La Chronique Agora

L’envers du décor

inflation, Argentine, Buenos Aires

Les Argentins ont des leçons à nous donner sur l’inflation. Mais, s’ils arrivent à vivre avec des prix qui augmentent de 50% d’une année sur l’autre, le pourrions-nous ?

Les Argentins vivent avec l’inflation depuis longtemps. Le taux d’inflation était de 2000% en 1990. Il est désormais de 50%. S’il est un peuple qui sait comment survivre, c’est le peuple argentin.

Peut-on apprendre de l’exemple argentin ? Il vaudrait mieux. Les tensions géopolitiques ont fait vaciller le marché des matières premières, comme en atteste la flambée des cours du blé, du nickel, de l’or et du pétrole survenue en début de mois.

Un article publié récemment montre que le gallon (3,7 l) d’essence vaut en moyenne 4,28 $, avec un sommet en Californie à 5,8 $. Le prix du baril de pétrole est monté à 130 $. L’expérience et les ‘experts’ nous disent qu’une récession nous guette.

Dans le même temps, le Congrès est en train d’élaborer une loi pour exclure le pétrole russe du marché américain. Ce faisant, le gouvernement américain attaque en même temps les trois éléments majeurs de la prospérité moderne : l’énergie, la monnaie et la confiance.

Il suspend l’approvisionnement en pétrole ; il sape le dollar en infligeant des sanctions aux honnêtes épargnants et investisseurs ; l’inflation et les sanctions érodent la confiance envers le système financier mondial, dominé par les États-Unis.

Nul ne sait où cela nous mènera. Mais on peut entendre la pulsation d’un tango à l’horizon.

El Fin del Mundo

« Si vous regardez autour de vous, les gens vivent à peu près normalement », nous explique un interlocuteur de Buenos Aires. On peut voir des gens avec des voitures neuves, même si elles se font rares. On peut voir des chantiers de maison. On peut voir des gens sortir, aller dîner au restaurant ou faire des courses.

« Si l’inflation était de 50% aux États-Unis, la situation serait tout autre [notre contact vivait autrefois à Miami]. Ce serait un désastre. Il y aurait une révolution. Les gens vivent à crédit. Ils ont des prêts immobiliers à refinancer. Ils ont des dettes à rembourser. Le système dépend du crédit. Tout est vendu à crédit. Si les taux d’intérêt augmentent, c’est toute l’économie qui s’effondre.

Ce n’est pas le cas ici car cela fait longtemps que l’économie s’est effondrée. Les gens n’ont pas de prêts immobiliers. Ils n’ont pas de dettes. Les gens se moquent des taux d’intérêt car, de toute façon, ils ne peuvent pas emprunter.

 Dès qu’ils ont de l’argent, ils le dépensent. »

C’est simple. Lorsque vous avez de l’argent, il est inutile d’essayer d’en mettre de côté. Toutefois, la question est de savoir comment dépenser cet argent.

Comme nous l’explique notre ami :

« Dans l’immobilier, les prix sont bas ici. Les gens achètent en ce moment et attendent que les prix repartent à la hausse. Il y a un autre élément à prendre en compte dans l’équation. Ici, nous suivons des cycles bibliques. Sept années fastes. Puis sept années difficiles. 

Parfois, nous sommes le pays le meilleur marché au monde, parfois le plus cher. En ce moment, nous sommes dans une période difficile. Les gens en profitent donc pour agrandir leur maison ou pour acheter un appartement. Les loyers sont trop faibles, donc les taux de rentabilité sont minimes. Mais il est probable que les prix augmenteront lors des sept prochaines années fastes. 

J’oubliais : il y a également un cycle politique. Actuellement, ce sont les Péronistes qui sont au pouvoir. Mais ils ont créé un tel chaos que les électeurs les sanctionneront probablement lors du prochain scrutin, qui aura lieu en novembre. Le pays connaîtra alors une période faste, puis de nouveau une période difficile. »

Buenos Aires est un régal. Une ville animée, complexe et bon marché. La gastronomie est bonne. Le climat, en cette période de l’année, est délicieux. Les cafés et les restaurants sont bondés. Les gens semblent vivre la belle vie.

Mais il faut voir l’envers du décor. Ici, l’économie fonctionne uniquement parce que les gens ont appris à tricher.

Des caves à argent

« Le bon côté de la vie à Buenos Aires est que le gouvernement fait n’importe quoi », poursuit notre ami. Ils sont délibérément incompétents. Les lois et les règlementations ne sont jamais correctement appliquées. Il existe toujours un moyen de les contourner.

« Regardez là-bas… », commence-t-il, avant de se tourner vers une place de l’autre côté de la rue.

« Il y a une ‘cueva’ [un marché noir pour échanger de la monnaie. Littéralement, une ‘cave’]. C’est illégal. Mais le gouvernement sait qu’elle est là et ils ont placé un policier juste devant pour que les gens puissent s’y rendre en toute sécurité.

Nous sommes censés être en pleine crise économique, ici. Mais j’ai toutes les peines du monde à trouver des travailleurs compétents, car ces derniers gagnent plus en télétravaillant pour une entreprise européenne ou américaine.

Ils perçoivent la majeure partie de leur salaire en cryptomonnaies, qu’ils convertissent en pesos grâce à ces ‘cuevas’. Pas de traces. Pas d’impôts. »

Sans le marché noir, la situation en Argentine serait encore plus chaotique.  Le gouvernement ferme les yeux sur les ‘cuevas’ car elles attirent des devises étrangères, dont le pays a besoin pour rembourser sa dette étrangère. Du coup, il y a des gens qui ont de l’argent à dépenser.

Bien sûr, c’est une autre histoire dans les quartiers pauvres. Dans ces quartiers, les gens sont coincés.  Ils n’ont pas de compte bancaire à Miami. Pas plus qu’ils ne reçoivent des cryptomonnaies par internet. Leurs salaires, parfois honteusement faibles, proviennent d’emplois ordinaires et sont payés en pesos. Les aides publiques sont également versées en pesos et perdent rapidement de leur valeur.

Nous laissons la conclusion à notre ami :

« Cela crée véritablement deux économies distinctes. La première est misérable et désespérée. La seconde jouit d’un niveau de vie très élevé.

Mais je ne pense pas que les Américains soient prêts à vivre ce genre de chose. Ils ont encore confiance en leur gouvernement. Ils ne savent pas tricher. Et le gouvernement ne tolèrerait jamais un marché noir comme celui-là. »

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile