La Chronique Agora

Et si le dynamitage des banques françaises n’était que la partie émergée de l’iceberg

▪ Pourvu que ne survienne pas ce mercredi une panne de quelques distributeurs automatiques de billets du Crédit Général de Paris dans un canton de la Lozère. L’information aussitôt reprise, déformée et amplifiée attesterait que cet établissement de premier plan (présent dans plus de 80 pays avec un effectif de 200 000 salariés) est à court de liquidités !

Si, si, le père Hoaxlies — un éleveur de ratons laveurs d’origine britannique bien connu dans la région — a fait les trois DAB de la sous-préfecture, ils sont tous à sec : maintenant c’est sûr et certain, le Crédit Général de Paris s’est fait couper les vivres par les marchés, le groupe est au bord de la faillite !

Quelques Lozériens sont déjà dans la confidence. Il faut se dépêcher d’aller récupérer son cash avant que la nouvelle de la banqueroute soit ébruitée.

Vous trouvez ce scénario exagéré ? Il l’est à peine !

▪ La Société Générale a vu son cours s’effondrer de 7% mardi après-midi. Cela fait suite à un article du Financial Times selon lequel Siemens — une multinationale qui possède depuis peu sa propre filiale bancaire — aurait retiré un demi-milliard d’euros de la Société Générale pour placer ces mêmes fonds auprès de la BCE.

Le marché apprendra plus tard dans l’après-midi que cette opération aurait eu lieu non pas il y a quinze jours en pleine crise de confiance, mais il y deux mois, c’est-à-dire avant que ne souffle le vent de panique, ce qui change tout.

Trop tard : les quelques heures qui ont précédé cette mise au point ont été un régal pour les vendeurs à découvert.

Nous ignorons en revanche quelle rumeur ou quelle anticipation de désastre a provoqué l’effondrement de 6,5% de la BNP Paribas mardi en fin d’après-midi.

Certains traders expliquaient ce plongeon par la révélation que la Bank of China aurait suspendu, il y a une quinzaine de jours, ses opérations croisées avec des banques européennes (il peut y en avoir beaucoup), dont les trois principales banques françaises.

Cela n’a peut-être rien à voir avec leur solidité financière. On ignore tout des montants en jeu — qui sont peut-être négligeables. Mais peu importe, voilà encore du pain béni pour les vendeurs à découvert.

Force nous est de constater que 48 heures après une chute de 11% de Crédit Agricole dans des circonstances toujours pas élucidées (car la banque concernée n’a pas jugé bon de communiquer à ce sujet), c’est maintenant au tour de la plus grosses des banques françaises de subir une attaque dont les causes restent inexpliquées.

L’argument de la dégradation de la dette italienne ne tient pas la route : les banques locales cotées sur le MIB 30, les premières concernées, ont terminé en hausse moyenne de 2% à Milan. Notons que les banques allemandes, espagnoles ou autrichiennes, également très exposées, n’ont pas bronché non plus.

BNP Paribas a donc inscrit mardi soir sa plus mauvaise clôture annuelle à 24,91 euros et sa capitalisation boursière est désormais comparable à celle de Danone ou Hermès.

▪ Considérer que les cours des banques « ça monte ou ça baisse » (observez que ce sont toujours les mêmes qui baissent depuis 10 jours), ce serait faire preuve d’une certaine naïveté. Tenez, prenez le coût de la fraude chez UBS qui a été revu à la hausse de 10% ce mardi : c’est du concret. Impact sur le cours : néant.

Lorsque des dizaines milliards de capitalisation boursière sont en jeu… et quand il est question de la capacité de financement de l’économie de tout un pays comme la France, alors soyez certain que les déboires de nos établissements de crédit (et spécialement ceux cotés sur le CAC 40) ne surviennent pas par hasard.

Comment ne pas s’interroger sur le feu roulant de rumeurs et d’articles véhiculés par la presse anglo-saxonne ? Il ne vise que les banques françaises en épargnant toutes les autres — surtout celles dont il serait malvenu de rappeler qu’elles sont particulièrement vulnérables.

Mais passons. Depuis quelques jours, les médias anglo-saxons s’acharnent à démontrer que ce sont nos banques tricolores — et elles seules ! —  qui ne trouvent plus de liquidités ou plus de contrepartie sur les marchés.

A tel point que de nombreuses entreprises, inquiètes pour leur trésorerie, migreraient vers des établissements plus sûrs (italiens ou espagnols de préférence ?).

Le fondateur de Meetic, Marc Simoncini, a jeté de l’huile sur le feu en direct sur BFM mardi midi : il a annoncé que Match.com (le nouveau propriétaire américain du site) aurait recommandé de ne pas laisser d’argent dans les banques françaises.

Outre que la gestion des flux financiers de Meetic n’est plus de son ressort mais de celui du nouveau directeur financier, nous connaissons beaucoup d’entreprises américaines qui font rapatrier chaque soir la trésorerie vers les Etats-Unis ou un paradis fiscal qui permet de faire travailler l’argent sans taxes ni impôts. Ceci ne constitue donc pas une preuve de défiance.

S’agit-il d’une maladresse de M. Simoncini qui parle sans savoir de ce qui ne le regarde plus… ou la direction américaine de Match.com l’a-t-elle chargé d’alimenter au détour d’une question anodine la psychose ambiante sur les banques françaises ?

Encore une étranges coïncidence, et cela commence à en faire beaucoup en moins de 10 jours. Cela ressemble à une forme de harcèlement médiatique soigneusement orchestré.

▪ Certes, la Commission de Bruxelles retourne se veste et admet qu’une recapitalisation des banques « peut s’avérer nécessaire ». C’est une manière de reconnaître implicitement que la Grèce va faire défaut et que certaines d’entre elles verront se volatiliser une part significative de leurs fonds propres, ce qui est anticipé dans les cours depuis des semaines.

Mais l’avertissement de Bruxelles concerne en priorité les banques que le marché sait déjà en situation difficile ; et toutes celles-là sont miraculeusement épargnées par les « rumeurs » et les coupures de presse équivoques ou tendancieuses.

Autrement dit, le but ne semble pas provoquer de gros écarts à la baisse sur n’importe quelle banque présentant de réelles caractéristiques de vulnérabilité (elles sont légion) mais bien de déstabiliser des leaders ciblés du CAC 40.

Quelle partie de billard à trois bandes est donc en train de se jouer à l’échelon planétaire, qui place la France (à travers le discrédit de ses banques) dans une situation difficile et l’expose à la perte potentielle de son triple A ?

La stratégie poursuivie applique les principes bien connus de la prophétie auto-réalisatrice : « il n’y a pas de fumée sans feu », « le bien ne fait pas de bruit mais le bruit ne fait pas de bien », etc.

Alors oui, le dynamitage des banques françaises par médias interposés n’est que la partie émergée de l’iceberg. Nous donnerions très cher pour connaître le véritable niveau de cordialité des rapports entre l’exécutif français et Tim Geithner avant puis pendant le sommet de Wroclaw.

Nous le réaffirmons : quand des dizaines et même des centaines de milliards sont en jeu, rien n’arrive par hasard, et surtout pas lorsqu’il est question des banques.

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