▪ Les opérateurs et les investisseurs se félicitent sans réserve d’une hausse de 1,9% de l’E-Stoxx 50 et du CAC 40 (tandis que Wall Street pulvérisait ses records annuels).
Beaucoup d’observateurs évoquaient mercredi soir le fait accompli, Wall Street semblant hésiter avant de grappiller 0,25% in extremis… Voilà que les 600 milliards de dollars de la Fed seraient redevenus jeudi matin un providentiel stimulant pour les marchés.
Nous n’osons imaginer que si les indices avaient corrigé de -1,9% ce jeudi, rien n’aurait paru plus naturel après le pullback entamé la veille (les jeux semblaient faits et tous les oscillateurs techniques court-terme s’orientaient à la baisse) et une hausse de 10 semaines des indices boursiers sans aucune correction.
Peu de commentateurs s’étonnaient de ce que le CAC 40, attendu en hausse de 0,8% jusqu’à quelques secondes de l’ouverture, explose de 1,4% dès les premières cotations, puis de 2,2% en moins d’une demi-heure. Cela représente 10 fois le niveau de progression des indices américains la veille et trois fois plus que prévu par le consensus en Europe.
Personne n’a jugé singulier que l’indice s’installe dès 9h35 au sein d’un corridor 3 910/3 920 points pendant plus de huit heures et n’en ressorte plus… sinon l’espace de quelques secondes vers 16h, juste histoire de piéger quelques haussiers.
▪ Y voir une manipulation magnifiquement orchestrée des indices, ce serait faire fi de la psychologie du marché… Elle est pourtant limpide, et il n’y a pas matière à soupçonner quoi que ce soit de bizarre !
La Bourse de Paris, voyant les indices américains stagner en pré-ouverture après +0,25% la veille, a soudain éprouvé une subite envie d’aller tester la zone des 3 925 points. Et comme le CAC 40 a pris 85 points en quelques minutes, les opérateurs sont partis faire un golf en prenant bien soin de mettre leurs ordinateurs sur pause jusqu’à 17h34 (à 17h35, c’est le fixing) !
Très concrètement, pour bien comprendre ce qui s’est passé jeudi au cours des premiers échanges : un opérateur (non identifié, comme il se doit) a rentré un ordre d’achat massif sur le CAC 40 qui a littéralement asséché le carnet d’ordres en quelques secondes.
Cette véritable opération commando a déclenché une cascade d’ordres d’achats stop automatisés au-dessus de 3 890 points. Elle a également entraîné une hausse symétrique de l’Euro-Stoxx 50 et, par effet domino, de l’ensemble des indices européens (interconnexion des paniers d’actions oblige).
Si l’opérateur anonyme avait simplement ramassé au fil de l’eau les contrats se présentant sur le marché entre 3 875 et 3 890 points, les vendeurs auraient eu le temps de s’organiser. La stagnation des futures US aurait pu museler les velléités haussières, quand bien même le dollar se serait replié sous les 1,42/euro.
Au lieu de cela, nous avons assisté à une "envolée sauvage" — c’est-à-dire un arrachage en règle des cours à la hausse. Les opérateurs l’ont commodément mise sur le compte d’un soulagement (qui fut loin d’être immédiat, ne négligeons pas ce détail) de voir la Fed confirmer ce que Wall Street espérait.
Mais il serait plus pertinent de considérer que Ben Bernanke n’a fait qu’obéir aux directives de Wall Street… et saluons au passage la glorieuse incertitude des marchés.
▪ Une poignée de méga-banques sont encore, ne l’oublions pas, les principales actionnaires de la Banque centrale américaine. Et le bilan de cette dernière va se gonfler d’un bon tiers (de créances à haut risque) d’ici le mois de juin prochain.
Si la BCE voyait le sien augmenter de 3% suite à quelques achats de titres grecs ou irlandais, Axel Weber (le successeur de J.C. Trichet en avril 2011) en ferait une syncope !
D’ailleurs, les politiques monétaires semblent faire le grand écart comme jamais depuis 1987. L’Allemagne, qui doit son insolente santé économique à son principal client chinois (lequel ruine consciencieusement les industries de pratiquement tous les pays du Vieux Continent grâce au matériel germanique), plaide pour l’arrêt pur et simple de toutes les mesures d’exception destinées à soutenir le secteur bancaire ou refinancer des pays en grave difficulté comme la Grèce ou l’Irlande.
Et pendant que les indices boursiers s’envolent, plus personne ne parle du désastre qui se perpétuait ce jeudi sur les emprunts grecs (10,6% de rendement) ou irlandais (7,15%). Il se produit pourtant une véritable explosion des CDS — ces assurances contre un défaut de paiement, qui présentent des primes vertigineuses de 845 points de base sur les emprunts émis par Athènes.
A ce niveau de taux, aucun de ces deux pays n’est en mesure de trouver le moindre prêteur sans l’aide de la BCE.
▪ Mais peu importe, l’euro continue de grimper — un signe indéniable de bonne santé économique, cela va de soi ! — alors que les cambistes fuient le billet vert (-1% à 1,4250/euro).
Des arbitrages massifs font exploser le pétrole (+2,6% à 86,7 $)… l’or (qui réédite son record absolu à 1 380 $ l’once)… les métaux industriels (dont l’argent qui bondit de 4%)… et les actions — bien que les perspectives de croissance en 2011 demeurent très incertaines si l’on se fie au diagnostic de J.C. Trichet… mais en quoi cela intéresserait-il les gérants actions ?
Wall Street n’a pas davantage réagi à la forte hausse des inscriptions hebdomadaires au chômage à l’issue de la dernière semaine d’octobre (+20 000 à 457 000, contre 442 000 attendus).
Il est permis de douter que les statistiques de l’emploi (bonnes ou mauvaises) aient le moindre impact sur les cours ce vendredi. Sauf si certains spéculateurs cherchent un prétexte crédible pour alléger leurs positions — mais ils pourraient tout aussi bien faire l’inverse si le dollar s’enfonçait sous les 1,43/euro.
▪ Outre le torpillage du dollar, la sempiternelle promesse de taux "exceptionnellement bas pour une période prolongée" de la Fed agit comme une véritable formule magique qui ferait disparaître miraculeusement tous les problèmes de fond.
Les liquidités qu’elle compte injecter à raison de 75 milliards de dollars par mois jusqu’en juin 2011 entretiennent une déconnexion de plus en plus radicale entre Wall Street et la réalité… mais surtout, jusqu’à quand la chute du dollar va-t-elle être considérée comme un facteur positif par les marchés ?
A quel moment Wall Street va-t-il prendre de plein fouet un krach obligataire à force de croire que le scénario japonais de la fin des années 90 est transposable aux Etats-Unis… alors que les Américains (sauf les riches et les ultra-riches) n’ont pas d’épargne et que la Fed s’est donnée pour mission de détruire le peu qu’il leur reste par l’inflation ?