La Chronique Agora

Espagne : est-ce l’heure du coup de grâce pour le secteur bancaire ?

▪ Pas de désastre boursier pour l’entame de la dernière semaine du mois de mai. Le CAC 40 clôture en repli de 0,16% à l’issue d’une séance où il ne s’est traité qu’à peine 1,25 milliard d’euros en l’absence des investisseurs américains, en congé pour le Memorial Day.

Ce lundi peut apparaître bien anodin du côté de la Bourse de Paris… Cependant, la journée s’est avérée saignante du côté de Madrid, où l’Ibex 35 a plongé de 2,15% dans le sillage de Bankia (-13,4%), qui poursuit sa descente aux enfers.

Tout le monde a bien compris que ce conglomérat de caisses régionales moribondes rebaptisé Bankia allait avoir besoin d’une recapitalisation massive. Il a tout d’abord été question de 10 milliards d’euros, puis de 14 milliards en début de semaine dernière — et enfin d’un total de 23,5 milliards d’euros (en comptant 4,5 milliards déjà versés) aux dernières nouvelles.

Là, l’Etat espagnol commence à avoir un vrai problème parce qu’il va devoir injecter 30 milliards d’euros supplémentaires à répartir — par ordre alphabétique — entre Banco de Valencia, CatalunyaCaixa et NovacaixaGalicia qui sont également en survie artificielle depuis deux ans.

Depuis le sommet de Bruxelles, Mario Rajoy s’efforce de convaincre les marchés que l’Espagne va réussir le prodige d’engloutir 50 milliards d’euros dans son système bancaire… sans alourdir la dette de son pays grâce à des injections de titres de dette publique échangeables contre des liquidités auprès de la BCE.

Sauf que l’organisme chargé de doter les banques de ressources négociables — le FROB — ne dispose que du dixième de la somme nécessaire (cinq milliards d’euros au lieu de 50). Cela implique que l’Espagne lève plusieurs dizaines de milliards d’euros de liquidités au cours des prochains mois.

A pratiquement 6,50% pour un refinancement à 10 ans, la situation devient intenable. Il ne reste plus, pour sauver la situation, qu’une intervention massive de la BCE : un appel à l’aide de Madrid adressé à Bruxelles ou au FMI serait interprété comme le signe précurseur d’un scénario à la grecque.

D’un point de vue technique, les Espagnols paient leurs impôts… mais cela ne rend pas le pays plus solvable pour autant, à partir du moment où il n’y a plus que l’Etat pour garantir la survie de banques lestées de 300 milliards d’euros de créances douteuses.

Certes, ce n’est pas de la « dette sociale », mais c’est de la dette que Madrid n’a pas plus les moyens de rembourser qu’Athènes au printemps 2011, avant que les marchés partent en vrille quelques semaines plus tard.

▪ Tout mais pas ça !
La peur de revivre ce scénario était très présente lundi et mercredi derniers. Il s’en est fallu de très peu que les indices boursiers, l’euro, les matières premières n’entament une glissade en direction de territoires inconnus.

Des supports majeurs ont été préservés de justesse. Cependant, l’aversion au risque a atteint des sommets comme le démontrent un rendement de 1,4% sur le 10 ans allemand et un VIX (indice du stress aux Etats Unis) qui est repassé de 14 à 25, un seuil critique, en deux mois.

En ce qui concerne l’Espagne, la Bourse madrilène se retrouvait lundi soir aux portes de l’enfer. L’indice Ibex 35 menaçait d’enfoncer le plancher majeur et décisif des 6 400 points.

Si un tel événement se produisait au moment où vous lisez ces lignes, vous pouvez revenir une semaine en arrière et afficher à l’écran notre essai de fiction boursière du 22 mai.

Nous modifions à la marge les seuils techniques-clés (à ne pas enfoncer en clôture) sur les principaux indices occidentaux : 3 000 puis 2 990 points sur le CAC 40, 2 135 points sur l’Euro-Stoxx 50, 1 290 points sur le S&P et 12 300 points sur le Dow Jones.

Ces seuils, nous les connaissons, vous les connaissez. Nos élites de la BCE et de Bruxelles les connaissent aussi — et même s’ils n’ont pas lu une ligne de nos chroniques du début de la semaine passée, les uns et les autres se sont à coup sûr chargés de les « affranchir » du danger qui plane sur les marchés, c’est-à-dire un scénario à la Lehman… puissance 10.

C’est précisément le scénario que redoute la planète finance depuis l’été dernier, c’est exactement ce qui ne doit — et donc ne peut — à aucun prix se produire.

N’importe quoi vaudrait mieux que l’effondrement de l’Espagne : la création d’une giga bad bank dotée de 50% d’actifs immobiliers ibériques n’ayant aucune valeur, bons à passer au bulldozer… un troisième LTRO avec des prêts illimités d’une maturité de cinq ans… des Eurobonds, des mori-bonds… enfin tout et n’importe quoi… Tout mais pas ça !

▪ Que nous dit vraiment l’euro ?
Si nous prenons pour hypothèse que l’euro constitue le vrai baromètre de la peur de voir la Zone euro se disloquer, sa chute de 10% depuis un an et de 6% depuis la mi-mars ne constitue pas à notre sens le signe précurseur de la catastrophe prédite par les eurosceptiques et les « findumondistes ».

L’ajustement de l’euro à la baisse correspond à une prise en compte assez sereine du différentiel de croissance anticipé entre le Vieux Continent et l’Amérique, rien de plus.

Il y a de surcroît dans le repli de la monnaie unique pas mal de positions spéculatives à la baisse. Elles émanent d’opérateurs qui occultent — imprudemment selon nous — l’ampleur de la dette américaine et l’incapacité de la Maison Blanche et du Congrès US d’y porter remède.

Le système législatif américain est désormais l’otage des extrêmes. Le Tea Party ultra-libéral et libertaire interdit aux conservateurs de rechercher un compromis avec les démocrates centristes et pro-business. Ces derniers doivent de leur côté composer avec les supporters du mouvement Occupy Wall Street, qui reprennent leur croisade anti-libérale de plus belle avec la giga-perte non circonscrite de J.P. Morgan/Chase sur les dérivés de crédit européens.

Si l’Europe se sauve du désastre par un réflexe de survie dont quelques empires trop disparates ont su faire preuve avant leur inévitable désintégration quelques années ou décennies plus tard, c’est le dollar qui sera la prochaine cible de la spéculation !

La plupart des observateurs n’y verront que du feu car la disgrâce du billet vert commencera par les rachats de shorts sur l’Euro (possible remontée mécanique jusque vers 1,3000 $), puis les cambistes se demanderont à voix haute pourquoi en dehors des coupes budgétaires automatiques prévues l’été dernier, les Etats-Unis n’ont toujours mis en place aucune des mesures de rééquilibrage budgétaire dont ils saluent la pertinence sur le Vieux Continent.

Pourquoi les prêteurs feraient-ils davantage confiance à l’Oncle Sam qui n’a jamais esquissé l’ébauche d’un commencement de refonte de sa fiscalité alors que le pays va droit dans le mur ?

Dans l’immédiat, c’est bien l’Espagne qui va droit dans le mur : c’est donc l’heure de l’indulta (la grâce)… ou du coup de grâce.

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