la tendance, progressait de 0,5% vers midi. Le Nasdaq affichait alors plus de 1,5% de progression dans le sillage d’AMD, Marvell Techno puis Foster Wheeler ou Netapp qui grimpent de +6% à +7%.

Le conglomérat General Electric, véritable baromètre de l’économie américaine, a dévoilé des résultats en forte baisse, avec un résultat des opérations poursuivies en repli de 43% à 3,9 milliards de dollars sur le quatrième trimestre. La société a averti que 2009 serait une année "extrêmement difficile".

** La crise financière fait de plus en plus de dégâts. Ainsi, le Royaume-Uni est officiellement entré en récession puisque, selon l’institut statistique britannique ONS, le pays enregistre une baisse de 1,5% (contre 1,3% anticipé) du Produit intérieur brut au quatrième trimestre 2008, après un repli de 0,6% sur le trimestre précédent. La production industrielle a enregistré un plongeon record de 4,6% par rapport au troisième trimestre ; le secteur des services, moteurs de la croissance depuis que la City représente 20% à 25% du PIB britannique (selon les modes de calcul) a chuté de 1%.

C’est la première récession depuis 1991. Elle met un terme à une série de 62 trimestres de hausse d’affilée outre-Manche — c’est la contraction la plus sévère depuis 1980. Elle s’accompagne d’un effondrement des prix de l’immobilier (-20%) et d’une flambée du chômage avec plus de deux millions de sans-emploi selon les normes du BIT. Ce chiffre double si l’on compte les temps partiels, les chômeurs en formation et les handicapés… les femmes élevant seules leurs enfants font partie de cette dernière catégorie !

De son côté, le Fonds monétaire international (FMI) a revu en forte baisse ses prévisions pour l’Allemagne ; il table à présent sur une récession de 2,5% en 2009, contre -0,8% auparavant.
 
Ce jeudi 22 janvier, la Chine a fait part d’un fort ralentissement de sa croissance au quatrième trimestre, à 6,8%. La Corée a révélé quant à elle un PIB en baisse de 5,6%. Même tendance au Japon (-3,8% à Tokyo vendredi matin), où la Bank of Japan s’attend à deux années de récession. En Amérique latine, le Brésil s’est vu contraint d’abaisser son taux directeur de 100 points de base, à 12,75%, soit la première baisse depuis le début de la crise.

** Les places européennes ont été sauvées du naufrage par la hausse des valeurs du secteur énergie en toute fin de semaine. Paris bénéficiait également de la remontée de Total et Veolia (+2%), EDF (+2,3%) ou GDF Suez (+3,35%).

La hausse de Total peut surprendre alors que le baril de brut a chuté de 5% vendredi vers 16h, (jusque 41,5 $ environ sur le NYMEX). Cependant, le groupe pétrolier pourrait nouer un partenariat avec GDF Suez dans le cadre du projet de nouvel EPR français, alors que les deux groupes sont déjà partenaires pour la vente de deux centrales EPR aux Emirats arabes unis.

** Il ne faut pas perdre de vue que les sautes d’humeur de l’or noir sont souvent liées à des évolutions brutales des indices boursiers. Depuis juillet 2008, le scénario est devenu quasiment immuable : il se résume à des vagues de liquidation à Londres et sur le NYMEX lorsque les actions décrochent — c’est le tristement célèbre phénomène de deleveraging.

Le baril de pétrole s’est redressé in extremis vendredi soir à New York et la performance hebdomadaire est redevenue positive.

Mince consolation pour quelques heureux amateurs d’émotions fortes — le suspense a duré jusqu’à la dernière heure sur le NYMEX — car, pour une écrasante majorité d’investisseurs, il n’y avait vraiment rien à sauver à l’issue de la troisième semaine boursière de janvier.

Wall Street, Tokyo, le CAC 40 ou le DAX sont revenus au contact de leurs niveaux plancher de novembre 2008 ; les bons du Trésor ont chuté — eh oui, les rendements se tendent bien que "l’indice de la peur frôle" de nouveau ses sommets de l’automne dernier. Les matières premières et les céréales s’effritent elles aussi car la crise et la récession provoquent une contraction de la demande solvable.

** Cela ne vaut peut-être pas mieux que deux petites lignes en fin de Chronique mais l’or noir a suivi sur le tard la même trajectoire que le métal précieux — passé de 853 $ à 900 $ (+5%) en une demi-journée. Le pétrole dessine donc une ébauche de double creux sur la zone des 40 $ à un peu moins de quatre semaines d’intervalle. Cela pourrait préfigurer une reprise en "W" qui prendrait à contre-pied tous ceux qui anticipent un baril à 25 $ d’ici la fin du premier semestre en cours.

Nous l’avons déjà exprimé dans de précédentes Chroniques : un gallon de sans-plomb repassant au-dessus des deux dollars aux Etats-Unis, ce serait plutôt bon signe pour Wall Street car, pour l’heure, les prix sont comparables à ceux qui se pratiquaient en… octobre 2003.

Et si le pétrole repassait les 50 $… mais non ! Impossible ! L’histoire marche à rebours, le CAC 40 est déjà revenu sur ses planchers de mai 2003 et les plus bas de mars (2 410 points, soit -20%) sont en vue, tous les chartistes vous le diront, mais nous ne sommes pas obligés de vous le répéter.

Philippe Béchade,
Paris

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